|
Opinion
Des critiques malgré
les bombes
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 2 février 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
Ainsi l’abominable s’est encore produit. Vers 14h30 lundi
dernier, un kamikaze a fait exploser sa bombe dans le hall
d’arrivée de l’aéroport international de Domodedovo. L’attentat,
qui survient après la visite du président Russe au Proche-Orient
et à la veille du sommet mondial de Davos, visait clairement
tant à fragiliser le pouvoir russe qu’à inquiéter la communauté
internationale, notamment en ciblant des étrangers. Le bilan est
lourd, 35 personnes sont mortes et 180 blessées. La Russie
apprend-on aurait pu en outre plus mal terminer l’année 2010
puisque le kamikaze de l’aéroport serait lié à une cellule
terroriste, en cours d’identification et de
démantèlement, qui avait planifié un attentat sur la place
rouge le 31 décembre au soir.
Même dans ce moment difficile, la Russie n’a encore eu droit
qu’à beaucoup de critiques et peu de soutien. Mention spéciale à
la presse française qui s’est encore distinguée. Pour
Hélène Blanc sur France-info par exemple, il faut se montrer
particulièrement prudent car nous dit-elle en citant la série
d’attentats qui avait fait 293 morts en Russie en 1999 : "ces
attentats n’étaient pas du tout l’œuvre des Tchétchènes auxquels
on les a attribués mais l’œuvre du FSB". Pour
Anne Nivat: "Poutine comme Medvedev exploitent l’obsession
sécuritaire pour gagner des votes et ils se sont fait élire
grâce à leur rhétorique sur la Tchétchénie". Pour le
correspondant du Figaro en Russie,
Pierre Avril: "le pays serait en proie à une quasi guerre
civile". Enfin pour
Vincent Jauvert, l’attentat démontrerait "la faillite du
système Poutine". Cette affirmation nous a déjà été martelé cet
été, lorsque les incendies qui ont frappé la Russie avaient soit
disant démontré une
faillite d’un hypothétique système Poutine. En outre, ce
dernier ajoute: "corrompus et incompétents, les services de
sécurité n’ont pas repéré le kamikaze".
Pourtant, bien loin des bureaux des rédactions des quartiers
huppés de Moscou ou Paris, sur le terrain, les résultats de la
Russie en matière de lutte anti-terrorisme sont assez éloquents.
Pour la seule année
2010, dans le Caucase du nord, 301 terroristes ont été
abattus et 468 arrêtés, 4.500 raids ont été réalisés, ainsi que
50 opérations antiterroristes d'envergure. 66 attentats ont été
déjoués, même si
500 actes terroristes (dont 92 explosions et attentats) ont
coûté la vie à plus de 600 personnes. En Russie pour la seule
année 2010, plus de
360 policiers russes sont morts dans l’exercice de
leurs fonctions.
Bien sur, le Caucase musulman, Tchétchénie en tête, à
longtemps été présenté par les médias occidentaux comme une
région du monde occupée par la tyrannique Russie, mais aspirant
à l’indépendance et à la liberté. Le terrorisme dans le Caucase
serait une sorte de réaction désespérée de peuples opprimés. Les
Français, ayant la nostalgie du village Gaulois assiégé par la
puissante Rome, et désinformés sur la réalité du terrain, ne
pouvaient que se laisser séduire, du moins pour une grande
partie d’entre eux. Pourtant, il n’en est rien. Le but des
terroristes n’est pas de libérer des peuples opprimés mais de
les asservir. Les terroristes du Caucase sont liés à une
nébuleuse islamiste sous forte influence étrangère, Wahhabite,
reliée elle à une idéologie révolutionnaire et destructrice, qui
vise à l’établissement d’un émirat Islamique dans tout la
région. Ce noyau Wahhabite a probablement ses racines dans la
première guerre de Tchétchénie, lorsque de très nombreux
supplétifs étrangers (Arabes, Afghans…) ont rejoint les rangs
Tchétchènes, pensant transformer la guerre d’indépendance en un
conflit religieux et amener la guerre sainte dans la région. On
sait ce qu’il advint, les nationalistes Tchétchènes, s’ils ont
perdu la guerre sur le terrain contre l’armée fédérale,
ont au final obtenu pour la Tchétchénie une autonomie très
importante, politique et religieuse, mais au sein de la
fédération. Les tensions entre caucasiens et étrangers ont même
explosé au grand jour, les premiers ne reconnaissant que
difficilement les méthodes des seconds et leur radicalité
intransigeante, bien loin du soufisme du Caucase, qui s’est
quand même un tant soi peu accommodé des traditions locales.
Ramzan Kadyrov proclamait d’ailleurs récemment et
symboliquement,
la défaite du Wahhabisme en Tchétchénie.
La séparation du Caucase et de la Russie comme le souhaitent
et les Islamistes Wahhabites et certains intellectuels étrangers
ne représenterait en rien une solution. Il semble évident que la
conséquence première d’une telle décision serait de livrer la
région à des conflits internes avec la probabilité qu’elle ne
devienne rapidement un foyer régional de terrorisme. Il faut
aussi rappeler que ces régions du sud de la Russie sont pour la
plupart russes depuis plus longtemps que Nice n’est
définitivement devenue Française. Enfin, de très nombreux
Caucasiens musulmans se sentent russes et citoyens à part
entière de la fédération, dont ils représentent une des facettes
de
l’identité multiculturelle.
Il serait appréciable que les commentateurs étrangers
concentrent leurs attaques et leur énergie sur les criminels et
non sur l’Etat russe. A ce que je sache, de Madrid à Londres ou
Moscou, les victimes sont les victimes d’un seul et même
terrorisme. Je ne crois pas que lorsque des événements
similaires ont frappé d’autres démocraties européennes, comme
l’Espagne ou l’Angleterre, en 2004 et 2005, avoir lu de la part
de commentateurs russes que les attentats signifiaient un échec
des gouvernements de ces pays ou que les services de sécurité
n’auraient pas bien fait leur travail. Cela pour la simple et
bonne raison qu’il est quasiment impossible d’empêcher tous les
attentats terroristes. Les Espagnols, les Israéliens, les Turcs
ou les Indiens, dont les pays sont souvent visés par le
terrorisme ont depuis longtemps compris la nécessité de mesures
de sécurité drastiques pour prévenir au maximum ces attentats,
avec plus ou moins de succès. Ces mesures même si elles
entravent certaines libertés individuelles sont sans doute
essentielles pour que la vie puisse suivre un cours paisible
malgré la menace.
Les esprits sont préparés si de nouveaux attentats
surviennent, en Russie et peut-être encore dans la capitale, ce
qui semble malheureusement inévitable. Le but des terroristes
est toujours d’effrayer la population et déstabiliser la
société. Mais aucun cas nous ne devons nous citoyens russes et
étrangers nous laisser déstabiliser. Bien au contraire, c’est la
coordination d’un état volontaire et décidé, et d’une population
soudée et attentive qui est le meilleur rempart contre le
terrorisme. La Russie a la capacité de surmonter ces épreuves.
Comme l’a parfaitement résumé Alexeï Pimanov, le présentateur du
programme Chelovek i Zakon (Homme et loi) dans l’émission
récente
consacrée à ces évènements: "Ceux qui ont spontanément et
bénévolement proposé leur aide suite à cet attentat, qui ont
transporté gratuitement de l’aéroport au métro des passagers,
ceux qui ont donné leur sang ou aidé les secours dans les
premiers difficiles moments, ces gens la représentent la vraie
Russie".
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
Le sommaire
d'Alexandre Latsa
Le dossier
Monde
Dernières mises à
jour
|