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Les blogs du Diplo
Nicolas Sarkozy en Syrie
Alain Gresh
4 septembre 2008
« Sarkozy va encourager la Syrie à s’ouvrir », par Pierre
Prier, dans Le Figaro (3 septembre).
Dans l’International Herald Tribune du 2 septembre, à
l’occasion de la visite de Nicolas Sarkozy à Damas, j’ai publié
un point de vue,
« Making peace with Syria ».
« Pour Nicolas Sarkozy, le voyage à Damas doit être celui
de la consolidation. Après avoir reçu le président Bachar
el-Assad à Paris le 12 juillet, le chef de l’Etat souhaite, au
cours de ce déplacement « politique et non économique »,
insiste-t-on à l’Élysée, continuer à encourager le retour de la
Syrie sur la scène internationale. Une politique en rupture avec
l’isolement de Damas mis en œuvre par Jacques Chirac. Nicolas
Sarkozy avait promis de reprendre contact avec la Syrie si elle
laissait se dérouler l’élection présidentielle au Liban, privé
de chef d’Etat. Ce qui fut fait en juin, avec l’élection de
Michel Sleimane. »
(...)
« Il est impossible de ramener la Syrie dans le concert
des nations, et par exemple de lui faire renoncer à son alliance
iranienne, si on ne lui offre pas d’autre perspective,
argumente-t-on à l’Elysée. Le régime syrien ne semble toutefois
pas vouloir lâcher du lest sur son alliance iranienne, ni sur
son soutien au Hezbollah. La milice chiite libanaise lui sert de
moyen de pression sur Israël. Dans le conflit géorgien, Bachar
el-Assad s’est précipité à Moscou pour féliciter Vladimir
Poutine, annonçant dans la foulée son désir d’acheter des armes
russes, y compris des systèmes modernes de défense antiaérienne
qui ne sont pas du goût d’Israël. »
Sur le sens de cette visite, Gilles Paris, dans Le Monde
(4 septembre), écrit, sous le titre « Nicolas
Sarkozy scelle les retrouvailles franco-syriennes » :
« Le régime syrien, qui s’est montré prompt à soutenir la
Russie contre les Occidentaux dans la crise géorgienne, en
nostalgique de la guerre froide et de ses blocs, assure ainsi
que c’est sa capacité de résistance aux pressions
internationales qui a convaincu le président français, sur les
conseils du Qatar, de rouvrir le dialogue avec Damas pour tenter
de se gagner les faveurs d’un pays stratégique mais marginalisé
au sein de la famille arabe, comme l’ont encore montré les
absences de nombreux chefs d’Etat lors du sommet annuel de la
Ligue arabe organisé à Damas, en mars, à commencer par le roi
Abdallah d’Arabie saoudite. »
« L’Elysée, au contraire, défend la thèse d’une évolution
syrienne illustrée, selon la présidence française, par
l’apaisement relatif enregistré depuis l’accord de Doha, en mai,
au Liban, l’ancien pré carré syrien, après trois années de
tensions et de violences entre majorité antisyrienne et
opposition libanaises. »
La presse saoudienne ne peut cacher son mécontentement devant
cette visite. A plusieurs reprises, les responsables de Riyad
ont mis en garde la France contre tout rapprochement avec Damas.
Dans un article de Asharq Alawasat du 3 septembre, « Syria :
the Summit of Contradictions », le rédacteur en chef du
quotidien financé par les Saoudiens, Tareq Alhomayed, se pose
plusieurs questions, notamment sur Nicolas Sarkozy et sa qualité
de président de l’Union européenne : « Est-ce que tous les
Européens approuvent le rapprochement avec la Syrie, voire
acceptent la formation d’un axe qui comprend la France et
l’Iran? (sic!). » Aucun des participants au sommet
entre Assad, Sarkozy, Erdogan et l’émir du Qatar « ne peut
donner ce que la Syrie veut, c’est-à-dire le rétablissement de
ses relations avec les Etats-Unis, l’Egypte et l’Arabie
saoudite.... oui, Riyad et Le Caire. Qui s’est rendu récemment à
Damas sait que le niveau de tension là-bas est le résultat de la
longue interruption des rapports avec l’Egypte et l’Arabie
saoudite ».
Plusieurs sujets ont été abordés par les présidents syrien et
français. D’abord les relations bilatérales, le président
Sarkozy se félicitant de l’amélioration des contacts entre Damas
et Beyrouth, de la promesse de l’échange d’ambassadeurs entre
les deux capitales et souhaitant que cet échange ait lieu dans
les mois qui viennent.
Le dossier iranien a été aussi abordé, Sarkozy répétant qu’il
était inadmissible que l’Iran acquière l’arme nucléaire, le
président syrien affirmant qu’il était pour un Proche-Orient
dénucléarisé, c’est-à-dire pour qu’Israël renonce à la bombe
atomique.
Nicolas Sarkozy a déclaré, selon Gilles Paris (« A
Damas, le président Sarkozy a justifié l’ouverture française
vis-à-vis de la Syrie ») :
« “Le respect scrupuleux de la liberté d’opinion
représente un atout et non un handicap dans la lutte contre
l’extrémisme”, a dit le président français, prenant note avec
satisfaction de la libération de deux prisonniers politiques,
parmi lesquels l’économiste Aref Dalila, dont la situation avait
été portée à l’attention du régime syrien. » Aucune nouvelle
ne semble avoir été donnée d’autres prisonniers, notamment de
l’intellectuel
Michel Kilo, souvent évoqué sur ce blog.
Gilles Paris écrit aussi que le président syrien « s’est
engagé à jouer de son influence auprès du Mouvement de la
résistance islamique (Hamas) palestinien dont le chef du bureau
politique, Khaled Mechaal, vit en exil à Damas. Ce dernier
devrait d’ailleurs recevoir, au terme d’un processus compliqué,
une missive du père du soldat franco-israélien Gilad Shalit,
enlevé et détenu à Gaza depuis juin 2006. Cette lettre, remise
jeudi par la partie française au président syrien, devrait
parvenir au responsable islamiste par l’intermédiaire de l’émir
du Qatar, Hamad Ben Khalifa Al-Thani, présent jeudi à Damas dans
le cadre d’un bref sommet quadripartite organisé avec la
Turquie ». Ce que l’on ne saura pas, c’est si le président
syrien a remis une lettre à Nicolas Sarkozy à propos du
franco-palestinien
Salah Hammouri, condamné à sept ans de prison par les
autorités israéliennes.
Au-delà de ces remarques, on ne peut que constater la
stupidité de la politique de boycott du Hamas. Rappelons que
Yves Aubin de La Messuzière, ancien directeur Afrique du
Nord-Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères, avait
effectué une première mission officieuse auprès du Hamas en
avril. Bien qu’ayant l’aval de l’Elysée, cette visite avait
suscité quelques polémiques – et de fortes pressions
israéliennes – qui ont amené le Quai d’Orsay à publier le
25 juillet un communiqué absurde : « Nous avons appris que
M. Aubin de la Messuzière comptait se rendre en Israël et dans
les Territoires palestiniens. Ce voyage constitue une initiative
personnelle de M. de la Messuzière, dans le cadre de son travail
universitaire de chercheur associé à Sciences Po. M. de la
Messuzière n’est pas mandaté par les autorités françaises. Il ne
rencontrera pas les diplomates français sur place lors de son
déplacement. Nous ferons passer ce message aux autorités
israéliennes et palestiniennes afin de clarifier le statut du
voyage de M. de la Messuzière. »
Un des sujets qui ont retenu l’attention, ce sont bien sûr
les négociations israélo-syriennes indirectes, menées sous
l’égide de la Turquie, dont on a appris l’existence
en avril 2007. Selon le quotidien Haaretz du
4 septembre (« France
elbows U.S. aside in Syria negotiations », par Zvi Bar’el),
la participation de la France aux négociations quadripartites
qui se tiennent à Damas aujourd’hui aurait amené les Etats-Unis
(et précisément le sous-secrétaire d’Etat David Welch), qui
avaient décidé de participer à la prochaine session des
négociations indirectes (prévues pour le 7 septembre), à se
désister. Le journaliste israélien dénonce la position
française, qui, d’après lui, rend impossible l’application de la
résolution 1559 du Conseil de sécurité concernant le Liban.
On peut penser qu’un tel article reflète le mécontentement de
l’administration américaine à l’égard de la politique syrienne
de M. Sarkozy.
Quoi qu’il en soit, le président Assad, lors de la conférence
de presse du 4 septembre, a d’abord salué le rôle de médiateur
de la Turquie, affirmant que ce pays était l’un des seuls qui
avaient « manifesté ces dernières années de l’intérêt à
l’égard du processus de paix ». Comme le président
nous l’a dit, cela fait longtemps que Damas était prêt à des
négociations, mais que celles-ci étaient refusées par Israël et
les Etats-Unis.
Les leaders des quatre pays réunis à Damas (Syrie, France,
Turquie et Qatar) ont discuté des conditions qui permettraient à
ces négociations israélo-syriennes de devenir directes. Pour la
Syrie, il faut d’abord se mettre d’accord sur le but, les
Syriens insistant pour qu’Israël reprenne la promesse de
l’ancien premier ministre Itzhak Rabin
de se replier sur la frontière du 4 juin 1967. L’autre
condition, bien évidemment, concerne les Etats-Unis. Pour que ce
pays puisse jouer son rôle dans ces négociations, rôle que la
Syrie considère comme irremplaçable, il faut, affirme le
président Assad dans sa conférence de presse du 4 septembre,
« qu’il y ait un dialogue. Il ne peut pas y avoir de parrainage
sans dialogue (...), et ce dialogue [avec les Etats-Unis]
n’a pas commencé. C’est pourquoi nous parlons de négociations de
paix directes dans la prochaine phase, c’est-à-dire après les
élections américaines ».
Bien que l’aspect économique n’ait pas été dominant durant la
visite de M. Sarkozy, Le Figaro du 2 septembre annonce
que
« Total se renforcerait en Syrie » (Aurore Pétain).
Christophe de Margerie, PDG de Total, participait d’ailleurs au
voyage présidentiel.
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