Opinion
La "gauche"
petite-bourgeoise fait la promotion de
la guerre de la CIA en Syrie
Alex
Lantier
Explosion
d'un engin explosif posé par des
terroristes
dans une voiture stationnée à Fahhameh à
Damas - Photo: Sana
Mardi 16 avril 2013
La « gauche » petite-bourgeoise a réagi
à la publication de rapports détaillés
sur le rôle de la CIA et son soutien aux
forces islamistes dans la guerre par
procuration menée par les États-Unis en
Syrie en intensifiant son soutien à
cette guerre. Des partis comme l'International
Socialist Organisation (ISO) aux
États-Unis et le Nouveau Parti
Anticapitaliste (NPA) en France
fonctionnent comme les propagandistes
conscients d’une opération néo-coloniale
de la CIA.
L'article de l'ISO
du 9 avril par Yusef Khalil, intitulé «
Pourquoi la gauche doit soutenir la
Révolution syrienne » – qui cite Gayath
Naïssé, l'un des principaux auteurs du
NPA sur la Syrie – commence par diffamer
les opposants à la guerre menée par la
CIA dans ce pays, les traitant de
partisans du président Syrien Bashar el-Assad.
Khalil commence, «
"Les envois aériens aux rebelles en
Syrie s'étendent avec le soutien de la
CIA", s'écriait un titre du New York
Times à la fin mars. "Intervention
étrangère ! ", s'écriaient en retour les
partisans du dictateur Syrien Bashar el-Assad.
» Il continue, « Certains parmi la
gauche américaine et internationale
continuent à s'accrocher à l'idée que le
régime qui dirige cette violence et
cette répression est progressiste – et
que le soulèvement contre lui a été
agencé par les gouvernements
occidentaux. »
L’affirmation de
Khalil, qui se moque de l'idée que
l'impérialisme occidental serait
derrière la guerre en Syrie, est en
contradiction flagrante avec le fait
largement reconnu que la CIA et ses
alliés dans la région arment
l'opposition pour déstabiliser la Syrie
et faire tomber Assad. L'implication que
toute opposition à cette guerre des
États-Unis viendrait de « partisans du
dictateur syrien Bashar el-Assad »
relève de la diffamation et du mensonge
politique. Elle vise à empêcher une
lutte pour mobiliser la classe ouvrière
qui pourrait lutter à la fois contre le
régime d'Assad et, surtout, contre
l'intervention en Syrie des sections les
plus agressives de l'impérialisme
américain.
En excluant une
telle lutte, Khalil soutient une
opération sanglante de la CIA et,
derrière cela, la politique
moyen-orientale de l'impérialisme
américain, dont la guerre en Syrie a eu
des conséquences dévastatrices pour le
peuple syrien.
L'Arabie saoudite,
la Jordanie, le Qatar, et la Turquie ont
aidé à l’achat et au transport vers la
Syrie d’une « cataracte d'armements »
coordonnée par la CIA ; ce sont là les
mots de l'un des responsables américains
sympathisant avec l'opposition syrienne
et qui est cité dans l'article de mars
du Times. Ce journal estime « de
manière prudente » la quantité de
munitions envoyées en Syrie à 3500
tonnes. Dans les combats qui ont suivi,
70 000 syriens sont morts, et près de 5
millions ont été contraints de quitter
leur foyer.
Les experts de la
politique étrangère américaine ont
déclaré que les troupes de choc de
Washington sont le Front al-Nusra, lié à
Al-Quaïda, qui reçoit toujours un
soutien, apparemment sans difficulté, de
la part de la CIA – alors même que
Washington a déclaré fin décembre qu'al-Nusra
était une organisation terroriste. (Lire
également :
Le représentant de Washington en Syrie :
Al-Qaïda).
La déclaration de
l'ISO montre clairement qu'elle soutient
la décision des milices anti-Assad
d'accepter les armes de la CIA. Khalil
écrit, « la question vitale pour
l'opposition syrienne est comment
recevoir de l'aide de la part des
sources qui peuvent lui fournir ce dont
a besoin la révolution, c'est-à-dire des
armes, tout en maintenant une prise de
décision syrienne indépendante. C'est
une question à laquelle il est difficile
de répondre, mais pas impossible. »
La prétention de
Khalil qu'il serait possible de
maintenir « une prise de décision
syrienne indépendante » tout en recevant
des armes de la part de la CIA est une
fiction absurde, concoctée pour
dissimuler le fait que l'ISO soutient
une guerre coordonnée et organisée par
Washington.
Comme l'ont
clairement dit les responsables
américains interrogés par le Times,
les envois d'armes sont surveillés de
près par la CIA. Le Times écrit,
« les officiers des renseignements
américains ont aidé les gouvernements
arabes à acheter des armes, y compris
une importante cargaison venant de
Croatie, et ont passé au crible les
commandants et les groupes rebelles pour
déterminer qui devait recevoir les armes
au fur et à mesure qu’elles arrivaient,
selon les dires de responsables
américains s'exprimant sous le couvert
de l'anonymat. »
Le journal ajoute
que l'ex-directeur de la CIA David
Petraeus a « joué un rôle essentiel pour
aider à mettre en marche ce réseau
aérien et a consulté divers pays pour y
collaborer avec eux. »
Le soutien
ouvertement accordé par l'ISO et la
"gauche" petite-bourgeoise européenne
aux guerres menées par la CIA représente
un point culminant dans leur évolution
en tant que partis pro-impérialistes
bourgeois, opérant à la périphérie du
Parti démocrate aux États-Unis ou des
partis sociaux-démocrates en Europe.
Frappés par la
crise économique mondiale qui a éclaté
avec le crash de Wall Street en 2008,
ils ont soutenu la classe dirigeante
dans chaque pays quand elle tentait
d'imposer le fardeau de la crise à la
classe ouvrière. Pendant qu'ils
applaudissaient les trahisons par les
syndicats des luttes des travailleurs
contre l'austérité à l'intérieur, leur
rôle en politique étrangère a été encore
plus ouvertement aligné sur la politique
impérialiste.
Après l'éclatement
de luttes révolutionnaires dans les
classes ouvrières égyptienne et
tunisienne en 2011, ils ont soutenu les
interventions, menées sous le leadership
des Etats-Unis, pour faire tomber des
régimes que Washington considérait être
des obstacles à ses intérêts – d'abord
la guerre de 2011 en Libye puis celle
menée en Syrie. Ils l'ont fait en
affirmant de manière mensongère que les
forces qui menaient ces guerres étaient
révolutionnaires.
Les tentatives de
Khalil de déguiser les positions
pro-impérialistes de l'ISO avec un peu
de rhétorique "de gauche", son
affirmation qu'accepter l'aide de la CIA
est une nécessité révolutionnaire, le
pousse à d'absurdes falsifications.
Il écrit, « les
révolutionnaires syriens – réagissant à
la répression brutale de la dictature –
devaient développer une résistance
populaire armée pour se défendre et
vaincre les forces du régime. De grandes
parties du pays, dont des bases
militaires et des aéroports importants,
ne sont plus aux mains du gouvernement,
mais elles restent soumises à un
bombardement intense. Néanmoins, dans
beaucoup de ces régions, les Syriens
expérimentent localement avec la
démocratie directe, maintenant que le
régime a perdu le contrôle. »
La fantaisie de
l'ISO sur le fait que les Syriens
seraient maintenant en train
d'expérimenter avec des formes radicales
de démocratie directe sous la botte des
milices islamistes sectaires et
ultra-droitières armées par la CIA est
ridicule. Les travailleurs syriens dans
les zones contrôlées par l'opposition
sont soit simplement en train d'essayer
de survivre pendant que les guérillas
islamistes pillent leurs lieux de
travail, leurs écoles, leurs foyers,
soit manifestent activement contre la
brutalité de l'opposition.
Une série
d'entretiens réalisés par le Guardian
avec les forces des milices de
l'opposition à Alep en décembre dernier
montrait le caractère foncier de ces
milices islamistes, qui pillent la
population pour obtenir de l'argent afin
d'acheter des armes à la CIA. Le
commandant d'une des milices dit ainsi «
je libère une zone, j'ai besoin de
ressources et de munitions, donc je
commence à piller la propriété du
gouvernement. Quand c'est fini, je passe
au pillage d'autres types de propriété
et je deviens un voleur. »
Un autre
représentant de l'opposition faisait
remarquer la mort d'un combattant de
l'opposition, Abu Jameel, dans un combat
avec d'autres milices au sujet du
partage du butin suite à la prise d'un
entrepôt d'acier. Il dit, « se faire
tuer à cause d'une altercation pour un
butin est un désastre pour la
révolution. C'est extrêmement triste. Il
n'y a pas une seule institution du
gouvernement ou un entrepôt encore
debout à Alep. Tout a été pillé. Tout
est parti. »
Étant donné le rôle
d'Alep comme centre de l'industrie
pharmaceutique publique syrienne, les
raids de l'opposition sur les usines et
les autres installations ont eu un effet
dévastateur. Les médicaments essentiels
manquent, notamment les médicaments pour
traiter le diabète et les antibiotiques.
Les avions de l'Etat qui ramenaient des
vaccins en Syrie se sont fait tirer
dessus, et le chlore pour la
purification de l'eau est interdit à
l'importation par les puissances
impérialistes au prétexte qu'Assad
pourrait s'en servir pour créer des
armes chimiques – ce qui entraîne une
multiplication des infections par l'eau.
Abdul-Jabbar Akidi,
un ex-colonel de l'armée syrienne et un
membre dirigeant du conseil militaire de
l'opposition à Alep, a admis qu'il y a
une hostilité populaire profonde envers
ses forces à Alep : « Même les gens en
ont marre de nous. Nous étions des
libérateurs, mais maintenant ils nous
dénoncent et manifestent contre nous. »
L'ISO et le NPA ont
maintenu un silence consciencieux sur
les manifestations populaires contre les
forces d'opposition islamistes, des
forces manipulées par la CIA qu'ils ont
promues. Ces manifestations sont
pourtant une indication qu'une
révolution s'appuyant sur la classe
ouvrière en Syrie prendrait la forme
d'un soulèvement contre les forces
d'opposition soutenues par Washington et
par l'ISO, ainsi que contre le régime d'Assad.
À la peine pour
trouver un côté positif aux forces
réactionnaires qu'elle promeut en Syrie,
l'ISO écrit : « Il serait faux de
réduire la révolution syrienne à la
question de la lutte armée et au rôle
des puissances impérialistes qui tentent
d'influencer et de récupérer cette
lutte. Prenons le rôle des femmes dans
le soulèvement – quelque chose qui n'est
pas apprécié à sa juste valeur dans les
grands médias. Les femmes ont été des
participantes très actives et des
meneuses dès le début […] Comme l'a
écrit un groupe de femmes activistes à
Alep, "Nous n'attendrons pas que le
régime tombe pour être actives." »
La présentation par
l'ISO des intégristes islamistes
soutenus par la CIA comme des défenseurs
des droits des femmes est absurde et
répugnante. Si des forces du genre d'Al-Quaïda
devaient conquérir la Syrie avec l'aide
des États-Unis et de l'Arabie saoudite,
les femmes syriennes – qui vivaient
généralement dans des conditions
modernes sous le régime laïc d'Assad –
seraient contraintes de vivre dans des
conditions semblables à celles
auxquelles étaient confrontées les
femmes sous le régime des Talibans en
Afghanistan ou celles existant en Arabie
saoudite. Là-bas, les femmes sont
considérées comme des mineures au sens
légal et se voient refuser des droits
fondamentaux, dont la liberté de
conduire une voiture.
En fait, les femmes
activistes d'Alep que l'ISO a
cyniquement brandies en exemple du
caractère prétendument progressiste de
l'opposition ne s'en sont pas très bien
sorties. « Début mars, le conseil
révolutionnaire local d'Alep a été élu
et ne comprenait pas une seule femme,
malgré la nomination de certaines femmes
activistes très connues, » écrit l'ISO,
ajoutant avec légèreté : « donc il y a –
comme partout dans le monde – des
progrès à faire avant que les femmes
aient l'égalité en Syrie. »
Les tentatives de
l'ISO de se distancer quelque peu de la
politique moyen-orientale de Washington
sont de la même manière emplies de
malhonnêteté et de cynisme. Khalil
écrit, « comme toutes les autres
puissances régionales et
internationales, le gouvernement
américain intervient en Syrie. Il
manœuvre pour influencer – et
finalement, pour limiter – la révolution
Syrienne […] tout au long du carnage
infligé par le régime, les États-Unis
ont maintenu des limites très sévères
sur le soutien, en particulier le
soutien militaire, qu'ils ont apporté. »
Khalil cite Naïssé
du NPA sur les raisons de l'implication
américaine en Syrie : « Les grandes
puissances impérialistes, menées par les
États-Unis, ont toujours soutenu ce
qu'elles appellent une "transition
ordonnée" en Syrie, ce qui veut dire
uniquement des changements superficiels
et partiels à la structure du régime.
C'est pour des raisons géostratégiques,
y compris la protection de l'entité
sioniste [c-à-d Israël] et pour empêcher
la révolution de réussir et de se
répandre dans tout l'orient Arabe, y
compris dans les pétro-monarchies
réactionnaires. »
Sans même parler de
la fausse contradiction que Khalil
établi entre la politique américaine et
la guerre menée par la CIA qu'il appelle
« la révolution syrienne, » ces passages
montrent clairement une chose : les
politiques soutenues par l'ISO et le NPA
sont en fait entièrement compatibles
avec la stratégie de l'impérialisme
américain. Cela comprend le maintien des
revenus pétroliers du Golf persique sous
contrôle de monarques réactionnaires et
proaméricains, et de la division de la
classe ouvrière du Moyen-Orient entre
travailleurs Juifs et Arabes établie par
l'existence de l'Etat israélien.
Bien que ni l'ISO
ni le NPA ne le disent, la guerre des
États-Unis contre la Syrie vise
également à priver l'Iran de son
principal allié dans la région,
facilitant ainsi les préparatifs
américains pour une guerre de grande
ampleur contre l'Iran. L'objectif
lointain de ces opérations est de
s'assurer que Washington maintiendra et
étendra son hégémonie sur un
Moyen-Orient riche en pétrole et
stratégiquement situé. Ce but est
entièrement soutenu par les partis
petits-bourgeois "de gauche".
Si Washington a des
inquiétudes sur les "rebelles" anti-Assad,
ce n'est pas qu'ils puissent être
révolutionnaires. Il craint plutôt que
s'il arme trop fortement ses
intermédiaires islamistes en Syrie, ils
risquent de livrer ces armes à des
factions islamistes dissidentes dans les
monarchies instables du Golf, ou qu'ils
ne s'en servent pour des attaques
terroristes contre Israël et les
États-Unis.
En Syrie même, la
guerre déchaînée par l'opposition
soutenue par la CIA – qui recrute parmi
les couches de la majorité sunnite de
Syrie insatisfaites du régime d'Assad
dont les dirigeants proviennent eux, de
la minorité Alaouite – s'est développée
en grande partie suivant des lignes
sectaires. Elle renvoie ainsi la société
syrienne aux conditions qui existaient
sous la domination coloniale française
au début du 20e siècle. À
cette époque, les troupes françaises et
leurs intermédiaires locaux maintenaient
le contrôle français sur la Syrie en
jouant les Chrétiens, les Druzes, les
Sunnites, les Alaouites et d'autres
groupes de Syriens les uns contre les
autres.
L'opposition
soutenue par les États-Unis est donc
réactionnaire au sens classique du terme
: elle ramène la société vers un passé
plus primitif et oppresseur.
(Article original
paru le 12 avril 2013)
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Publié le 16 avril 2013 avec l'aimable
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