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Afghanistan, l'enlisement et l'aveuglement
Alain Gresh
Alain Gresh
Samedi 17 juillet 2010 C’est le 20 juillet que s’ouvrira à
Kaboul la première conférence internationale en Afghanistan
depuis le renversement du régime taliban en 2001. « Le
Conseil commun de coordination et de suivi (CCCS), qui rassemble
des représentants des autorités afghanes et de l’ONU, a défini
les domaines sur lesquels la réunion se focalisera :
développement économique, gouvernance, sécurité et
réconciliation, et coopération régionale. » (« Conférence
internationale de Kaboul : une réunion préparatoire fixe les
objectifs »). Cette réunion se tient alors que jamais depuis
2001 la situation n’a semblé aussi difficile sur le terrain, ce
qui suscite des réticences grandissantes dans les opinions
européenne et américaine.
Selon un sondage repris par LeFigaro.fr, « Afghanistan :
les Américains divisés » (15 juillet 2010), « quelque
44 % d’Américains désapprouvent la façon dont leur président
Barack Obama gère la situation en Afghanistan, un pourcentage en
hausse depuis le printemps, selon le dernier sondage réalisé par
la chaîne de télévision américaine CBS. Ils étaient 37 % à
désapprouver sa politique en Afghanistan lors d’une précédente
enquête d’opinion CBS datant de mai ».
« Quelque 43 % des individus interrogés continuent
d’approuver la politique de M. Obama en Afghanistan (44 % en
mai). Mais le pourcentage d’“indécis” sur la question se réduit
à 13 %, contre 19 % en mai. Une majorité des sondés estime que
la guerre va “plutôt mal” (41 %) ou "très mal" (21 %, contre
12 % en mai), tandis que seuls 29 % jugent que le conflit en
Afghanistan se passe “plutôt bien” pour les Etats-Unis. »
Ce sondage a été réalisé quelques jours après le limogeage du
commandant en chef des troupes américaines et de l’OTAN et son
remplacement par David Petraeus, et alors que les pertes
américaines ainsi que celles de l’OTAN n’ont jamais été aussi
élevées depuis l’intervention américaine, qui a mis un terme au
régime des talibans en octobre 2001. C’est désormais en
Afghanistan qu’est concentré le principal contingent de troupes
américaines au Proche-Orient, son nombre ayant dépassé celui des
soldats présents en Irak.
Le président Obama remplit ainsi la promesse qu’il avait
faite durant sa campagne présidentielle, quand il décrétait que
l’Irak était une mauvaise guerre et l’Afghanistan la
« bonne guerre ».
Mais les doutes sur cette stratégie n’arrêtent pas de croître
et les Afghans interrogés ne cachent pas leur pessimisme.
The International Council on Security and Developement a
publié le 16 juillet un rapport intitulé
« Afghanistan : The Relationship Gap », dont les principales
conclusions sont :
74 % des Afghans interrogés pensent qu’il ne faut pas
collaborer avec les forces internationales ; 68 % ne croient pas
que les forces de l’OTAN-ISAF les protègent ; 65 % souhaitent
que le mollah Omar et les talibans soient intégrés au
gouvernement ; 80 % pensent qu’Al-Qaida reviendra si les
talibans s’emparent du pouvoir.
Norine MacDonald, président et principal chercheur de l’ICOS
explique que « la communauté internationale échoue à répondre
aux besoins de la population locale ou à comprendre leur vision
du monde. Nous échouons à expliquer nos objectifs à la
population afghane. Cela offre des possibilités à la propagande
des talibans et d’Al-Qaida contre l’Occident et aboutit à des
attitudes très négatives à l’égard de nos troupes sur le
terrain ».
« 70 % des hommes afghans interrogés pensent que les
opérations militaires dans les zones où ils habitent sont
mauvaises pour le peuple afghan. 55 % pensent que l’OTAN-ISAF
sont là pour des objectifs qui leur sont propres, détruire ou
occuper le pays, détruire l’islam. 75 % pensent que les
étrangers manquent de respect à l’égard de leur religion et de
leurs traditions. 68 % pensent que les forces de l’OTAN ne
protègent pas les populations locales. »
Mr Jorrit Kamminga, directeur des recherches à l’ICOS,
ajoute : « 61 % des personnes interrogées pensent que, cette
année, plus d’Afghans ont rallié les talibans que l’année
dernière. (...) 70 % pensent que les officiels dans leur
région s’enrichissent en faisant du trafic de drogue. Plus
inquiétant, 64 % pensent que les responsables gouvernementaux
sont liés aux talibans. »
Il existe toutefois, selon les auteurs du rapport, de
« bonnes nouvelles ». 55 % des personnes interrogées
estiment que l’OTAN et le gouvernement sont en train de gagner
la guerre ; 40 % affirment que la démocratie est importante pour
eux et 57 % sont favorables à l’éducation des filles.
L’organisation Oxfam, dans un rapport intitulé « Promises,
promises... » (PDF, en anglais, disponible à partir du
19 juillet en français
sur le site d’Oxfam France), dénonce elle aussi la politique
de la soi-disant « communauté internationale ». Le communiqué
qui accompagne ce rapport précise :
« Oxfam demande aujourd’hui aux dirigeants mondiaux
présents à la conférence de Kaboul de s’attaquer aux causes
responsables des crises de développement et humanitaires qui
frappent l’Afghanistan et d’aider le peuple afghan à s’extraire
de la pauvreté. »
« Alors que plus de 40 milliards de dollars ont été
dépensés pour l’aide en Afghanistan ces neuf dernières années,
des millions d’Afghans vivent toujours dans la pauvreté.
L’insécurité n’a jamais été aussi élevée depuis la chute des
Talibans et les bailleurs de fonds voient de plus en plus à
court terme et favorisent les approches militaires. Les
Etats-Unis, par exemple, ont considérablement réduit le
financement de leurs activités humanitaires, alors que le budget
américain pour les activités censées conquérir “les cœurs et les
esprits” a augmenté de plus de 2 500 %. »
« Pour Ashley Jackson, responsable de plaidoyer d’Oxfam en
Afghanistan : “de nombreux Afghans en ont assez des conférences
pendant lesquelles des ministres du monde entier débattent sur
l’avenir de leur pays pour finalement n’aboutir à aucun
changement concret. Les Afghans veulent du travail. Ils veulent
se sentir en sécurité quand ils marchent dans la rue. Ils
veulent des médecins dans leurs hôpitaux et de bons professeurs
dans leurs écoles. C’est maintenant qu’il faut agir – assez de
promesses non-tenues et de rhétorique. Les besoins du peuple
afghan doivent être une priorité.” »
« Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner avaient accueilli
également une grande conférence internationale sur l’Afghanistan
à Paris il y a maintenant plus de deux ans. Pour Nicolas Vercken,
d’Oxfam France : “les résultats de la conférence de Paris, à
l’instar des autres conférences internationales, ne sont
toujours pas visibles sur le terrain. Lors de la conférence de
Kaboul, la France doit plaider pour que l’aide soit
effectivement distribuée en fonction des besoins, et non pas
fortement biaisée en faveur des zones où la présence de troupes
internationales est la plus importante. L’aide doit être mise en
œuvre par des professionnels du développement, pas par des
militaires.” »
C’est le moment qu’a choisi l’amiral Edouard Guillaud, chef
d’état-major des armées françaises pour défendre les choix
occidentaux en Afghanistan dans une tribune du quotidien Le
Monde (17 juillet 2010), « En
Afghanistan, la guerre demande de la patience », une
critique indirecte et peu convaincante des déclarations faites
dans ce même journal le 2 juillet par le général Vincent
Desportes, commandant du Collège interarmées de Défense (CID),
lequel avait déclaré : « La doctrine de contre-insurrection
traditionnelle, telle que l’a engagée McChrystal depuis un an,
avec un usage restreint de l’ouverture du feu (...) pour réduire
les dommages collatéraux, ne semble pas fonctionner. (...) La
situation n’a jamais été pire. » Desportes devrait être
sanctionné a déclaré le ministre de la défense Hervé Morin.
Un exercice utile pour comprendre le texte de l’amiral
Guillaud est de remplacer Afghanistan par Algérie ou Vietnam et
on retrouve les mêmes accents qu’avaient les militaires français
expliquant dans les années 1945-1954, puis dans les années
1954-1962, comment ils étaient en train de gagner la guerre.
La situation n’a jamais été pire, et ni les Etats-Unis ni les
Européens ne semblent prêts à en tirer les conséquences. Ils
devraient pour comprendre l’imbroglio qu’ils ont créé en
Afghanistan (et au Pakistan) lire l’article d’Ahmed Rashid sur
le site de la New York Review of Books, « Petraeus’s
Baby »(14 juillet).
Les analyses d'Alain
Gresh
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