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Opinion

La feuille de route (un peu floue) de Laurent Fabius
Alain Gresh


Alain Gresh

Samedi 30 juin 2012

Le 27 juin, lors d’un colloque international intitulé « le monde arabe à l’âge des révolutions », Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères de la France, est intervenu sur « La France et le nouveau monde arabe ».

A sa prise de fonction, son prédécesseur Alain Juppé s’était déjà exprimé sur ce thème, sous forme d’autocritique, mais il faut reconnaître que son bilan fut loin d’être à la hauteur du discours qu’il avait alors prononcé. Qu’en sera-t-il du bilan de Fabius dans un an ?

Voici l’intégralité du texte avec quelques commentaires.

« Je suis heureux de conclure ce colloque utile consacré à un état des lieux du monde arabe à l’âge des révolutions. Ma présence ici atteste l’importance que la France accorde à ses relations avec le monde arabe et au débat avec les cercles intellectuels, les universitaires et les chercheurs. Je salue la qualité de vos travaux et je remercie le Professeur Gilles Kepel de les avoir organisés et de m’y avoir si gentiment invité.

Le 17 décembre 2010, lorsque Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant tunisien, s’immole par le feu devant le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid, personne ne sait encore qu’une onde de choc est en train de naître qui va transformer le monde arabe. Un an et demi après, alors que le Frère musulman Mohamed Morsi vient d’être élu président de l’Egypte, pays le plus peuplé de la région, la physionomie de celle-ci a changé en profondeur. Oui, il y a à l’évidence un “nouveau monde arabe” et la France doit se situer par rapport à lui.

Pour comprendre l’importance des transformations en cours, il faut remonter un peu dans l’histoire récente. Au milieu du XXème siècle, au moment des indépendances, le monde arabe a déjà connu une période de bouillonnement politique. Si les Etats ont gagné leur indépendance, les peuples, eux, n’ont pas gagné la leur. Dans un deuxième temps, souvent à la faveur de coups d’Etat militaires, des régimes autoritaires se sont installés, avec l’accord ou la complicité des grandes puissances. Plusieurs décennies d’immobilisme politique ont suivi, sous couvert de nationalisme arabe. Pour autant, les sociétés ont continué d’évoluer, en tout cas de le souhaiter, ouvrant la voie aux bouleversements actuels. Ces derniers se présentent donc comme une sorte de troisième époque du monde arabe depuis les indépendances. A Tunis, au Caire, à Damas, à Sanaa, à Benghazi, sous des formes différentes, un même mot d’ordre s’est fait entendre : la dignité – la karama. »

Cette vision des indépendances est bien réductrice. Celles-ci n’ont pas seulement été politiques. Les nouveaux Etats ont mis en place des systèmes d’éducation et de santé que le colonialisme avait bien été incapable d’édifier (en Algérie par exemple). D’autre part, ces Etats ont pris le contrôle de leurs richesses naturelles, du pétrole au canal de Suez, ce qui n’est pas rien. Et si les sociétés ont pu évoluer, c’est bien grâce à ces réformes qu’ont permis les indépendances.

« Ce vent de liberté a rendu notre voisinage arabe et méditerranéen souvent méconnaissable, le paysage dessiné par le ou les “printemps arabes” frappant par ses contrastes et ses incertitudes. Au-delà des différences traditionnelles – le Maghreb n’est pas le Moyen-Orient, lequel n’est pas la péninsule arabique –, une nouvelle cartographie se dessine. En Tunisie, en Egypte, en Libye, au Yémen, les régimes sont tombés et les dictateurs chassés grâce à une alliance inédite entre la jeunesse, les classes moyennes et les militaires. Pour ces pays, après la tempête, l’enjeu est maintenant de bâtir un ordre politique, économique et social plus juste et plus stable.

Dans d’autres pays, la résonance du printemps arabe a conduit les autorités à un mouvement de modernisation et de démocratisation. Le Maroc donne l’exemple de cette voie, que la Jordanie tend plus ou moins à suivre. En Algérie, les attentes de la population sont voisines de celles du reste du monde arabe, et on doit espérer que le nouveau Parlement mettra rapidement en œuvre les réformes attendues. »

Où l’on voit que la complaisance de la France à l’égard des pouvoirs en place n’a pas vraiment changé. Qui peut penser que le Maroc est engagé sur la bonne voie ou que la Jordanie, où la répression se poursuit contre la contestation et où l’ordre politique est confisqué par le roi, sont sur la bonne voie ? Et qui peut espérer quoi que ce soit du nouveau parlement algérien ? La France a des relations diplomatiques avec tous les pays, y compris les dictatures, et cela est « normal » ; ce qui ne l’est pas c’est de faire l’éloge de régimes qui répriment leur peuple.

« Les pays du Golfe – Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Qatar, Koweït – sont devenus des acteurs importants sur la scène mondiale et des investisseurs majeurs. Ils jouent un rôle parfois décisif dans les évolutions régionales, en particulier en Libye, en Syrie ou au Yémen. Derrière un immobilisme apparent, leurs sociétés sont travaillées par un islam rigoriste mais aussi par une volonté d’ouverture. Le débat affleure et s’exprime dans la presse, voire dans les institutions. »

Une phrase bien alambiquée pour éviter de se prononcer sur les régimes en place. Bahreïn n’est même pas mentionné, ni l’intervention de l’Arabie saoudite dans ce pays pour écraser le mouvement populaire. Enfin, qui peut croire que les interventions de l’Arabie en Libye ou en Syrie soit mue par une volonté de faire avancer le changement et la démocratie ?

« Ailleurs encore, face aux revendications populaires, les régimes attachés au statu quo répondent par la répression et la violence. En Syrie, la conjonction d’une répression massive, des effets de la mosaïque communautaire qu’est ce pays et d’interférences extérieures conduit à une véritable catastrophe humanitaire et à un risque de déstabilisation de toute la région. Le Liban subit de plein fouet les retombées de cette crise et est traversé par de vives tensions. Au sud, les Palestiniens mûrissent une frustration puissante, que renforce encore leur ouverture au monde et un bon niveau d’éducation. Cependant qu’Israël s’interroge sur les conséquences de ces transformations pour sa propre sécurité.

Ajoutons à ce tableau multifacettes les nombreux foyers d’instabilité. En Irak, l’effort de redressement engagé par le gouvernement est important, mais il reste beaucoup à accomplir pour garantir la sécurité et la cohésion du pays, ainsi que la protection des minorités. Dans la zone saharo-sahélienne, une crise complexe et très dangereuse s’installe, résultat de nombreux facteurs de déliquescence – Etats faillis, régions périphériques délaissées, corruption et trafics multiples, présence de groupes islamistes fortement armés.

Si les changements portés par les printemps arabes sont spectaculaires, l’avenir apparaît donc fragile et incertain. En France et en Europe, cette incertitude provoque, dans l’opinion, des sentiments mélangés. L’aspiration démocratique inspire une vague de sympathie ; mais les risques d’instabilité politique, leurs conséquences économiques et la montée des intolérances suscitent pour le moins des interrogations. »

Est-ce l’opinion française ou les gouvernants qui éprouvent des sentiments mélangés ? La montée de l’intolérance chez eux « nous » inquiète ? Comprenons-nous que la montée de l’intolérance chez « nous » à l’égard des immigrés inquiète au même titre là-bas ?

« Dans ces conditions, qu’espérer, que craindre, que faire ? Voilà trois questions auxquelles je souhaite apporter des éléments de réponse. La France regarde avec confiance les changements dans le monde arabe car elle est convaincue qu’il est toujours préférable de faire le pari de la démocratie. Avec confiance, mais avec lucidité, car nous n’ignorons pas les défis du présent, du proche avenir et du long terme. Il n’est pas en notre pouvoir de transformer mécaniquement les révolutions en succès et nous n’avons pas à nous ingérer dans la vie politique d’Etats souverains. Pour autant, consciente de ses responsabilités, la France veut et doit contribuer activement sur le plan bilatéral et multilatéral aux progrès des transitions démocratiques, économiques et sociétales.

Qu’espérer ? Les mouvements à l’œuvre dans les sociétés arabes sont profonds et , je le disais, complexes. Ils expriment des attentes – la liberté, la justice, la dignité, la démocratie – qui sont aussi les nôtres et font écho à des valeurs traditionnellement portées dans le monde notamment par la France. C’est ainsi que personnellement j’ai accueilli ces mouvements dès les premières semaines de l’année 2011. Et c’est pourquoi j’ai regretté, comme beaucoup d’autres, le rendez-vous manqué du gouvernement français de l’époque avec cette dynamique révolutionnaire. Au Maghreb, la France – en tout cas son gouvernement – a déçu ; déception renforcée par la stigmatisation de l’immigration à laquelle celui-ci se livrait parallèlement. Ce rendez-vous manqué venait de loin. Depuis des décennies, alors que beaucoup connaissaient la réalité de nombreux pays arabes – pouvoir confisqué, droits de l’Homme méprisés, presse muselée, corruption et chômage installés –, le choix avait été fait de miser sur des régimes autoritaires et même dictatoriaux pour garantir la stabilité de la région. Or, les pouvoirs appuyés sur la peur et la répression n’offrent qu’une illusion de stabilité, laquelle finit toujours par se fissurer. »

Je ne sache que les socialistes aient été bien plus critiques à l’égard des dictatures. Les partis au pouvoir en Egypte et en Tunisie étaient membres de l’Internationale socialiste et l’on ne compte pas les dirigeants socialistes français qui ont salué l’Egypte de Moubarak (et qui y ont passé leurs vacances) ou qui ont mis en avant la « laïcité » de la Tunisie de Ben Ali.

« Le grand espoir suscité par les révolutions arabes, c’est celui d’un monde arabe vivant dans la paix, la stabilité et la prospérité par la démocratie et la liberté. Cet espoir, je le crois possible. Les révolutions ont été le révélateur d’un monde arabe épris de liberté, en quête de dignité, en attente de droits politiques et sociaux. Là où nous avons nous-mêmes parfois donné le sentiment de douter de nos valeurs démocratiques en nous satisfaisant du statu quo dans le monde arabe et ailleurs, ces révolutions viennent nous rappeler l’universalité de ces aspirations.

Je veux dire ici mon admiration à celles et ceux - syndicalistes, militants des droits de l’homme, bloggeurs, étudiants, simples citoyennes et citoyens, parfois militaires –, qui ont eu le courage de se dresser contre la répression de pouvoirs cruels, assis sur des systèmes corrompus. Je pense notamment à l’abnégation de ceux qui, en Syrie et ailleurs, se battent quotidiennement au prix de leur vie. »

Et ailleurs ? Au Bahreïn ou au Soudan, en Jordanie ou en Arabie saoudite ?

« Le mouvement est maintenant lancé. Le mur de la peur est tombé. Pour la première fois depuis les indépendances, ceux qui étaient plutôt considérés comme des sujets ont enfin le sentiment d’être des citoyens. En Tunisie, en Libye, en Egypte, au Yémen, les sociétés ont montré qu’elles voulaient prendre en main leur avenir, là où beaucoup se permettaient de penser qu’elles en étaient incapables. A été ainsi réfuté le vieux préjugé occidental, fréquemment teinté de colonialisme, qui posait comme principe une incompatibilité congénitale entre aspiration démocratique et monde arabe – avec le sous entendu qu’il s’agissait du monde musulman.

En réalité, cette vague démocratique se nourrit d’une aspiration à l’universel qui traverse l’histoire arabe. Le monde arabe a connu dans la première moitié du XXe siècle un âge libéral, dans les pays où furent possibles des moments constitutionnels et parlementaires. Ces expériences démocratiques procédaient elles-mêmes du mouvement de renaissance culturelle et intellectuelle du XIXe siècle – la Nahda. De puissantes protestations populaires, sociales et patriotiques, largement séculières, ont émaillé ces périodes. Celles d’aujourd’hui sont à bien des égards leurs héritières, même si leurs formes et leur ampleur ne sont pas les mêmes. Loin d’être toujours le signe d’une opposition à d’autres cultures, à d’autres valeurs, et à l’encontre de prophéties erronées qui annonçaient un affrontement fatal des civilisations, les révolutions arabes sont donc à l’origine largement une réappropriation de ce qui nous est commun. Elles rappellent opportunément que l’appartenance à l’islam n’a rien d’incompatible avec l’aspiration démocratique.

Concrètement, l’espoir que nous pouvons nourrir est que les islamistes qui arrivent au pouvoir par les urnes soient conduits à des compromis utiles pour gouverner, qu’ils montrent qu’ils savent passer de l’opposition au pouvoir, qu’ils respectent le cadre dans lequel ils ont été élus, qu’ils réussissent le développement économique et social et contribuent à réduire l’extrémisme.

Que craindre ? Que, au contraire, ayant réalisé beaucoup de sacrifices pour parvenir au gouvernement, ces nouveaux pouvoirs refusent à terme de les remettre le cas échéant à d’autres ; qu’ils ne parviennent pas à se départir de la culture et de la pratique du monolithisme ancrées dans des années de répression, voir de clandestinité ; que les difficultés économiques et sociales prévisibles les conduisent à se radicaliser ; bref, pour parler brutalement, que le ticket en leur faveur soit un aller sans possibilité sinon de retour, du moins de changement. »

De quels nouveaux pouvoirs parle-t-on ? Le seul pays où un nouveau pouvoir s’est vraiment établi, c’est la Tunisie. En Egypte, c’est l’armée et l’ancien régime qui continuent de contrôler le jeu et restent le principal danger. Au Maroc, c’est un gouvernement sans marge de manœuvre que le roi a laissé s’installer. Laurent Fabius parle des révolutions comme si elles avaient eu lieu, alors qu’elles n’en sont qu’à leur début et que l’enjeu est le renversement de l’ordre ancien qui résiste. Et il maintient cette manière arrogante de l’Occident de parler des autres, tout en oubliant ses responsabilités.

« Qu’il s’agisse de ces processus électoraux au Maghreb, de la montée de l’islam radical, des menaces souvent graves qui pèsent sur les droits fondamentaux, en particulier ceux des femmes, qu’il s’agisse de la Syrie et du Mali, l’actualité immédiate apporte son paquet d’inquiétudes. Beaucoup de démocrates craignent, en effet, de se faire voler leur révolution. Dans des sociétés majoritairement conservatrices, l’islam radical d’une part et l’armée de l’autre se présentent souvent comme des recours. Dans les mouvances islamistes, à côté de vrais démocrates existent aussi des adversaires résolus du pluralisme. Entre retour du religieux et conservatisme sociétal, les droits des femmes sont souvent attaqués, ainsi que ceux des minorités religieuses. »

Encore un fois, les femmes. Mais où en est leur situation en Arabie saoudite ? Et la guerre en Afghanistan, menée au nom, entre autres, du droit des femmes, a abouti à des souffrances encore plus grandes pour celles-ci.

« En Libye, par exemple, la situation reste instable, et le gouvernement peine à s’affirmer. En Syrie, les tueries quotidiennes continuent sous l’ordre du chef des massacreurs, Bachar al-Assad. On estime à 1,5 million le nombre de personnes qui ont besoin d’aide humanitaire. Déjà plus de 100 000 syriens ont fui leur pays et sont aujourd’hui réfugiés au Liban, en Turquie, en Jordanie et en Irak, ce qui pèse sur les équilibres de ces pays. A Bahreïn, contestation populaire et préoccupations de sécurité régionale s’entrecroisent et la répression est là. »

Pourquoi, quand on parle de Bahreïn on évoque la sécurité régionale, mais pas quand on parle de la Syrie ?

« L’un des risques est celui d’une révolution empêchée ou confisquée, celui d’une forte déception après une immense espérance. Déception politique, si le processus démocratique est confisqué. Déception économique et sociale, dès lors que les révolutions ont entraîné dans un premier temps un impact économique négatif, notamment sur le tourisme et les investissements étrangers. Les révolutions ont ravivé aussi des tensions internes aux sociétés arabes : tensions sociales et religieuses, tensions entre la modernité et l’affirmation identitaire, tensions entre des sociétés plutôt conservatrices et des jeunesses éduquées plus libérales. En Syrie, en Irak, au Liban et dans l’ensemble du Proche et du Moyen-Orient, le clivage historique entre sunnites et chiites –sur lequel il faudrait de longs développements – apparaît structurant. »

La révolution ne peut pas être confisquée, car elle n’a pas encore eu lieu ! Quant aux tensions « historiques » entre chiites et sunnites, elles relèvent des lieux communs orientalistes : en 2006, durant l’agression israélienne contre le Liban, les portraits de Hassan Nasrallah ornaient les boutiques du monde arabe sunnite. Bien sûr, il existe des tensions, ici comme ailleurs, religieuses ou tribales, mais le ministre aurait pu rappeler que ce sont les télévisions satellitaires financées par notre allié saoudien qui jouent un rôle majeur dans l’exacerbation de ces tensions. Et que c’est la France qui a inventé le confessionalisme au Liban et en Syrie, allant jusqu’à créer un « Etat alaouite »

« Dans ces conditions, Les sociétés arabes pourront-elles réguler ces tensions de manière civile, pluraliste et pacifique, en un mot démocratique ? Ou au contraire, face aux risques de conflits, le choix sera-t-il fait d’une prétendue “stabilité” par le retour à des pouvoirs autoritaires, peut-être moins caricaturaux que les précédents mais guère plus démocratiques ? Voilà quelques-uns des scénarios alternatifs et des interrogations qui se dessinent.

Je suis convaincu pour ma part qu’un excès de pessimisme serait aussi inadapté aujourd’hui que pouvait l’être hier l’espoir inconsidéré d’une transition rapide vers une démocratie à l’occidentale. »

Je ne suis pas vraiment sûr que « notre » démocratie à l’occidentale soit vraiment le modèle idéal. Ainsi, en France, quand le peuple vote contre un traité européen, on dissout le peuple et on adopte le traité...

« N’oublions jamais, en effet, que tout processus démocratique est inscrit dans le temps long, qu’il comporte des avancées et des reculs, des accélérations et des blocages, des doutes qui succèdent aux promesses. La trajectoire des révolutions n’est jamais totalement linéaire. Dans notre propre histoire, après la Révolution Française, il y eut la Restauration. Après 1848, le Second Empire. Et après la Commune de 1871 vint une période d’Ordre moral, marquée par le retour du religieux. Nulle part, la démocratie ne s’invente en un jour.

J’ajoute qu’il n’existe pas un seul modèle démocratique et qu’il appartiendra à chaque pays de construire celui qui lui convient. Des formules politiques doivent être expérimentées – on pense notamment à la Turquie –, qui associent des traditions et de nouvelles formes de participation, des références spécifiques et des principes universels.

Les espoirs et les craintes étant mélangés, que faire ? C’est ma troisième interrogation, celle à laquelle un gouvernement doit répondre. Face à une situation aussi complexe, ambivalente, la France, au nom de la proximité, de l’amitié et de l’histoire qui nous lie, porte une responsabilité d’appui. Elle a aussi des intérêts à défendre. Le monde arabe est notre voisin et tout ce qui s’y passe emporte des conséquences directes pour nous. D’un point de vue économique, la stabilité du monde arabe, compte tenu de ses ressources, constitue un enjeu décisif. Il n’existe pas d’autre choix raisonnable pour nous que de travailler à la stabilité, à la paix, à la sécurité et au développement économique de ces partenaires essentiels. Nous le ferons en respectant quatre grands principes : le refus de l’usage de la violence contre le peuple, la défense des droits fondamentaux, le respect du pluralisme et des droits des minorités, la nécessité de réformes en profondeur afin de répondre aux attentes économiques et sociales des populations. »

Même la violence contre le peuple de Bahreïn ? Et s’il est bon des défendre les droits des minorités, les peuples arabes nous rappellent régulièrement et à juste titre la manière dont nous traitons nos propres minorités immigrées et/ou musulmanes.

« A court terme, nos priorités sont fixées par les urgences. En Syrie, la poursuite de la répression sanglante fait chaque jour de nouvelles victimes. La France se mobilise pour mettre fin aux violences. Lundi dernier, avec nos partenaires européens, nous avons décidé un nouvel ensemble de sanctions pour accroître la pression sur le régime. Les négociations, notamment entre les membres permanents du Conseil de sécurité, continuent afin de permettre une mise en œuvre effective du plan Annan, ce qui passe par une action ferme de ce Conseil, possiblement via une résolution sous chapitre VII. La semaine prochaine, à l’initiative de la France, le Groupe des amis de la Syrie se réunira à Paris, où sont conviés plus de cent cinquante Etats. L’enjeu est de soutenir l’opposition et de préparer la transition politique, car Bachar al-Assad doit partir.

La situation au Mali, et plus largement dans l’ensemble du Sahel, constitue une autre urgence. Si nous n’agissons pas, le Nord Mali risque de se transformer en sanctuaire durable pour les terroristes. C’est pourquoi nous nous mobilisons, là aussi, pour permettre le retour de la sécurité et de l’ordre constitutionnel. Nous soutenons les efforts de l’Union africaine, de la CEDEAO, de l’Europe et des Nations Unies pour la sécurité et le développement. Une médiation est en cours, un accompagnement de sécurité est en préparation. S’agissant de la menace terroriste, la réponse passe par une coopération régionale afin de mettre en échec ces groupes dangereux et extrêmement mobiles. La France travaille à des initiatives en ce sens, en appui des initiatives régionales et des autorités locales légitimes.

L’Iran continue de nous préoccuper gravement. Ce grand pays a, bien sûr, le droit d’utiliser l’énergie nucléaire à des fins civiles. Mais la possession par lui de l’arme atomique comporterait de lourds dangers de dissémination et déstabiliserait la région. C’est un enjeu majeur pour nous tous comme pour les pays voisins, notamment l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Qatar. En lien avec eux et avec les membres du Conseil de sécurité, nous poursuivons nos efforts pour que l’Iran accepte de se conformer à ses obligations internationales.

Nous sommes également très attentifs à la situation au Proche-Orient, où la relance du processus de paix est indispensable afin de stabiliser et de pacifier le “nouveau monde arabe”. Les changements à l’œuvre dans la région provoquent de nouvelles attentes chez les Palestiniens et risquent de modifier les conditions de la sécurité d’Israël. L’absence de progrès dans la résolution du conflit israélo-palestinien, qui pourrait favoriser le radicalisme dans les sociétés musulmanes, n’est nullement une fatalité. Peu d’évolutions sont probables avant les élections américaines. Mais nous devrons reprendre l’initiative, car le droit à un Etat palestinien viable et à la sécurité d’Israël n’est pas une ritournelle théorique, c’est une exigence impérieuse pour le monde, pour toute la région et pour la France. »

Ce qui est frappant, quand un responsable français parle du conflit du Proche-Orient, c’est qu’il s’intéresse avant tout à la sécurité d’Israël et que tous les beaux discours sur le droit, la justice, les droits humains (des Palestiniens) ne sont jamais que seconds. Et on laisse aux Etats-Unis la haute main sur la gestion de la crise palestinienne, alors que même avec un second mandat, Obama ne fera pas quelque chose de fondamentalement différent de ce qu’il a fait durant quatre ans, soutenir le gouvernement israélien, le financer, l’armer (avec quelques modestes critiques qui permettent à ce gouvernement de laisser entendre que l’antisémitisme règne à Washington). Notons aussi que l’urgence évoquée en Syrie ou ailleurs, ne concerne nullement la Palestine qui vit sous occupation depuis des décennies.

« A moyen terme, la France entend accompagner les transitions démocratiques partout où elles ont été lancées. Il n’existe pas de meilleure garantie de la paix et de la stabilité que la démocratie. Ce principe, en rupture avec certaines pratiques passées, doit être la colonne vertébrale de notre engagement. Aussi soutiendrons-nous le potentiel démocratique des révolutions arabes ainsi que la dynamique de participation politique qui s’est exprimée. Nous serons solidaires des peuples qui aspirent à la démocratie.

Ce principe affirmé, se pose naturellement la question de la méthode. Car, dans le mouvement initial comme dans la dynamique profonde de ces révolutions, existe une volonté d’affranchissement à l’égard de tout ce qui ressemblerait à une tutelle, qu’elle soit interne ou externe. Il appartient à chacune de ces sociétés de trouver sa voie et rien – a fortiori un Etat tiers – ne peut s’y substituer. Nous refuserons donc tout paternalisme, fut-il, si je peux employer cette expression, un “paternalisme pro-révolutionnaire”.

En revanche, nous serons à la fois pragmatiques et fermes. La France est volontaire pour reconnaître la légitimité et la diversité des expressions démocratiques et pour parler avec ceux qui en sont issus. Ne serait-il pas paradoxal, en effet, face à des processus démocratiques en cours, d’exprimer aujourd’hui une vigilance plus sourcilleuse que celle dont nous faisions preuve avant-hier à l’égard des anciens régimes dictatoriaux ? Il le serait tout autant de refuser le contact avec des pouvoirs élus et légitimes, alors que nous avons accepté hier des dictateurs comme interlocuteurs.

Dans le même temps, nous devons être fermes sur nos valeurs et lucides sur les événements. La France conservera sa liberté de jugement et s’exprimera si et quand elle l’estime nécessaire. En gardant à l’esprit que la démocratie, c’est aussi le respect de deux grands principes :

— D’une part, sont intangibles les libertés fondamentales – égalité devant la loi, liberté d’expression, droits des femmes, droits des minorités. Nous serons particulièrement attentifs au respect des femmes. C’est une question de dignité, mais aussi de progrès pour la société entière. Pour se donner toutes ses chances, le monde arabe doit donner aux femmes toute leur place.

— D’autre part, il n’est pas de société libre sans possibilité d’alternance politique et sans pluralisme. Nous dénoncerons donc toute tentative de confisquer le pouvoir ou de restreindre les droits démocratiques. Le respect du pluralisme est d’autant plus décisif que les sociétés arabes sont souvent diverses du point de vue ethnique ou religieux. Les droits des minorités doivent être protégés. »

Et chez nous ? Il est curieux, alors que la Cour européenne ou Amnesty International critiquent voire condamnent nombre de pratiques en France, que Paris donne l’impression de représenter LE droit et la justice. Nous donnons des leçons au monde entier, mais nous ne respectons pas les principes dont nous nous réclamons.

« Notre priorité, ce sera l’accompagnement de la nouvelle citoyenneté, en nous adressant aux sociétés plutôt qu’aux seuls gouvernements. Nos interlocuteurs devront être aussi les mouvements démocratiques, les associations de défense des droits, notamment ceux des femmes, et les mouvements qui agissent pour l’éducation, la culture ou le développement économique. Cet accompagnement, ne concernera pas la seule diplomatie ; il devra impliquer bien au-delà. Nous souhaitons que les échanges étudiants, les rencontres entre intellectuels et universitaires, le dialogue entre associations, les forums d’entrepreneurs et de chefs d’entreprise à tous les niveaux, se multiplient en mettant à profit, au moins pour ce qui concerne le Maghreb, la forte imbrication de nos sociétés.

Plus largement, les transitions démocratiques seront d’autant plus viables qu’elles parviendront à répondre aux attentes économiques et sociales, qui sont des attentes concrètes, humaines et potentiellement explosives. Les révolutions ont révélé d’immenses besoins dans les sociétés arabes : accès de tous aux biens communs, redistribution équitable de la richesse, amélioration des conditions de vie, développement économique. Chacun sait que le chômage des jeunes est à la fois l’une des principales causes des révolutions arabes et l’une des menaces majeures qui pèsent sur la suite. En Tunisie, par exemple, le taux de chômage des jeunes diplômés dépasse largement les 30 %. Il faudrait une croissance d’au moins 5 % pour absorber chaque année les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Celle-ci n’est pas, ou pas encore, à cette hauteur, au rendez-vous. »

On aurait aimé entendre, dans la bouche du ministre, une autocritique sur les politiques économiques que l’Union européenne et les organismes financiers internationaux ont encouragé pendant plus d’une décennie dans ces pays du Sud, sur le silence face au pillage de leurs ressources par des élites avec qui nous nous entendions si bien. Et ces élites voleuses continuent de dominer l’économie, en Egypte ou en Tunisie. Changerons-nous nos pratiques de coopération ?

« Sur ce terrain économique et social, nous – et l’Europe – pouvons et devons accompagner fortement les changements engagés. Il y va de leur avenir comme du nôtre. Emploi des jeunes, éducation et formation, développement des territoires, investissements productifs, mais aussi lutte contre les inégalités ou contre les dégradations environnementales : la satisfaction de ces besoins est vitale pour l’avenir des sociétés arabes. Ce qui est en jeu pour nous, c’est la stabilité de l’ensemble de la région, l’avenir des mobilités entre les deux rives de la Méditerranée, le futur de nos échanges économiques et celui de la francophonie. Nos destins sont clairement liés.

On sait que le Président de la République François Hollande a fait de la jeunesse, de la justice et de la croissance les trois priorités de sa politique de redressement pour la France. Il est significatif de relever que ces priorités, d’une façon certes un peu différente mais analogue, sont précisément aussi celles des printemps arabes. Une convergence naturelle se dessine donc en vue d’une démarche de solidarité entre les deux rives de la Méditerranée. Jeunesse, justice et croissance doivent être au cœur du partenariat euro-méditerranéen que nous voulons bâtir. J’insiste notamment sur la jeunesse qui implique une priorité à l’éducation, à la formation professionnelle mais aussi à la culture et aux échanges universitaires. L’abrogation récente de la fameuse et choquante circulaire Guéant a été un premier signe attendu, qui permet à la France de confirmer qu’elle veut être une “puissance d’influence” en contribuant à la formation des élites qui feront le monde arabe de demain. »

Malgré l’abrogation de la circulaire Guéant, les premières déclarations du nouveau ministre de l’intérieur restent peu encourageantes sur les futures pratiques de la France dans le domaine de l’immigration ou de l’islamophobie.

« Ces priorités s’inscrivent aussi dans une vision de long terme : nous voulons contribuer à la construction d’une sorte de grand ensemble euro-méditerranéen, atout considérable pour l’Europe et le monde arabe dans la mondialisation. Pour y travailler, il nous faut des outils efficaces. Des réorientations et des infléchissements seront nécessaires sur la base d’un inventaire précis.

L’Union pour la Méditerranée partait d’une ambition généreuse, mais maladroite. Il n’était probablement pas réaliste de vouloir inclure les deux rives de la Méditerranée dans un même ensemble rigide, en prétendant passer outre aux divergences, aux différences et même aux conflits qui peuvent exister sur les deux rives. Le choix de MM. Moubarak et Ben Ali comme arcs-boutants ne traduisait pas une fulgurante clairvoyance. L’ambition de l’UpM n’a pas survécu aux premières difficultés. Mais il nous faut utiliser son secrétariat, qui a montré son utilité, et gérer des projets concrets de coopération. »

C’est l’arrêt de mort d’une organisation qui, il faut le reconnaître, n’a jamais vraiment existé.

« Plutôt que de rouvrir dès maintenant le dossier institutionnel, je crois à la méthode des coopérations “à géométrie variable”, susceptibles de regrouper des pays volontaires pour des projets précis. Nous avons besoin de formats différenciés pour répondre à la diversité des situations et mettre en œuvre sans attendre des coopérations concrètes. Nous devrons veiller à ce que soient tenues les promesses du Partenariat de Deauville : celle de soutenir financièrement le développement économique et social des pays en transition. »

Pour l’instant ces promesses n’ont pas été tenues et, dans le contexte de crise économique et de réduction de dépenses, on peut avoir quelques doutes sur la détermination du gouvernement.

« Avec les pays du Maghreb, la France partage une responsabilité particulière. Par notre proximité, nous devons être avec eux des acteurs de la construction d’un espace de coopération et d’échanges entre les deux rives. Mais il est aussi essentiel que l’Europe dans son entier s’implique dans le partenariat avec le monde arabe. C’est pourquoi la France portera avec conviction cette priorité méditerranéenne auprès de ses partenaires de l’Union Européenne, selon l’esprit original de la conférence de Barcelone de 1995.

Pour y travailler, nous devons aussi être des acteurs déterminés de l’intégration régionale car nous savons, en tant qu’Européens, les bénéfices que la paix peut en tirer. L’Union du Maghreb Arabe peut retrouver vie, à la faveur d’un réchauffement algéro-marocain et d’un fort volontarisme tunisien. Au-delà du cercle méditerranéen, le Conseil de Coopération des Etats arabes du Golfe (CCEAG) prend son essor. L’UE entretient avec lui un dialogue régulier, il faudra aller au-delà et engager un véritable partenariat.

Mesdames, Messieurs, il existe bien un “nouveau monde arabe” : il est divers, parfois déroutant, fait d’avancées et de reculs, mais il parle pour l’essentiel le langage de la liberté, qui reçoit dans notre pays un écho puissant. C’est heureux pour la France, dont la langue fut, et peut être encore, ainsi que le proclamait Jacques Berque en 1956, “l’hellénisme des peuples arabes”. Afin d’illustrer le sens de cette nouveauté arabe pour la France d’aujourd’hui, je reprendrai volontiers la propos de ce grand arabisant, prononcé en un temps où la position de la France auprès des peuples arabes était bien plus délicate. “Nous avons, disait-il, le devoir de contribuer à de jeunes libertés, ne fût-ce que pour ménager en elles notre place. Proclamer l’avenir de la chose franco-arabe, au moment où beaucoup, parmi les autres et parmi nous, le déchirent, l’audace semble paradoxale. Je soutiendrai ce paradoxe…”. »

Sans vouloir décevoir le ministre, il est plus que douteux que les peuples arabes considèrent le français comme l’hellénisme de leur monde.

« Et bien moi aussi, je soutiens ce paradoxe : l’anticipation avant-hier des indépendances appelle un vaste écho aujourd’hui, alors que les révoltes arabes sont vécues comme le prolongement des luttes d’il y a cinquante ans. Ce printemps arabe, ces printemps parfois menacés d’automnes ou d’hivers, nous rappellent la proximité qui nous lie. Plusieurs millions de nos compatriotes ont leur famille originaire de cette partie du monde. Dans les pays du Maghreb, notre langue est parlée quotidiennement avec la langue arabe aux divers échelons de la société. L’histoire et nos coopérations nous confèrent toujours l’image d’une nation à la culture émancipatrice. Les positions traditionnelles de notre pays en faveur des droits légitimes des peuples, malgré quelques éclipses, nous y ont valu des sympathies durables. Nous devons cultiver ces sympathies, les réveiller parfois, les faire fructifier aussi, les mériter toujours.

En dépit de certains aspects sombres du passé, notre histoire avec le monde arabe est d’abord celle d’une histoire partagée. Les révolutions arabes ouvrent une page nouvelle de cette rencontre historique avec la France, puissance d’influence. Il nous revient de l’écrire ensemble, en amitié et en partenariat avec les peuples arabes, faisant de la Méditerranée un espace prometteur de coopération et de partage. »

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Source : Les blogs du Diplo
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