Opinion
Gilad Shalit,
les prisonniers palestiniens et le «
sang sur les mains »
Alain
Gresh
Alain
Gresh
Mardi 18 octobre
2011
On ne peut que se féliciter, sur le
plan humain, de la libération de l’« otage »
Gilad Shalit, rendu à sa famille et à
ses proches après cinq ans de captivité.
On peut toutefois s’étonner de la place
accordée à cet événement par nombre de
médias, avec des envoyés spéciaux dans
son village natal, attendant son retour,
interrogeant les habitants, partageant
l’émotion générale.
Si la joie des Palestiniens est
également montrée – et c’est une bonne
chose –, on partage en revanche rarement
celle d’une famille précise, celle d’une
femme retrouvant son mari (certains
prisonniers croupissaient dans les
geôles israéliennes depuis plus de
trente ans – j’ai bien dit trente ans –,
un tiers ont été arrêtés avant les
accords d’Oslo de 1993), d’un fils
retrouvant son père dont il ne se
remémore même pas le visage.
L’une des remarques qui reviennent
sans cesse dans les médias est que ces
gens que l’on libère ont « du sang
sur les mains ». Il est étonnant de
voir ainsi repris l’un des thèmes de la
propagande israélienne, qui parle, elle,
de « sang juif sur les mains ».
Oui, nombre de prisonniers ont
participé à des actions contre des
militaires et même des civils
israéliens. C’était aussi le cas des
combattants du Front de libération
nationale (FLN) algérien et du Congrès
national africain (ANC) sud-africain :
tous deux ont menés des actions armées,
tous deux ont commis des actes « terroristes »
(attaques contre des cafés, des civils,
etc.). Nelson Mandela, présenté
aujourd’hui comme une sorte d’icône du
pacifisme, était considéré comme un
terroriste par les Etats-Unis et le
Royaume-Uni ; Amnesty International
avait refusé de l’adopter comme
« prisonnier de conscience » parce qu’il
prônait la violence.
La question essentielle qui ne sera
pas posée : est-ce que l’attaque contre
Gaza de décembre 2008, durant laquelle
des crimes de guerre et des crimes
contre l’humanité ont été commis, ne
signifie pas que l’armée israélienne a
« du sang sur les mains » ? Sans parler
de l’invasion du Liban de 1982, qui a
fait des milliers de victimes civiles,
ou de la guerre contre ce même pays en
2006, qui a causé 1 400 morts.
L’un des arguments les plus
fallacieux utilisés concernant les
prisonniers palestiniens est qu’ils sont
passés devant des tribunaux, qu’Israël
est un pays démocratique, que sa justice
est indépendante, etc. Tous ceux qui
connaissent un peu le système judiciaire
de ce pays savent que cela est
parfaitement faux – sans même parler des
prisonniers “administratifs”, que l’on
maintient en détention sans procès, mais
« légalement ». Ce serait un sujet
intéressant pour les médias d’enquêter
là-dessus.
Pour revenir sur l’émotion qui semble
saisir les médias occidentaux devant la
libération de Shalit, espérons qu’ils
feront preuve de la même compassion pour
le Franco-Palestinien Salah Hamouri,
emprisonné depuis bientôt sept ans à la
suite d’un procès qui était ainsi
résumé par Alain Juppé, ministre
français des affaires étrangères :
« Je déplore que les autorités
israéliennes n’aient pas pris de
décision de remise de peine, d’autant
que les aveux faits à l’audience n’ont
été corroborés par aucun élément de
preuve. Je mesure la peine de sa
famille, alors qu’il est à présent en
âge de s’investir dans des études. Je
comprends également que l’intéressé a
fait le choix de ne pas solliciter de
demande de grâce. C’est une attitude
respectable. » Et que de nombreuses
chaînes de télévision couvriront en
direct sa libération...
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