La Voix de la Russie
L'offensive
américaine sur les banlieues françaises
(1)
Alexandre Latsa
Photo: EPA
Samedi 3 novembre
2012
« La France ne le sait pas, mais
nous sommes en guerre avec
l’Amérique. Oui, une guerre
permanente, une guerre vitale, une
guerre économique (...) sans mort
apparemment et pourtant une guerre à
mort. ». Ces mots surprenants
sont ceux du défunt président
français François Mitterrand.
Ils pourraient
prêter à sourire plus qu’à les
prendre au sérieux, sauf pour ceux
qui s’inquiètent de l’offensive du
Qatar, qui vient de promettre au
gouvernement français de s’occuper
des quartiers défavorisés, en
échange du rachat d’un peu de dette
française. Pourtant les banlieues
françaises ne sont pas seulement
visées par le Qatar mais également
par de nombreux stratèges du
département d’état américain, qui
ont développé une stratégie à long
terme basée sur la démographie des
jeunes français issus de
l’immigration africaine qui
implique, à terme, une prise
progressive de pouvoir et
d’influence en France pour ces
minorités.
C’est un câble
datant du
25 janvier 2007 publié par
Wikileaks qui révèle cette étonnante
affaire. L’ambassade américaine y
affirme clairement développer une
politique active de soutien et de
développement envers les communautés
afro-arabes de France, en visant
clairement les jeunes musulmans
français. Les premiers éléments de
cette politique furent fixés en
2001, juste après le 11 septembre,
alors qu’il semblait vital au
département d'état de tenter
d'améliorer l'image de l’Amérique
aux yeux des musulmans d'Europe.
Mais c’est suite aux
émeutes françaises de 2005, que le
président Obama nomme en 2009
Charles Rivkin comme nouvel
ambassadeur des États-Unis en
France. Celui-ci va alors par le
biais de l’ambassade développer une
intense campagne de lobbying auprès
de jeunes français issus de
l’immigration. Cette campagne
prendra différentes formes :
l’organisation de voyages
sponsorisés aux Etats-Unis dans le
cadre de programmes politiques, des
déplacements de l’ambassadeur dans
des zones sensibles à forte
concentration de population
d’origine immigrée, l’organisation
de visites de stars américaines
issues de la diversité dans ces
quartiers, ou encore l’organisation
d’événements (politiques ou
artistiques) avec des jeunes
français issus de la diversité.
L’ambassadeur est principalement
assisté dans ses activités de
lobbying en direction de ces
minorités par
Mark Taplin, un diplomate de
carrière, spécialiste des méthodes
d’influence et du soft-power. Ancien
attaché de Presse adjoint en 1994 à
l’ambassade américaine à Moscou il a
ensuite travaillé en Ukraine,
Moldavie et Biélorussie de 1999 à
2004, année de la révolution de
couleur en Ukraine.
L’année suivante, en
2010, l’ambassade américaine à Paris
rédige
un câble dans lequel
l’ambassadeur Charles Rivkin
explique les activités américaines
en direction des minorités. Le câble
décrit la crise de la représentation
nationale en France, la nécessité
pour les américains de développer
une stratégie pour la France, de
s’engager dans un discours positif,
de mettre en avant un exemple fort,
lancer un programme agressif de
mobilisation de la jeunesse,
l’encouragement des voix modérées,
une diffusion des meilleures
pratiques, l’approfondissement des
compréhensions du problème, et enfin
le ciblage des efforts. Le câble a
été traduit et il est consultable
ici, il est plus qu’explicite et
mérite d’être lu. Il y est
clairement expliqué que l’opération
n’a comme intérêt final que de faire
progresser les intérêts américains
en France via la prise de pouvoir
progressive de jeunes français issus
de la diversité. Bien sur de
nombreuses associations et
fondations américaines opèrent
depuis longtemps pour s’assurer du
soutien à l’Amérique au sein des
élites françaises, que l’on pense à
la très célèbre
fondation Franco-américaine, au
club Jean Moulin (destiné à
créer un projet d’opposition au
gaullisme) ou encore plus récemment
au
conseil national pour les visiteurs
internationaux. Mais la
nouveauté de cette politique de
séduction est qu’elle est focalisée
sur des communautés
ethnico-religieuses en France et
notamment sur les jeunes musulmans.
Cette activité
diplomatique vise donc les élites
françaises tout comme les sites
internet de la communauté immigrée
en France. Sont cités notamment
comme relais les sites
oumma
et
saphir, qui ont confirmé leurs
bonnes relations avec l’ambassade
des Etats-Unis en France (voir
ici et
la). Mais des personnalités
publiques et politiques issues de la
diversité ont également été visées,
comme par exemple Rokhaya Diallo,
Reda Didi (ex-responsable du
mouvement socialiste écologiste
français les Verts qui a notamment
publié un ouvrage
À nous la France racontant son
expérience américaine). Il y a aussi
Ali Soumaré (ancien candidat PS aux
élections régionales), Almamy
Kanouté, (militant associatif et à
la tête d'une liste indépendante à
Fresnes), Najat Belkacem, ancienne
porte-parole de Ségolène Royal, et
aujourd’hui membre du gouvernement
français, ou encore Said Hammouche,
fondateur du cabinet de recrutement
Mozaïk RH, qui vise à favoriser
la diversité dans les entreprises
françaises. Enfin, le rappeur Axiom,
qui a lui aussi participé à ce
programme et publié un ouvrage
intitulé
J'ai un rêve, appelant à lancer,
en France, une vraie dynamique de
lutte des droits civiques, sur le
modèle américain. Cette liste n’est
pas exhaustive.
Plus surprenant, ce
travail de lobbying des minorités
cible particulièrement les musulmans
français. L’ambassade américaine a
par exemple contribué à lancer une
association nommée
Confluences, destinée à
promouvoir les minorités et
particulièrement la minorité
musulmane dans la région lyonnaise,
tout autant qu’ à lutter contre les
discriminations. L’attaché culturel
du consulat américain à Lyon siège
au conseil d’administration de
l’association. Plus récemment, c’est
une
maison des Etats-Unis qui a été
créée, destinée à informer les
Lyonnais sur l’Amérique. Notre
ambassadeur est aussi fortement
intéressé par les «
écoles de la seconde chance »
destinées à favoriser l’intégration
des jeunes défavorisés, souvent
issus des agglomérations
cosmopolites des grandes villes
françaises. Ce travail en faveur des
minorités défavorisées est plus
limpide lorsque l’on lit le
vibrant hommage rendu à l’ancien
directeur de Sciences Politiques
Richard Descoings, décédé dans des
circonstances sordides aux
Etats-Unis au début de cette année.
On sait le travail énorme fourni par
Richard Descoings pour
ouvrir Sciences Po à la nouvelle
diversité française, et aux
minorités des quartiers dits
défavorisés.
Au passage, la
presse française, qui a applaudi
cette initiative au nom de
l’égalitarisme social et républicain
a curieusement passé sous silence la
gestion financière
catastrophique de
l’établissement.
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