Opinion
Qaradawi, Ramadan
et la démagogie de Guéant et Juppé
Alain
Gresh
Alain
Gresh
Jeudi 29 mars
2012
Le 29 mars, Claude Guéant et Alain
Juppé ont publié
un communiqué commun :
« A la demande du président de
la République, Nicolas Sarkozy, le
Gouvernement a décidé d’interdire
l’entrée sur le territoire français
de quatre personnalités étrangères
invitées au congrès de l’Union des
Organisations Islamiques de France
(UOIF) qui se tiendra au Bourget du
6 au 9 avril 2012. Ainsi, Akrima
Sabri, Ayed Bin Abdallah Al Qarni,
Safwat Al Hijazi, Abdallah Basfar se
sont vus refuser ou retirer la
possibilité de se rendre sur le
territoire français. Youssef Al
Qaradawi et Al Masri ont, quant à
eux, renoncé à venir.
Les positions et les propos
tenus par ces personnes qui
appellent à la haine et à la
violence portent gravement atteinte
aux principes de la République et,
dans le contexte actuel,
représentent un fort risque de
troubles à l’ordre public. »
En refusant d’accueillir des
personnalités proches des Frères
musulmans, le gouvernement, et notamment
M. Alain Juppé, réduit à néant
les semblants d’autocritique qu’il
avait fait au lendemain des révolutions
arabes et du fiasco de la politique
française (appui à Ben Ali, à Moubarak,
etc.).
Le ministre des affaires étrangères
déclarait alors :
« C’est enfin le sens du
message que j’ai adressé à nos
ambassadeurs dans les pays arabes
que j’ai réunis hier à Paris, en
leur demandant d’élargir le spectre
de leurs interlocuteurs à l’ensemble
des acteurs de la société civile.
Trop longtemps, nous nous sommes
consciemment ou inconsciemment un
peu trop limités dans nos contacts,
limités aux gens en place si je puis
dire. Je crois que nous devons
parler, échanger nos idées avec tous
ceux qui respectent les règles du
jeu démocratique et bien sûr le
principe fondamental du refus de
toute violence. Et je souhaite que
ce dialogue s’ouvre sans complexe
aux courants islamiques, dès lors
que les principes que je viens
d’évoquer, les règles du jeu
démocratique, le refus de toute
violence sont respectés de part et
d’autre. »
Qaradawi, qu’on le veuille ou non,
représente l’une des références des
Frères musulmans. Il milite en faveur de
l’ouverture et fait régulièrement
pression sur les Frères d’Egypte pour
qu’ils abandonnent leur sectarisme,
cette semaine encore dans une lettre
adressée à la direction du mouvement («
Sheikh Qaradawi cautions Brotherhood on
presidential contest », Ahramonline,
27 mars 2012). Alain Juppé refuse-t-il
le dialogue avec lui ?
La politique française semble à
géométrie variable : Paris a mis des
semaines avant de féliciter Ennahda pour
sa victoire en Tunisie, mais n’hésite
pas à cautionner les Frères musulmans
syriens.
Il est vrai que Claude Guéant est
convaincu qu’il y a des civilisations
plus civilisées que d’autres...
Tout cela ne dit rien de bon sur ce
que seront les relations de la France
avec le monde arabe où — que cela nous
plaise ou non — les élections donnent
partout la majorité aux partis
islamistes issus des Frères musulmans.
Les deux ministres reprennent aussi
les habituelles attaques contre Tariq
Ramadan, « le musulman que nous adorons
haïr ». Il vient depuis des années en
France, est invité dans les pays
européens et aux Etats-Unis. S’il tenait
vraiment des propos contraires à la loi,
pourquoi l’a-t-on laissé faire ?
« Nous regrettons que l’UOIF
ait en outre choisi d’inviter Tariq
Ramadan, ressortissant suisse, dont
les positions et les propos sont
contraires à l’esprit républicain,
ce qui ne rend pas service aux
musulmans de France. »
Au nom de quels arguments ?
« Le gouvernement protège la
liberté de tous les cultes et est
attaché à ce que les musulmans de
France puissent vivre librement leur
foi. Le gouvernement est en outre
attaché à la liberté d’expression,
droit fondamental garanti par la
constitution.
Mais alors que la France est
frappée par des extrémistes qui
l’attaquent au nom d’idéologies ou
de croyances dévoyées, il est
capital que ces libertés s’exercent
dans le cadre de la loi et dans le
respect des valeurs fondamentales
qui sont les nôtres : les droits de
l’homme, l’égalité entre les hommes
et les femmes, la laïcité, le
respect des religions et des
opinions des autres, le refus des
communautarismes. »
Mais en quoi ces personnes
s’expriment-elles en dehors du cadre de
la loi ? Cela n’est évidemment pas
précisé. La rumeur suffit...
En revanche, qui défend l’égalité
entre les hommes et les femmes ? L’UMP,
qui préfère payer des amendes plutôt que
de présenter des listes paritaires aux
élections législatives ? Une assemblée
nationale dont plus de 80 % des élus
sont des hommes ? Un pays où les
violences faites aux femmes, dès lors
qu’elles ou leur compagnon ne sont pas
musulmans, ne suscitent jamais aucune
riposte et sont rangées dans la rubrique
des drames passionnels ?
Qui lutte pour la laïcité ? Nicolas
Sarkozy, qui pense que
l’instituteur ne pourra jamais remplacer
le curé ou le pasteur ?
Qui lutte contre le communautarisme ?
Un gouvernement qui assiste au grand
complet, avec à sa tête le président de
la République, au dîner annuel du CRIF ?
Des élus qui monnayent leur appui à la
construction de mosquées contre le «
vote musulman » et demandent aux imams
d’appeler dans les mosquées à voter pour
eux ? Sarkozy qui, pendant des années, a
négocié avec l’UOIF sans que cela lui
pose le moindre problème ?
Visiblement, le président-candidat
panique devant la perspective d’une
défaite annoncée par tous les sondages.
L’affaire Merah n’ayant pas eu l’effet
escompté, il cherche à ranimer les
flammes de l’islamophobie et fait passer
ses intérêts électoraux avant tout, au
risque d’aggraver les divisions dans la
société française. Il joue sciemment
avec le feu.
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