Nouvelles
d'Orient
Georges
Ibrahim Abdallah, trentième année dans
les prisons françaises. Un appel d’élus
Alain Gresh
Alain
Gresh
Mercredi 23 octobre 2013
J’ai déjà évoqué à plusieurs reprises
le cas de Georges Ibrahim Abdallah,
notamment dans Le Monde diplomatique
(avec Marina Da Silva, « Georges
Ibrahim Abdallah, un prisonnier
politique expiatoire », mai 2012).
Il entame, demain 24 octobre 2013, sa
trentième année d’incarcération. Il
existe peu de prisonniers politiques qui
sont, à l’heure actuelle, encore
embastillés pour une si longue période,
à part des Palestiniens oubliés de tous
et, à ma connaissance, personne d’autre.
Son sort est tellement scandaleux que
même l’ancien préfet Yves Bonnet, patron
de la Direction de la sécurité du
territoire (DST) de 1982 à 1985, et
ex-député UDF, demande sa libération (« Le
sort de Georges Ibrahim Abdallah »,
Sud-Ouest, 17 septembre 2013).
Un livre témoignage, Où le sang
nous appelle (Le Seuil), écrit par
Daniel Schneidermann et Chloé Delaume,
évoque longuement le cas de Georges
Ibrahim Abdallah, dont Delaume est la
nièce. On trouvera, sur le site de cette
dernière, un texte où elle raconte
qu’elle a remis l’ouvrage à Christiane
Taubira qui, avec d’autres, a son mot à
dire sur le dossier (« #Sérail,
famille, magie », 8 octobre 2013) :
« Mon père, mes oncles, ma
famille. Le caveau de mon père, mon
oncle Georges en prison. Visiter papa ça
c’est fait, comment s’y prendre avec
Tonton. Georges Ibrahim Abdallah,
emprisonné depuis 30 ans, combattant
libanais dans une cellule de France.
Prisonnier politique. Peut-être libéré à
condition d’être expulsé immédiatement
vers le Liban, dès sa sortie. Il
suffirait pour ça que Manuel Valls signe
l’arrêté. A quoi bon froisser
l’ambassade américaine, indisposer
l’Etat d’Israël pour ce détenu. Georges
Ibrahim Abdallah, marxiste, cause
palestinienne, des fractions et des
guerres devenues d’outre siècle. Il
préfère ne pas, Manuel Valls. Depuis
janvier dernier, et il ne bougera pas.
Aucun intérêt, ni pour lui, ni pour la
France, dans cette histoire.
Penser à l’émission Faites entrer
l’accusé, ses affaires criminelles
grouillant de pédophiles meurtriers
récidivistes. Entre la bonne conduite et
les remises de peine, ils sortent après
15 ans. Réaliser qu’en France certains
combats ne se purgent que par la
perpétuité, les années de plomb se
paient cher, et l’outre-siècle n’est
plus coté.
Ce week-end j’ai loupé la Nuit
Blanche. Mais j’ai donné Où le sang
nous appelle à Christiane Taubira.
Ce livre ne porte en lui aucun
sort de libération, il n’a pas le
pouvoir de modifier le réel. Faire
sortir un oncle de prison, c’est
beaucoup plus difficile que de tuer sa
grand-mère.
Le performatif ne fonctionne pas,
ici dire n’est pas faire. Même si
Christiane Taubira est une femme
puissante, qui fait parce qu’elle a dit.
Même en imaginant qu’elle se trouve
convaincue, faire sortir Georges, elle
ne pourrait pas. Le gouvernement
français ne va pas s’emmerder pour un
vieux communiste arabe, l’Ennemi
numéro 1, la peur est toute mitée, plus
personne ne sait qui c’est, Georges
Ibrahim Abdallah.
Il a raison, François Hollande,
“La politique ce n’est pas de la magie”.
Par contre, la magie peut être
politique. Alors si cet hiver un cyclone
fait tomber les murs de la Centrale de
Lannemezan, il n’est pas impossible
qu’il soit revendiqué. D’ici là je vais
devoir maîtriser le sumérien. »
Dans une déclaration faite le
23 octobre à la presse, son avocat,
Me Jean-Louis Chalanset, déclare :
« Aujourd’hui dans la 30ème année de sa
détention, on refuse de l’expulser,
seule condition à sa libération, au
mépris des décisions des juges et au
mépris de tous les usages concernant un
étranger condamné à une peine
criminelle. Il convient de souligner que
jamais en France un prisonnier politique
n’a été détenu aussi longtemps que
Georges Ibrahim Abdallah. »
Il évoque aussi la lettre que, pour
la première fois, des élus, députés,
sénateurs, maires, conseillers régionaux
— socialistes, communistes, Verts, ainsi
qu’une centriste — adressent au
président de la République pour réclamer
sa libération et son retour au Liban,
dont les autorités sont prêtes à
l’accueillir. Nous la publions
ci-dessous :
Lettre ouverte au
président de la République
Paris, le 23 octobre 2013,
Il a passé plus de temps en
prison que Nelson Mandela. Il est le
plus vieux prisonnier politique du
continent européen et sans doute un
des plus vieux du monde. Le
24 octobre 2013, il entamera sa
trentième année de détention.
Georges Ibrahim Abdallah a été
condamné le 24 octobre 1987 à la
prison à vie.
Il peut bénéficier d’une
libération conditionnelle depuis
1999. Et, pourtant, alors même que
le Liban s’est dit prêt à
l’accueillir, il s’est vu refuser
huit fois cette demande.
Ce refus est d’autant plus
scandaleux que, en 1985, dans le
cadre de négociations menées pour la
libération d’un otage français, les
plus hautes autorités de la France
avaient accepté qu’il soit libéré.
Elles n’ont pas tenu parole. Ce qui
indignait l’ancien directeur de la
direction de la surveillance du
territoire (DST), le préfet Yves
Bonnet : « Cette injustice a
assez duré ; elle a même dépassé les
limites du raisonnable. Qu’on le
mette dans un avion et qu’on le
renvoie chez lui, au Liban, où les
autorités sont disposées à
l’accueillir. » (Déclaration à
France 24, 28 décembre 2011).
C’est pour cela, Monsieur le
Président, que nous, élus de la
République, nous vous demandons de
mettre un terme à cette injustice et
de prendre les mesures, quelles que
soient les pressions étrangères,
pour qu’il puisse être libéré et
rejoindre le Liban.
Signataires
Noël Mamère, député-maire de
Bègles
Serge Janquin, député-maire de
Labuissière
Danielle Bidard-Reydet, sénatrice
honoraire
Sergio Coronado, député des
Français établis hors de France
Patrick Braouezec, membre
honoraire du parlement
Nathalie Goulet, sénatrice
Bally Bagayoko, vice-président du
Conseil général de Seine-Saint-Denis
François Asensi, député-maire de
Tremblay-en-France
Stéphane Gatignon, maire de
Sevran
Jean-Claude Lefort, député
honoraire
André Chassaigne, député du
Puy-de-Dôme
Nicole Borvo, sénatrice honoraire
Jacques Perreux, conseiller
régional
Rose-Marie Saint-Germes-Akar,
conseillère régionale
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