Opinion
Iran : comment la
gouvernement israélien conditionne
l'opinion internationale à la guerre
Alain
Gresh
Alain
Gresh
Mercredi 11 avril
2012
Le 14
avril se tiendra à Istanbul un nouveau
cycle de négociations entre l’Iran et le
groupe 5+1, composé des Etats-Unis, de
la France, de la Russie, de la Chine, du
Royaume-Uni et de l’Allemagne. Les
pourparlers porteront sur le nucléaire,
Téhéran réaffirmant son droit à
l’enrichissement de l’uranium, ses
interlocuteurs prétendant qu’il cherche
en réalité à acquérir l’arme nucléaire.
Un feuilleton sans fin.
Cette réunion s’accompagnera des
habituelles confidences de responsables
non identifiés, américains, européens ou
israéliens ; de mises en garde sur le
fait que l’Iran est à la veille
d’acquérir la bombe,
une contre-vérité répétée depuis... 1991,
sans que cela semble gêner qui que ce
soit.
Car, il faut bien le dire, on a
assisté à une habile campagne destinée à
faire du nucléaire iranien LA grande
question de la politique internationale,
celle qui menacerait non seulement la
paix dans la région, mais la paix dans
le monde. Ainsi, la priorité de la
communauté internationale, dans un monde
marqué par une crise économique sans
précédent, par une pauvreté croissante,
par des inégalités grandissantes, par le
drame palestinien, par la guerre
américaine en Afghanistan, par la
déstabilisation du Pakistan nucléaire,
etc., serait le nucléaire d’un pays qui,
depuis plus d’un siècle, n’a agressé
personne, mais a vécu plusieurs
occupations et attaques étrangères.
Un article du McClatchy Washington
Bureau éclaire comment le gouvernement
israélien a réussi ce tour de force (Sheera
Frenkel,
« Israel push on Iran included a steady
dose of media leaks », 7 mars).
« Niché au cœur du quartier
général du ministère de la défense, un
homme connu comme l’agent 83 explique
avec précision ce à quoi ressemblerait
une bombe nucléaire iranienne. L’agent,
qui est devenu un expert sur le
programme nucléaire, montrait son modèle
à des journalistes étrangers par une
chaude journée d’août et ce, pour la
troisième fois dans la second moitié de
2009. »
« “J’espère que vous n’avez pas de
question et qu’il est clair que l’Iran
travaille à construire la bombe
nucléaire”, concluait-il à la fin de la
visite. En quelques jours, le compte
rendu de l’agent 83 est apparu dans des
articles de la presse américaine et
européenne : l’Iran maîtrisait désormais
la compréhension du fonctionnement d’une
arme nucléaire. C’était une des
douzaines d’informations “exclusives”
sur le supposé programme militaire
nucléaire iranien, la majorité d’entre
elles provenant de sources israéliennes.
»
« Un tel accès à des experts
israéliens pour les journalistes
internationaux a joué un rôle essentiel
dans la diffusion du point de vue
israélien : l’Iran poursuit un programme
d’armes nucléaires. Ces derniers mois,
le débat sur les ambitions nucléaires de
l’Iran a alimenté la campagne
présidentielle républicaine, a servi de
toile de fond à la réunion (au mois de
mars) entre le président Barack Obama et
le premier ministre israélien Benyamin
Netanyahou, qui a obtenu un engagement
de la part d’Obama que les Etats-Unis
auraient recours, si nécessaire, à des
moyens militaires pour empêcher l’Iran
d’acquérir une capacité d’armement
nucléaire. »
« Les responsables israéliens
reconnaissent que le large consensus en
Occident – l’Iran est sur le point de
construire une arme nucléaire – ne
repose pas seulement sur les données
fournies par le renseignement israélien,
mais s’appuie aussi en grande partie sur
une campagne médiatique soutenue
entreprise par les Israéliens pour
persuader le monde que l’Iran est résolu
à se doter d’une ogive nucléaire. »
Un responsable du ministère des
affaires étrangères israélien, rentré de
Washington, expliquait au journaliste de
McClatchy que la manière dont la
question iranienne était devenue
centrale pour l’élection américaine
était « un énorme succès pour Israël
». Mais dans le même temps,
expliquent des responsables, il ne faut
surtout pas qu’Israël apparaisse comme
poussant les Etats-Unis à la guerre.
Dans cette entreprise de
sensibilisation des opinions et des
gouvernements, The Israel Project occupe
une place particulière. Nous avons
dévoilé ici la manière dont cette
officine expliquait, dans un livret
confidentiel, la manière de manipuler
l’opinion sur le conflit
israélo-palestinien. C’est bien
évidemment les mêmes méthodes qui sont
utilisées contre l’Iran. Comme le
précise sa présidente, « aucun
candidat ne peut être élu [aux
Etats-Unis] sans avoir une position dure
à l’égard de l’Iran ».
Les révélations faites à la presse
ont lieu, précise le journaliste de
McClatchy, juste avant les événements
critiques. Ainsi, alors qu’une
estimation de l’ensemble des services de
renseignement américains en 2007
minimisait les avancées iraniennes,
les fuites se sont multipliées. C’est
juste avant le G-20 de 2009 que l’on
assista à d’autres révélations au sujet
d’un site secret iranien à Qom. Et les
autres fuites sur un risque d’attaque
israélienne ont été délibérées à la
veille de la publication d’un nouveau
rapport de l’Agence internationale de
l’énergie atomique (AIEA). Elles ont
aussi servi à pousser les Etats-Unis et
l’Union européenne à adopter des
sanctions dures contre l’Iran, une
décision pour laquelle Israël se battait
depuis des années. L’argument avancé par
Sarkozy selon lequel les sanctions sont
le seul moyen d’empêcher Israël de
bombarder l’Iran est absurde : si
l’attaque est illégale, et elle le sera,
il faut la condamner à l’avance, pas la
justifier.
Les affirmations israéliennes sont
toujours incontrôlables. Et comme le
fait remarquer un diplomate européen, à
propos des déclarations péremptoires de
Moshe Yaalon, ministre des affaires
stratégiques israélien :
« Il est l’une de ces
personnalités israéliennes qui parlent
comme quelqu’un qui sait tout ce qui se
passe sur le terrain en Iran. Comme s’il
était au milieu des scientifiques
iraniens et savait quand ils allaient
adapter l’ogive sur le missile. Mais la
vérité est qu’aucun de nous ne sait à
100 % ce qui se passe – même si Israël
fait un très bon travail pour convaincre
[du contraire]. »
Personne ne peut savoir quel sera le
résultat des négociations sur le
nucléaire iranien. Face à la position
intransigeante du gouvernement
israélien, les Etats-Unis semblent
hésiter, si l’on en croit l’un des
meilleurs spécialistes de la question,
Gary Sick, qui s’interroge toutefois sur
ce que l’Iran obtiendrait en échange de
ses concessions («
A contest not for the faint hearted »,
10 avril).
En revanche, une fois de plus,
Nicolas Sarkozy se situe dans le camp de
la guerre. Dans un article («
On Iran, Reality Bites », 9 avril),
le correspondant du New York Times
à Paris John Vinocur (un journaliste
dont les idées se situent à la droite du
Figaro) rapporte les propos de
Gérard Longuet, ministre de la défense,
présentant les Français comme les «
gardiens du temple », face à la
dangereuse propension d’Obama à faire
des concessions !
Ni Longuet, ni les propagandistes
israéliens ne semblent réellement se
préoccuper des retombées d’une guerre
contre l’Iran.
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