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La France et l'Iran
Alain Gresh
Alain Gresh
Mardi 20 octobre 2009 Une dépêche de l’AFP du 20 octobre,
datée de Vienne, indique que Manouchehr Mottaki. le ministre des
affaires étrangères iranien a déclaré que son pays « juge
inutile la présence de la France à la réunion de Vienne sur la
livraison de combustible nucléaire à Téhéran », à laquelle
participent également les Etats-Unis et la Russie. La République
islamique a proposé à l’Agence internationale de l’énergie
atomique (AIEA) de solliciter (en son nom) des pays tiers pour
la livraison de combustible destiné à son réacteur de recherche
de Téhéran.« “L’Agence a contacté quelques pays, et les
Etats-Unis et la Russie ont accepté de participer aux
négociations pour fournir le combustible”, a déclaré à la presse
le ministre iranien. “Les négociations vont être menées avec ces
deux pays en présence de l’Agence. Nous n’avons pas besoin de
beaucoup de combustible et nous n’avons pas besoin de la
présence de beaucoup de pays. Il n’y a aucune raison pour la
France d’être présente”, a-t-il poursuivi. »
Les discussions ont dû être suspendues quelques heures, mais
elles ont finalement repris, avec la présence du représentant de
la France.
Comment expliquer cette attitude iranienne ? Pourquoi la
France qui, à un moment, pouvait jouer les intermédiaires avec
les pays du Proche-Orient apparaît-elle, incapable de le faire,
notamment sur le dossier du nucléaire iranien ?
Pour le comprendre, il suffit de lire la presse française,
largement alimentée par l’Elysée et qui se contente souvent de
refléter les positions de la présidence de la République et, en
partie, celle du ministère des affaires étrangères. Le lundi
19 octobre, Le Figaro titre en Une, « Nucléaire iranien,
le rendez-vous de la dernière chance ». En page 2, un long texte
d’Isabelle Lasserre et Delphine Minoui, intitulé,
« L’irrésistible marche iranienne vers la bombe » (le
titre de l’édition électronique est différent).
Sur la réunion de Vienne, les deux journalistes écrivent :
« À Paris, dans les couloirs des cabinets ministériels, on
reconnaît pourtant que les jeux sont loin d’être faits. D’abord,
parce que “la principale exigence des Six reste le gel du
programme nucléaire, et que, sur ce point primordial, Téhéran
n’a toujours pas répondu”, précise le même diplomate. Ensuite,
parce que les Européens négocient sans relâche avec l’Iran
depuis six ans et qu’aucune de leur offre n’a jamais été
acceptée par Téhéran. Pourquoi le régime, qui s’est encore durci
depuis, dérogerait-il cette fois à la règle ? D’autant plus que
la dissimulation de ses installations nucléaires pendant 18 ans
- avant la révélation, en 2003, de l’existence du site
d’enrichissement de Natanz - a, depuis longtemps, altéré la
confiance. »
Ce que les journalistes oublient de dire c’est qu’un accord
partiel avait été trouvé en 2004, que l’Iran avait suspendu
l’enrichissement d’uranium et accepté des inspections
renforcées. L’échec des ces tentatives de règlement doit
beaucoup à l’administration Bush (lire « Comptes
à rebours en Iran » et le numéro de Manière de Voir,
« Tempêtes
sur l’Iran »).
Et on a assisté aussi, non seulement à un durcissement de la
position iranienne depuis 2005, mais aussi à celle de la France,
qui s’est alignée sur les positions néoconservatrices
américaines durant les deux dernières années du mandat de
Jacques Chirac (Lire « Improbable
alliance entre Paris et Washington »). Une orientation
accentuée par Nicolas Sarkozy et le groupe de penseurs qui
décident de cette politique, notamment Thérèse Delpech que
citent Isabelle Lasserre et Delphine Minoui dans leur article du
Figaro et qui, comme le président Sarkozy, s’inquiète de
la nouvelle politique de Barack Obama : « Ce qui manque à
l’Amérique, ce ne sont pas les bonnes intentions, elle en a à
revendre, c’est la capacité de résoudre les crises. Elles sont
trop nombreuses au Moyen-Orient, en Extrême-Orient, en Asie
centrale, pour se contenter de discours. »
On peut remarquer que seule la France (et sa presse) semble
indiquer qu’il y a un délai pour les négociations, que celles-ci
devraient être terminées avant la fin de l’année. Washington se
garde de lancer un tel ultimatum.
Dans un article du Monde, « Grandes
manoeuvres autour de l’atome iranien » (17 octobre), Natalie
Nougayrède, qui reproduit régulièrement le point de vue officiel
français, écrit : « La diplomatie française estime en outre
que les discussions sur le scénario d’évacuation d’uranium ne
doivent en rien effacer, ni faire passer au second plan, les
demandes faites à l’Iran dans le cadre des résolutions
successives du Conseil de sécurité de l’ONU. Il s’agit de
l’obligation qu’a Téhéran de “rétablir la confiance” sur les
intentions prétendument pacifiques de son programme nucléaire,
en suspendant les activités d’enrichissement d’uranium et en
faisant toute la lumière sur ses travaux scientifiques. Les
responsables français ont le sentiment que l’administration
Obama s’est aventurée sur un terrain glissant en élaborant un
scénario qui valide potentiellement les activités iraniennes
d’enrichissement d’uranium et ouvre la voie à de nouvelles
manoeuvres dilatoires de Téhéran. Jusqu’où les réticences
françaises s’exprimeront-elles ? Officiellement, Paris joue le
jeu et se dit prêt à fournir l’Iran en combustible pour le
réacteur de Téhéran si un accord solide est trouvé. Mais
l’implication des Français dans le circuit technologique leur
fournit un verrou, dont ils pourraient faire usage s’ils jugent
que les bonnes conditions ne sont pas réunies. »
Manque de chances, l’Iran ne veut pas de la France...
Le radicalisme du président de la République suscite quelques
remous, non seulement au sein de la direction Afrique du
Nord-Moyen-Orient considérée comme un bastion des « arabistes »,
mais même chez Bernard Kouchner, peu suspect de sympathies pour
le régime iranien.
Comme le rappelle Vincent Jauvert, dans « Feu
sur Kouchner !, », Le Nouvel Observateur,
1er octobre : « Il n’y a guère de précédents dans l’histoire
de la Ve République. Lundi matin, sur France-Inter, le ministre
des Affaires étrangères a confirmé publiquement qu’il n’était
pas d’accord avec le président sur le dossier diplomatique jugé
essentiel par l’Elysée : l’Iran. Le différend est stratégique.
Nicolas Sarkozy a adopté la vision des “faucons” américains et
des dirigeants actuels d’Israël. Au cas où Téhéran refuserait de
coopérer pleinement avec l’AIEA, il veut des sanctions qui
fassent mal aux leaders iraniens mais aussi à leur peuple. Il
souhaite donc que la communauté internationale impose un embargo
sur le carburant à destination de l’Iran (qui produit beaucoup
de pétrole mais en raffine trop peu pour sa consommation
intérieure). »
On ne s’étonnera donc pas de voir les faucons américains
utiliser l’attitude du président Sarkozy contre Obama. Ainsi,
Charles Krauthammer, dans The Washington Post du
2 octobre, « Obama’s
French Lesson ». Sarkozy, selon lui, « ne peut cacher son
étonnement devant la naïveté d’Obama ».
En revanche, si on en croit Samy Cohen, dans une tribune du
Monde (20 octobre 2009), « Le
dilemme d’Israël face à l’Iran », un fort débat agite les
responsables à Tel-Aviv :
« Depuis longtemps deux écoles s’affrontent. L’une croit
en la volonté du régime iranien de détruire Israël. Le cocktail
de fondamentalisme religieux, de possession de l’arme atomique
et de politique d’hostilité affichée à l’encontre d’Israël rend,
aux yeux de cette première école, la “menace iranienne”
particulièrement préoccupante.
Mais cette vision est de plus en plus battue en brèche
dans les milieux plus “rationnels” de l’expertise stratégique.
S’ils sont sensibles au discours hostile et négationniste d’un
Mahmoud Ahmadinejad, ils ne croient guère que l’Iran représente
une “menace existentielle” pour Israël. Et ils n’hésitent pas à
critiquer le discours officiel. Ils y voient une “construction”
politique “contre-productive” qui inquiète les Israéliens au
lieu de les rassurer. Le ministre de la défense, Ehud Barak, qui
représente bien cette évolution de la pensée stratégique, a pris
ses distances avec le ton alarmiste du premier ministre :
“L’Iran ne constitue pas une menace pour l’existence d’Israël”,
a-t-il affirmé à la mi-septembre.
De fait, la plupart des experts en Israël ne croient pas
que l’Iran prendra le risque de se faire détruire par une
attaque nucléaire israélienne de “seconde frappe”, sachant
qu’Israël a les moyens de la déclencher, notamment grâce à ses
sous-marins lanceurs de missiles de croisière. L’Iran est pour
eux un pays qui “monte en puissance” et voit son influence
s’accroître régulièrement au Proche-Orient. Il est peu probable
que ses dirigeants veuillent enrayer cette dynamique. Les
Iraniens, disent-ils, sont un peuple “intelligent” et
“rationnel” qui a avancé ses pions de manière savamment calculée
sur la scène internationale. Ce pays s’inquiète moins de l’arme
nucléaire israélienne que de son voisinage à l’est, avec des
puissances nucléaires telles que le Pakistan, l’Inde et la
Chine. Ses dirigeants craignent davantage un Pakistan aux mains
des talibans que l’“Etat sioniste” abhorré. »
Bientôt, Nicolas Sarkozy et Thérèse Delpech (auxquels on peut
ajouter quelques nostalgiques de l’ère de George W. Bush),
seront-ils les derniers adeptes d’une politique agressive à
l’égard de l’Iran ?
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