Opinion
Rio Grande
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 1er décembre 2010
"Un autre regard sur la Russie" par Alexandre Latsa
Depuis que je réside en Russie, il m’est souvent arrivé, lors
de discussions avec mes amis russes, d’aborder le sujet du
niveau de vie et aussi de la pauvreté. Bien sûr ce sujet est
essentiel: tout le monde souhaite bien et en général mieux vivre
qu’avant.
La mondialisation, grâce à la télévision et internet a permis
à toute la planète de contempler et de souhaiter le niveau de
vie jugé idéal: le niveau de vie occidental. Récemment dans la
rubrique "Opinions des lecteurs" d’un journal russe, il était
demandé à des étudiants quelle question ils souhaiteraient poser
au président Medvedev. Une jolie étudiante, âgée de 23 ans avec
des grands yeux d’écureuil posait la question suivante: "Dimitri
Anatolievitch, quand allons-nous enfin bien vivre?".
En Russie, le salaire moyen est d’approximativement 500 euros
par mois en 2009 et de 1.000 euros par mois à Moscou. Ces
chiffres sont assez déconcertants pour qui connaît le coût de la
vie dans ce pays. Cependant, je dis souvent à mes amis que ces
salaires moyens sont pourtant déjà bien supérieurs à ceux
d’Etats de l’Union Européenne tels que la Roumanie (350 euros)
ou la Bulgarie (150 euros).
La Russie, sur le papier, se situerait pour l’instant sous le
niveau estonien (700 euros) ou polonais (875 euros). Evidemment,
la Roumanie et l’Estonie, ce n’est pas la France. Il est vrai
que le salaire moyen en France s’élève à 1.800 euros. En plus me
rétorquent-ils le coût de l’immobilier en Russie (qui est un
réel problème national) dépasse les niveaux de prix français!
Bien sûr, ils semblent avoir raison d’un point de vue purement
mathématique.
Pourtant d’autres indicateurs économiques sont plus flatteurs
pour la Russie. Prenons par exemple la pauvreté. Celle-ci a
reculé de moitié en dix ans, la part des Russes vivant sous le
seuil de pauvreté ayant diminué de 29 à 15% de la population
entre 2000 et 2009.
En France, le taux de pauvreté, qui était de 6,2% de la
population en 2001 à la veille du passage à l’euro atteint
aujourd’hui 13,7%. La moitié des Français en 2009 vit avec moins
de 1.500 euros par mois, ce qui en France n’est vraiment pas
beaucoup. Autre indicateur, le chômage. Celui-ci touche
aujourd’hui 7% de la population active en Russie, alors qu’il
avoisine 12% en France et presque 25% pour les moins de 24 ans.
Enfin, peut-on réellement comparer les niveaux de vie?
Il n’est pas du tout évident que 500 euros à Omsk confèrent
moins de pouvoir d’achat que 1.500 euros à Bordeaux. Autre
exemple, est-on plus riche à Paris qu’à Moscou avec, disons,
1.000 euros? Assurément non. En 2009, selon la Banque mondiale,
la Russie se classait même devant la France pour le pouvoir
d’achat par devise nationale.
Mais ces statistiques ne veulent pas tout dire. En France,
par exemple, elles sont maquillées par des concepts comme la
précarité, le temps partiel ou le surendettement qui explosent
depuis quelques années et sont très significatifs du mal-être
général. Alors bien sûr la France, via son généreux système
d’aide sociale, ne laisse pas sans assistance financière les
gens sans ressources ou les chômeurs.
C’est encore vrai aujourd’hui mais le débat sur le coût d’un
tel système (déficitaire de 23 milliards d’euros en 2010) est
désormais lancé et il est plausible que la crise économique
signe la fin de l’Etat providence ("Etat providence " désigne la
forme prise par l'intervention de l'État dans la vie économique
et sociale-ndlr.) à la française.
Que se passera-t-il alors que l’Etat ne "peut pas" donner du
travail à tous ces gens? Les Russes savent-t-ils que le niveau
d’endettement de l’Etat français est tel que chaque nouveau né
doit déjà 25.000 euros? En Russie a contrario, il est encore
fréquent que les revenus réels soient plus élevés que les
salaires, de nombreux Russes cumulant une seconde activité en
parallèle à leur travail principal.
Cela est, malgré tout, possible dans une économie
suffisamment souple et suffisamment dynamique, comme l’est la
Russie. Une économie sans dettes mais avec des réserves
financières massives. Les prévisions de croissance en Russie
pour les deux ou trois prochaines années sont les plus élevées
d’Europe et feraient rêver n’importe quel gouvernement de la
zone Euro. Il semble donc que la Russie soit sur une phase
ascendante, pendant que de nombreux pays européens, comme la
France, soient dans une phase plutôt descendante.
Imaginons que durant les dix prochaines années, la situation
perdure, que les niveaux de " salaires " continuent à augmenter
en Russie et la pauvreté à diminuer, tandis que le phénomène
inverse se passe en France. Dès lors mes amis russes dans 10 ans
tiendront t-ils le même discours?
Pour ma part, il me semble que l’évaluation du niveau de vie
n’est pas définissable seulement par des indicateurs économiques
linéaires. Cette sensation que l’avenir sera meilleur que le
passé fait qu’il est devenu possible pour les Russes de ne plus
regretter le passé, mais également de ne plus craindre l’avenir.
A l’inverse, les Français qui ont connu l’insouciance des
"Trente Glorieuses" (cette période d’embellie économique allant
de 1945 au choc pétrolier de 1973) ne cessent d’en parler comme
d’un âge d’or, révolu. La dégradation de la situation
économique, sociale et identitaire a fait que les Français
aujourd’hui ne sont plus sereins face à l’avenir.
Samedi soir, en allant dîner dans un restaurant de mon
quartier, Rio Grande, je me suis plongé dans ces réflexions en
observant les clients. Sur des morceaux de rock russe des années
1970 repris par un duo talentueux, les habitués dansaient,
indépendamment de leur âge et de leurs origines sociales,
pourtant très variées.
Je précise que j’habite dans un quartier excentré, un "spalniy
rayon" classique au bout d’une ligne de métro. Finalement les
gens avaient l’air relativement heureux et insouciant et j’en
suis arrivé à la conclusion que le sentiment global de sécurité
et de confiance est un indicateur fondamental du réel niveau de
vie. Selon cet indicateur-là, les Russes en 2010 sont sans aucun
doute parmi les premiers au classement européen.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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