Opinion
Vers une
intervention de l'armée en Egypte ?
Alain Gresh
Alain
Gresh
Mardi 25 juin 2013
Alors qu’approche le 30 juin, date
anniversaire de l’entrée en fonction du
président Mohammed Morsi, le premier
civil élu démocratiquement chef de
l’Etat égyptien, les présages
d’affrontements s’accumulent. Certains
annoncent des accrochages sanglants lors
des manifestations prévues par
l’opposition pour demander la démissions
de Morsi en ce jour anniversaire. Les
rumeurs les plus folles circulent, les
armes aussi.
Dans ce contexte troublé, on évoque à
nouveau l’intervention de l’armée. Dans
un discours, le ministre de la défense,
le général Abdel Fattah Al Sissi, a
déclaré que « les forces armées ne
resteront pas silencieuses face à la
spirale qui entraîne le pays dans un
conflit incontrôlable ». Après avoir
appelé à la fin des divisions, il a
prôné une entente entre toutes les
forces politiques avant le 30 juin.
Mettant l’accent sur les relations
« éternelles » entre les forces
armées et le peuple, le ministre a
expliqué « que ceux qui se croient
capables de contourner ou d’affecter
cette relation ont tort ». La
mission des forces armées est « de
protéger la volonté populaire (...)
nous ne pouvons garder le silence
face à l’intimidation des Egyptiens »
(lire
Al-Masri Al-Youm et « Egyptian
General Warns Against Violence as
Anniversary Approaches », New
York Times, 23 juin).
Rappelons que c’est en août 2012 que
le président Morsi avait nommé Sissi au
ministère de la défense,
décapitant ainsi le Conseil suprême des
forces armées(CSFA).
Le lendemain des déclarations du
général Sissi, le porte-parole de la
présidence Ihab Fahmy a indiqué que le
rôle de l’armée est de protéger les
frontières et les institutions vitales
de l’Etat et qu’elle n’a pas de vocation
politique. « Nous avons un président
dirigeant le pays d’une manière
démocratique et nous ne pouvons imaginer
le retour de l’armée. » (« Egypt’s
presidency : Military won’t step in »,
Ahram online, 24 juin).
Les partisans de l’ancien régime
n’ont jamais caché leurs volonté de voir
l’armée intervenir, d’autant qu’elle a
connu très peu de bouleversements depuis
la révolution. Plus étranges sont les
propos de Hamdin Sabbahi, arrivé en
troisième position au premier tour de
l’élection présidentielle de mai 2012,
et qui déclare que « ceux qui ont
crié à bas le pouvoir militaire ont fait
un tort à la révolution » (« “Down
with military rule” chant harmed
revolution : Egypt’s Hamdeen Sabbahi »,
Ahram online, 24 juin).
C’est oublier un peu vite le bilan
désastreux du CSFA, qui a dirigé le pays
pendant près de dix-huit mois après la
chute du président Hosni Moubarak en
février 2011. Non seulement il porte une
lourde responsabilité dans cette
transition sans fin (il a fait adopter,
avec l’aide des Frères musulmans, une
feuille de route de la transition qui a
conduit à l’impasse actuelle) mais,
contrairement à ce que certains veulent
faire croire, il a joué un rôle actif
dans la répression violente des
manifestations avant et après la chute
de Moubarak.
Le quotidien britannique The
Guardian a publié le 10 avril 2013
le rapport accablant d’une commission
indépendante remis au président Morsi en
janvier 2013 et que celui-ci a gardé
sous le coude (« Egypt’s
army took part in torture and killings
during revolution, report shows »,
10 avril 2013). Il éclaire la manière
dont l’armée a agi durant les semaines
révolutionnaires, participant
directement à la répression, torturant,
faisant disparaître des jeunes dont on
est toujours sans nouvelle. L’armée qui
reviendrait demain au pouvoir n’est pas
différente, n’agirait pas autrement.
L’Egypte est en crise. Les Frères
musulmans et M. Morsi ont été incapables
d’engager les réformes nécessaires et
d’établir un dialogue national ;
l’opposition s’est alliée aux restes de
l’ancien régime et a refusé aussi tout
dialogue significatif avec le pouvoir.
Enfin, les jeunes de la révolution, qui
représentent une force non négligeable
(plus importante que le Front de salut
national qui regroupe l’opposition
traditionnelle) si on en croit les
sondages (« After
Tahrir : New Poll Findings from Egypt »,
Zobby Research Services, juin 2013),
n’ont pas été capable de transformer
politiquement son influence. Les jours
qui viennent risquent d’être décisifs
pour l’avenir du pays.
L’existence du Monde
diplomatique ne peut
pas uniquement dépendre du
travail de la petite équipe
qui le produit, aussi
enthousiaste soit-elle. Nous
savons que nous pouvons
compter sur vous.
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