Carnets du diplo
Gaza, la pire situation
humanitaire depuis 1967
Alain Gresh
6 mars 2008
« La paix, c’est la guerre », tel était un des slogans de la
dictature décrite par George Orwell dans son roman 1984.
Quelques mois après
le sommet « de la paix » d’Annapolis, c’est la guerre qui
prévaut à Gaza, avec un lot inimaginable de souffrances pour les
populations civiles. La « communauté internationale » reste
pourtant inactive.
Huit organisations humanitaires lancent un appel adressé
notamment aux gouvernements européens pour leur demander de
prendre les mesures nécessaires pour alléger les souffrances des
Palestiniens, mais aussi de dialoguer avec toutes les parties, y
compris le Hamas. Voici le texte du communiqué des organisations
françaises :
« La situation humanitaire dans la Bande de Gaza n’a
jamais été aussi grave depuis le début de l’occupation
israélienne en 1967, selon un nouveau rapport publié aujourd’hui
(6 mars) par une coalition d’ONG comprenant Oxfam
Grande-Bretagne, Amnesty International UK, CARE UK, Médecins du
Monde UK, Save the Children UK, CAFOD et Trocaire. »
« Le rapport « Bande
de Gaza : une implosion humanitaire » avertit que le blocus
de Gaza pratiqué par Israël constitue une punition collective
pour la population civile gazaouie, soit 1,5 millions de
personnes, et conclut que la politique de blocus du gouvernement
israélien est inacceptable, illégale, et échoue à garantir la
sécurité des Palestiniens comme celle des Israéliens. Ce rapport
appelle la communauté internationale à définir une nouvelle
stratégie pour Gaza. »
« Les ONG françaises Oxfam France - Agir ici, Amnesty
International France et Médecins du Monde - souscrivent aux
analyses et recommandations formulées dans ce rapport et en
appellent au gouvernement français afin qu’il engage des actes
concrets en faveur des habitants de Gaza. »
« A Gaza, la pauvreté et le chômage ne cessent de croître,
les hôpitaux sont confrontés à des coupures de courant qui
atteignent 12h par jour, les systèmes de distribution d’eau et
de traitement des eaux usées sont au bord de l’effondrement.
L’augmentation de la violence et de la misère humaine le
week-end dernier illustre l’urgence de la situation. »
« Adam Leach, responsable d’Oxfam International pour le
Moyen-Orient, a déclaré : "La récente montée de la violence,
aussi bien du fait des tirs de roquettes que des frappes
militaires, va rendre la vie encore plus insupportable à Gaza.
Le chômage a explosé et désormais 80% de la population de Gaza
dépend de l’aide alimentaire, contre 63% en 2006. Les
infrastructures de distribution de l’eau et de traitement des
eaux usées sont au bord de l’effondrement total. A moins que le
blocus ne prenne fin maintenant, il sera impossible de sortir
Gaza de cette situation désastreuse et tous les espoirs de paix
pour cette région seront réduits à néant." »
« Selon le rapport, le blocus de Gaza a gravement accru
les niveaux de pauvreté et de chômage et a provoqué la
dégradation des services d’éducation et de santé. Plus de
1,1 millions de personnes dépendent maintenant de l’aide
alimentaire et, sur les quelques 110 000 travailleurs qui
étaient encore employés récemment par le secteur privé, 75 000
ont désormais perdu leur travail. »
« Stephan Oberreit, directeur général d’Amnesty
International France : "Israël a le droit et l’obligation de
protéger ses citoyens, mais en tant que puissance occupante de
Gaza, elle a également une obligation juridique de garantir que
les Gazaouis ont accès à la nourriture, à l’eau potable, à
l’électricité et aux soins médicaux. Punir la population de Gaza
dans son ensemble en la privant de ses droits humains
fondamentaux constitue une grave violation du droit
international humanitaire. La situation actuelle est la
conséquence d’interventions humaines et doit être inversée." »
« Les ONG françaises Oxfam France - Agir ici, Amnesty
International France et Médecins du Monde - en appellent au
gouvernement français afin qu’il engage des actes concrets et
s’implique au sein de l’Union européenne (UE) pour que, dès
demain, la France et l’UE :
— exercent davantage de pression sur le gouvernement
israélien afin qu’il ouvre les points de passage vers Gaza et
mette fin aux coupures d’électricité et de carburant pour
limiter la crise humanitaire en voie d’aggravation ;
— contribuent à faciliter un processus de réconciliation
palestinienne qui pourra mener à un processus de paix crédible
et effectif avec Israël ;
— abandonnent la politique de non-implication, vouée à
l’échec, et entament un dialogue avec toutes les parties
palestiniennes, y compris le Hamas. »
« Marie Rajablat, responsable de la mission Palestine à
Médecins du Monde, a déclaré : "Le gouvernement français devrait
reconnaître qu’une nouvelle stratégie est nécessaire pour Gaza.
La politique actuelle ne permet pas de sécuriser les intérêts
vitaux des citoyens israéliens et, même si c’était le cas, elle
en n’en demeurerait pas moins inacceptable et illégale. L’aide
humanitaire peut contribuer à retarder l’effondrement complet,
notamment du système de soins, mais n’apportera pas la solution
de long terme qui est requise. Gaza ne peut pas devenir un
partenaire pour la paix à moins qu’Israël, le Fatah et le
Quartette ne se mettent à dialoguer avec le Hamas et offrent
ainsi un futur aux populations de Gaza." »
« Selon Nicolas Vercken, responsable de plaidoyer à Oxfam
France – Agir ici : "Il ne suffit pas d’avoir fait des annonces
de contributions de fonds records lors de la conférence de
Paris. Les gouvernements étrangers et l’Autorité palestinienne
doivent augmenter la pression sur le gouvernement Israélien pour
lever le blocus de Gaza. Cela est essentiel si l’on souhaite que
le processus de paix d’Annapolis aboutisse. En tant que pays
hôte et président de la conférence de Paris, la France continue
de porter une responsabilité particulière pour mettre fin au
blocus de la bande de Gaza et contribuer ainsi à poser les
fondements d’un processus de paix viable." »
Réagissant à ce rapport, un porte-parole du ministère
israélien de la Défense, Peter Lerner, a imputé la dégradation
de la situation à Gaza au Hamas, affirmant qu’Israël veillait à
ce que les besoins humanitaires de base de Gaza soient assurés.
« La responsabilité pour ce qui se passe à Gaza depuis le
retrait israélien et le démantèlement des colonies (en 2005)
repose largement sur le Hamas et c’est à lui que toute plainte
doit être adressée », a-t-il déclaré dans un communiqué.
Dans une tribune publiée par l’International Herald
Tribune le 5 mars,
« Bring in Hamas », Henry Siegman appelle lui aussi à ouvrir
des négociations avec le Hamas.
Rappel
Le 13 février 2008, Nicolas Sarkozy avait affirmé : « L’aide
sans précédent mobilisée par [la conférence de Paris] est le
signe concret de la confiance de la communauté internationale
dans la solution de deux Etats. Il est primordial de traduire
cet espoir dans les faits. [...] Les dirigeants
israéliens doivent accepter de mettre en oeuvre sur le terrain
les mesures de confiance [...] : levée de barrages,
réouverture de points de passage à Gaza pour faciliter
l’acheminement de l’aide humanitaire. »
Le 3 mars 2008, le ministère français des affaires étrangères
déclarait : « La population civile de Gaza ne peut continuer
à supporter cette souffrance collective. (...) Israël
doit ouvrir les points de passage et laisser passer l’aide
humanitaire. Une solution politique doit être trouvée pour
mettre un terme aux violences et réinsérer Gaza dans le
processus de paix. »
Comment la Maison Blanche a essayé de renverser le
Hamas
Dans son numéro d’avril, la revue américaine Vanity Fair
revient dans une longue enquête,
« Gaza Bombshell » , sur la manière dont la Maison Blanche a
tenté de renverser les autorités à Gaza (notamment durant le
premier semestre 2007) et comment cette politique s’est
retournée contre ses instigateurs américains et a contribué à la
prise de pouvoir du Hamas. « Moitié Iran-Contra, moitié Baie
des cochons », écrit l’auteur, faisant référence à deux
fiascos majeurs de la politique américaine. Ces analyses
confirment des informations qui avaient circulé à l’époque (lire
« Gaza,
quelques articles contre la "pensée unique" »).
La Maison Blanche a publié un vigoureux démenti à ces
accusations, démenti auquel David Rose répond « David
Rose : Answering Denials with Documents »
Aux origines de la stratégie américaine
Au début de l’année 1992, l’administration de George Bush
père préparait un nouveau document stratégique. Ce texte,
élaboré par le secrétaire à la défense Richard Cheney (celui-là
même qui sera l’architecte de la guerre d’Irak en 2003), était
dévoilé en partie en mars 1992 par le New York Times.
Seize ans plus tard, le National Security Archive dévoile le
contenu des documents sous le titre « "Prevent
the Reemergence of a New Rival" — The Making of the Cheney
Regional Defense Strategy, 1991-1992 ». La publication de
ces documents n’est pas allée de soi, le département de la
défense ayant tenté de l’empêcher. Le fait qu’il n’y soit pas
parvenu confirme que, aux Etats-Unis, contrairement à ce qui se
passe en France, les citoyens ont beaucoup plus facilement accès
à des documents officiels. On ne peut que s’en féliciter.
Ces documents couvrent la période 1991-1992. Paul Wolfowitz
et Colin Powell (à l’époque chef d’état-major) ont participé à
l’élaboration de la nouvelle stratégie qui visait, en premier
lieu, à utiliser tous les moyens pour empêcher la renaissance
d’un nouveau rival (la Russie ou une puissance équivalente).
Parmi les objectifs cités, l’intégration des « nouvelles
démocraties » de l’ancienne URSS dans le système américain, la
préservation de la supériorité américaine en matière d’armement,
la poursuite de la mise en place d’un système de missile
antimissile. Dans ce cadre, les Etats-Unis devaient être prêts à
agir seuls et unilatéralement (si leurs alliés de l’OTAN étaient
réticents). Les documents indiquent aussi qu’il y a eu un débat
autour de la notion de guerre « préemptive ». La victoire de
William Clinton aux élections de novembre 1992 a « enterré » ce
document, mais son esprit demeurera vivant et sera ressuscité
après la victoire de Bush fils.
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