Opinion
La place
Tahrir s'embrase à nouveau
Alain Gresh
Alain
Gresh
Jeudi 30 juin 2011
Les affrontements violents qui se
sont déroulés sur la place Tahrir
confirment que « l’Egypte
est en révolution » (lire Le
Monde diplomatique, juillet 2011, en
kiosques). Une révolution au tout début
du gué, pour laquelle bien des luttes
seront encore nécessaires, comme le
montrent les évolutions de la presse (« Des
médias en lévitation »).
Que s’est-il passé dans la nuit du 28
au 29 juin ? Il est difficile de se
faire une idée précise sur l’élément
déclencheur des violences (pour les
différentes versions, lire « Who
pulled the first punch ? Conflicting
accounts of the Martyrs’ Day of Rage in
Tahrir », Ahram online,
30 juin). Des familles de martyrs de la
révolution tenaient une réunion dans un
théâtre ; certaines autres familles ont
essayé de s’y joindre mais auraient été
interceptée par la police, qui a opéré
des arrestations. Elles se sont alors
repliées sur la place Tahrir où d’autres
arrestations ont eu lieu, les policiers
utilisant des balles en caoutchouc et
des gaz lacrymogènes. Des centaines de
personnes se sont alors jointes aux
manifestants et les combats ont duré
toute la nuit (on trouvera une
chronologie heure par heure
sur le site d’Ahram online.
Selon les chiffres du ministère de la
santé, une millier de blessés dont 124
ont été hospitalisés.
On trouvera aussi une couverture
vidéo (en arabe) qui permet de suivre
presque en direct ce qui se passe à
Tahrir
sur le blog 3Arabawy.
Au-delà de l’étincelle qui a mis le
feu aux poudres, l’exaspération des
familles de martyrs qui ne voient pas
les coupables d’exactions punis par la
justice alimente les colères.
Sur le site The Arabist, Ursula
Lindsey écrit (« Fighting
again in Tahrir », 29 juin) :
« Cette violence est le résultat
inéluctable du manque de transparence et
de dynamisme des procédures judiciaires
contre les responsables de l’ancien
régime, et en premier lieu de la police.
Les familles des victimes ont été
interdites d’assister à la dernière
session du procès de Habib Al Adly,
l’ancien ministre de l’intérieur ; leur
colère a éclaté lorsque le procès a été
encore une fois reporté. Tous les jours,
j’entends des histoires sur des
officiers de police inculpés ou
susceptibles de l’être qui reviennent à
leurs anciennes fonctions ; que des
familles sont achetées ou menacées
(“nous arrêterons votre autre fils pour
une affaire de drogue”) si elles ne
renoncent pas à porter plainte. »
Alors qu’on attendait pour le jeudi
30 juin le verdict du procès contre les
deux policiers présumés responsables de
la mort du jeune blogueur Khaled Said à
Alexandrie, le 6 juin 2010, la décision
a été repoussée en septembre. Said est
devenu l’un des symboles de la
révolution du 25 janvier.
Mais c’est aussi l’usage de la
violence par les forces de l’ordre et la
décision de présenter les personnes
arrêtées à des procureurs militaires qui
soulèvent la colère et une volonté de
pousser à des changements plus profonds.
Le mouvement du 6 avril, qui appelait à
une manifestation à Tahrir le vendredi
8 juillet, a décidé de commencer un
sit-in dès le jeudi 30 au matin, après
la prière (« April
6 Youth Movement moves up July protest
in response to clashes »,
Almasryalyoum, 29 juin).
Les révolutions arabes
ne sont pas finies, mais elles sont
encore à leur début. Elles se heurtent à
bien des obstacles, à bien des défis,
mais la volonté des peuples de ne
capituler ni devant la répression ni
devant les fausses promesses, est la
garantie du succès. Cette volonté
s’exprime aussi à travers les nombreuses
organisations qui se sont constituées
ces dernières années en Egypte pour
préparer la révolution, et qui
poursuivent leurs activités.
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