Opinion
Un processus de
paix « vital » pour... Israël
Alain Gresh
Alain
Gresh
Mardi 30 juillet 2013
Faut-il y attacher la moindre
importance ? Faut-il, encore une fois,
noircir des pages sur la relance des
négociations israélo-palestiniennes ?
Faut-il s’interroger gravement sur les
chances de réussite ou d’échec de ce
processus ranimé, pour la énième fois,
sous l’égide de Washington ? Faut-il
rappeler les promesses successives des
présidents américains annonçant pour
l’an prochain la création d’un Etat
palestinien ?
On peut, bien sûr, évoquer le passé.
Qui se souvient encore des négociations
lancées
à Annapolis, en novembre 2007, sous
l’égide du président George W. Bush,
celui-là même qui avait déclenché la
« guerre contre le terrorisme » et
détruit durablement l’Irak, et qui
promettait la naissance d’un Etat
palestinien pour dans un an ?
On peut aussi évoquer en souriant (ou
en pleurant, c’est selon) le choix par
Washington de l’envoyé spécial pour
superviser les négociations, M. Martin
Indyk. L’homme, qui a grandi en
Australie, s’est porté volontaire aux
côtés d’Israël durant la guerre
d’octobre 1973 et a fondé en 1985 dans
la capitale américaine le Washington
Institute for Near East Policy (Winep),
un des piliers du soutien à Israël à
Washington (lire Joel Beinin, « Un
“think tank” au service du Likoud »,
Le Monde diplomatique, juillet
2003). En 1993, les Etats-Unis lui
accordent en urgence la nationalité
américaine de manière à ce qu’il puisse
rejoindre l’administration Clinton,
qu’il va conseiller sur le
Proche-Orient. Il sera aussi deux fois
ambassadeur en Israël. Il a le profil
même des « intermédiaires honnêtes »
tels que les conçoit Washington,
farouchement pro-israélien, mais ne
considérant pas forcément tous les
Palestiniens comme des terroristes.
Il a fallu une demi-douzaine de
déplacements du secrétaire d’Etat
américain John Kerry dans la région pour
aboutir à... quoi exactement ? On ne le
sait pas vraiment, dans la mesure où la
base des négociations qui se sont
engagées lundi 29 juillet au soir n’est
pas connue. Seule certitude, le
gouvernement israélien a pris la
décision de libérer une centaine de
prisonniers (sur l’identité de ces
prisonniers, lire Amira Hass, « Who
are the 104 Palestinian prisoners Israel
will free for peace talks ? »,
Haaretz, 29 juillet).
Les frontières de 1967
serviront-elles de base aux
négociations ? La colonisation
cessera-t-elle (elle n’a cessé à aucun
moment depuis Oslo, même pas quand
Israël avait annoncé son gel) ? A qui
seront attribuées les sources d’eau en
Cisjordanie ? Que deviendront les
réfugiés palestiniens ? Autant de
questions sans réponse, et pour cause.
Quoi que l’on pense de l’Autorité
palestinienne, celle-ci ne peut accepter
une paix qui ne prenne pas en compte le
minimum des revendications
palestiniennes. Or celles-ci sont
inacceptables, non seulement pour la
droite israélienne la plus extrême, mais
aussi pour Benyamin Netanyahou —
pourtant présenté par certains comme
l’homme qui pourrait signer la paix — et
même, il faut le reconnaître, pour la
majorité des politiques.
Alors pourquoi les négociations
reprennent-elles ? Essentiellement parce
que Washington pense qu’elles sont
conformes à ses intérêts stratégiques,
d’où les fortes pressions exercées sur
les deux parties. Comme l’écrit
Daniel Levy, « une paix durable
israélo-palestinienne est dans l’intérêt
national des Etats-Unis, comme en ont
témoigné clairement chaque commandant de
l’US Centcom [commandement central
américain pour le Proche-Orient]
depuis le 11-Septembre ». Ceux-ci,
qui ont dirigé les troupes américaines
en Irak et en Afghanistan,
reconnaissaient que si de nombreux
djihadistes se battent contre les
Etats-Unis, c’est d’abord au nom de la
cause palestinienne.
Mais cette conviction n’amènera pas
un changement fondamental de la
stratégie de Washington, qui est de
considérer, en préalable, que les
demandes israéliennes (notamment en
termes de sécurité) sont la plupart du
temps justifiées.
Netanyahou l’a déclaré,
« reprendre les négociations de paix
avec les Palestiniens est dans l’intérêt
stratégique d’Israël » [1].
Vous avez bien lu : ce sont les
négociations (sans fin) avec les
Palestiniens qui sont dans l’intérêt
stratégique d’Israël, pas la paix.
Un dernier mot pour signaler la
décision de l’Union européenne d’exclure
les territoires occupés de sa
coopération avec Israël [2].
Bien que l’on puisse s’étonner qu’il ait
fallu quarante et quelques années pour
que l’Union prenne une telle décision,
on ne peut que s’en féliciter. Car seule
une énorme pression sur Israël amènera
ce pays à reconnaître la légalité
internationale. On comprend que Shimon
Peres, l’homme qui a endossé, depuis les
années 1950, toutes les politiques
agressives israéliennes (mais qui jouit
en Occident d’une image usurpée d’homme
de paix), s’inquiète, et appelle l’Union
à faire preuve de retenue dans sa
politique [3].
Notes
[1]
Lire Barak Ravid, « Netanyahu :
Resuming peace talks with Palestinians
is a strategic interest for Israel »,
Haaretz,
20 juillet 2013.
[2]
Lire Barak Ravid, « How
the EU caught Israel off guard with its
new settlement guidelines »,
Haaretz,
17 juillet 2013.
[3]
Lire Greer Fay Cashman, « Peres
asks EU to ’exercise restraint’ and
allow peace process to develop »,
Jerusalem
Post,
29 juillet 2013.
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