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Opinion
La Russie
brûlera-t-elle de nouveau ?
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 1er juin 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
L’été est arrivé à Moscou et avec lui son lot de bonnes et
mauvaises nouvelles. La ville n'est plus sous la neige depuis
quelques semaines et le passage de l'hiver a l’été s'est fait
brusquement, presque sans printemps.
J'ai déjà dans mes précédents tribunes expliqué à quel point
l’hiver pèse sur les moscovites. Dès les premiers rayons de
soleil les habitants passent le maximum de temps à l’extérieur,
les places se remplissent, les terrasses aussi, et les parcs
sont bondés de jeunes et de moins jeunes qui tentent de profiter
des rayons du soleil, de la chaleur et de la lumière. L’été à
Moscou est un plaisir pour les yeux tant la beauté russe et
slave apparait au regard, surtout via les jeunes filles qui
embellissent quasiment chaque rue de la capitale. L’été est
aussi la saison des chachliks, c'est-à-dire des brochettes. Le
manque de temps passé à l’extérieur durant le long hiver fait
que les russes apprécient de pouvoir cuisiner dehors, et de
s’asseoir en famille ou avec des amis pour savourer ces piques
niques dans la nature.
Les Russes qui ont des datchas, ces petites maisons de
campagne, s’y ruent dès les premières chaleurs. Pour les autres,
en pleine ville, le premier parc venu permet en général de
trouver une clairière dégagée pour pouvoir y poser le fameux
мангал ou barbecue, outil indispensable pour faire cuire les
brochettes tant désirées. La législation russe est relativement
flexible sur le sujet, et le droit de faire cuire ses brochettes
dans le parc voisin ou en bas de son immeuble est considéré par
les russes comme un droit quasi inaliénable. Bien sur, cette
saison culinaire n’est pas sans risques, chaque année, des
incidents surviennent, provoqués par l’excès d’alcool sous le
soleil.
L’an dernier, ces réjouissances traditionnelles n’ont pas eu
lieu comme il se doit à Moscou. La Russie a été frappée par une
canicule similaire à la canicule française de 2003. Dès le moins
de juin, il y a eu des températures proches de 40° dans une
bonne partie du pays et les incendies de forêt ont démarré
partout en même temps, y compris autour de Moscou.
Ces incendies ont eu des conséquences tragiques puisque près
d’un million d’hectares de forêts ont brûlé, 58 personnes
seraient décédées et plus de 3.000 logements détruits. Pendant
de longues semaines, les 10 millions d’habitants de Moscou ont
été littéralement asphyxiés par les incendies des tourbières qui
entourent la ville et l’ont noyé dans une épaisse fumée et une
odeur de brûlé. Les conséquences sur le long terme sont sans
doute bien plus graves. La surmortalité due à cette canicule a
été estimée à près de
50.000 personnes. Au niveau écologique, les incendies ont
touche des zones irradiées, faisant apparaître le spectre de
projection dans l’air de particules radioactives. Enfin au
niveau économique les incendies ont détruit de nombreux
villages, routes et infrastructures. La sècheresse a compromis
les récoltes de blé, entrainant un arrêt des exportations russes
ainsi qu’une hausse importante des prix sur le marché local.
La presse française avait plus qu’alarmé l’opinion en nous
faisant croire que le pays tout entier était en feu, mais en
réalité la proportion de terres dévastées par les incendies a
été
inférieure à ce qui brûle tous les ans dans certains pays
occidentaux qui subissent des incendies comme la Grèce, le
Portugal, l’Espagne ou encore l’Amérique. Malgré tous leurs
efforts et une volonté quasi-obsessionnelle d’y parvenir
(exemple
ici), les grands reporters et autres journalistes n’ont pas
démontré que ces incendies avaient un rapport avec un
hypothétique
échec du système Poutine. Je note que les victimes russes
sont finalement les grandes oubliées dans ces obsessions et
joutes de journalistes, que l’on a pu très justement qualifier
d’offensive
contre un pays en flammes.
Un an plus tard il est temps de faire les comptes. Dans les
bonnes nouvelles,
les exportations de céréales ont enfin repris. Les maisons
individuelles ont été reconstruites (ici
et
la) et le système ne s’est pas effondré. Enfin, le
gouvernement a dégagé des
fonds, principalement pour l’achat de matériel anti-incendie
et la protection des forêts. Pendant les incendies de 2010, les
bloggeurs russes ont redoublé d’imagination pour s’organiser,
par régions et villes, afin de créer des brigades de
volontaires, démontrant ainsi la relative maturité d’une société
civile que l’on nous dit pourtant inexistante. Enfin ces
incendies ont permis une collaboration franco-russe puisque
parmi les pompiers étrangers qui ont été dépêchés en Russie, les
sapeurs français ont été rapidement surnommés l’escadron
Normandie-Niemen.
Pourtant de nombreux experts pronostiquent que les incendies
devraient
reprendre cette année, ils ont d’ailleurs déjà commencé en
Sibérie. Pire, ce sont déjà près de 100.000 hectares qui brûlent
en cette fin mai 2011, soit
deux fois plus que l’année dernière à la même époque. Bien
sur des incendies ont lieu tous les ans en Russie et c’est un
fait climatique contre lequel il n’y a sans doute pas
grand-chose à faire. Aux Etats-Unis, par exemple, lorsque des
incendies se déclenchent sur de grands territoires vierges, les
autorités choisissent de plus ou moins laisser brûler, se
contentant de protéger les habitations. On a vu l’an dernier en
Russie qu’il est très difficile de lutter contre des feux qui se
propagent dans d’immenses forets de résineux et qui déferlent
sur de petits villages constitués de maisons en bois, n’ayant
même pas pour certains l’eau courante.
Les incendies déclenchés par des accidents de barbecue ou par
l’effet loupe de bouteilles de verres abandonnées partout dans
les forêts ont par contre été nombreux l’an dernier. Il est
certain que l’adoption par les russes de comportements plus
écologiques serait essentielle pour limiter les risques
d’incendies dans le futur. Quand aux autorités locales, leur
capacité à avoir réellement réparé les dégâts et mis en œuvre
les moyens nécessaires pour prévenir et contenir de nouveaux
feux fera sans doute l’objet d’un test grandeur nature, au
moment des élections législatives de l’hiver prochain.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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