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Opinion
La mort d'Oussama
Ben Laden
Alain Gresh
Alain Gresh
Lundi 2 mai 2011
Oussama Ben Laden a été tué au Pakistan par un commando
américain. Cette opération a bénéficié de l’aide de la direction
pakistanaise. Si les détails ne sont pas encore connus – nous ne
reviendrons pas ici sur la légalité de cette opération, ni sur
la moralité de l’exécution –, la mort du chef d’Al-Qaida est un
sérieux revers pour l’organisation qui voulait incarner la lutte
« contre les Juifs et les croisés ». Marginalisée par la révolte
arabe, dans laquelle elle ne joue aucun rôle, l’organisation
survivra-t-elle à la mort de son chef ? Difficile à dire, car
ses différentes sections locales, comme Al-Qaida au Maghreb
islamique (AQMI) ou ses réseaux au Pakistan, disposent d’une
grande autonomie.
Le crédit d’Oussama Ben Laden avait déjà été sérieusement
entamé dans le monde musulman, y compris parmi des penseurs
islamistes ou des organisations islamistes. Son usage
inconsidéré de la violence contre des musulmans, notamment en
Irak, avait été condamné. Ainsi, dans
une lettre à Oussama Ben Laden, le cheikh saoudien Salman
Al-Awdah avait sévèrement mis en cause le leader d’Al-Qaida.
D’autre part, une polémique avait opposé le Hamas au numéro 2 de
l’organisation,
Ayman Al-Zawahiri, qui reprochait à l’organisation palestinienne
sa participation aux élections.
Un des meilleurs livres en français sur Al-Qaida est le livre
de Jean-Pierre Filiu,
La véritable histoire d’Al-Qaida chez Fayard, qui
vient d’être édité en poche.
Vous trouverez ci-dessous la biographie d’Oussama Ben Laden
parue dans le livre que j’ai écrit avec Dominique Vidal (avec la
collaboration d’Emmanuelle Pauly),
Les Cent clés du Proche-Orient, Fayard, 2011.
Oussama Ben Laden, 1957-2011
Né en 1957, à Riyad, Oussama Ben Laden appartient à une
famille très nombreuse : il compte une cinquantaine de frères,
sœurs, demi-frères et demi-sœurs. Son père, originaire du
Hadramouth au Yémen, s’installe en Arabie saoudite dans les
années 1920. Entrepreneur de travaux publics, il devient proche
du roi Ibn Saoud, ce qui lui permet de développer ses activités.
La société qu’il crée, dont le siège est à Jeddah et qui porte
son nom, emploierait aujourd’hui 35 000 personnes. Cette
entreprise a participé à la monumentale rénovation des villes
saintes, La Mecque et Médine. En 2000, elle a achevé un
gratte-ciel à Jeddah, appelé Al-Faysaliya, et elle a contribué à
la construction de l’aéroport de Kuala Lumpur, en Malaisie.
Quand son père meurt dans un accident d’avion en 1967,
Oussama n’a que 10 ans. Il intègre une des écoles les plus
prestigieuses à Jeddah, avant de poursuivre des études de
gestion à l’université du roi Abdelaziz (1974-1978), dont il
sort avec un diplôme d’ingénieur. Il est déjà en contact avec
les Frères musulmans, très actifs dans le royaume. Le grand
tournant de sa vie se produira avec l’invasion soviétique de
l’Afghanistan par l’URSS, en décembre 1979. Les Etats-Unis
poussent alors le Pakistan et l’Arabie saoudite à organiser un
mouvement de volontaires musulmans pour lutter contre l’« empire
du Mal ». Ben Laden s’engage et il rencontre le cheikh
palestinien Abdallah Azzam, qui jouera un rôle crucial dans sa
formation. Il tisse des liens avec les milliers de volontaires
musulmans — dont certains deviendront ses proches lieutenants.
Il entretient des relations étroites avec les services de
renseignement pakistanais et avec la CIA. Il utilise sa fortune
personnelle dans ce combat et fait aussi preuve de ses capacités
d’organisation en contribuant à l’établissement au Pakistan, en
octobre 1984, du Maktab al-Khadamat, le bureau des services, qui
aide à enrôler, entraîner et envoyer en Afghanistan des milliers
de combattants : ce modèle d’organisation servira à la création
d’Al-Qaida. C’est aussi à Peshawar qu’il rencontrera le Dr Ayman
Al-Zawahiri, un militant égyptien qui a passé plusieurs années
en prison au Caire et qui deviendra son adjoint à la direction
d’Al-Qaida. Après le retrait des Soviétiques d’Afghanistan en
1989 — il faudra attendre encore trois ans pour que le régime de
Kaboul succombe aux assauts des moudjahidin — ainsi que
l’assassinat, non élucidé, du cheikh Azzam avec lequel se sont
multipliés les désaccords, Ben Laden rentre en Arabie saoudite.
Malgré son prestige, il faut souligner qu’il ne dispose d’aucune
« légitimité » religieuse, pas plus d’ailleurs que la plupart
des cadres d’Al-Qaida.
C’est en Arabie saoudite que la conquête du Koweït par l’Irak
en août 1990 surprend Ben Laden. Il propose alors au prince
Sultan, le ministre de la défense, d’organiser une résistance
populaire à cette invasion. Son plan n’est pas retenu, et les
Saoud préfèrent faire appel aux Etats-Unis. Dick Cheney, à
l’époque secrétaire américain à la défense, promet que les
troupes américaines ne resteront pas « une minute de plus que
nécessaire »… Elles y resteront plus de dix ans après la fin des
combats. C’est un autre moment clé dans la trajectoire de Ben
Laden : désormais, pour lui, l’ennemi principal, ce sont les
Etats-Unis et la famille royale saoudienne mérite d’être
renversée — il sera déchu de sa nationalité en 1994. Cette
évolution, beaucoup de jeunes Saoudiens la partageront dans la
première moitié des années 1990 : une vague de contestation
islamiste ébranle le royaume.
Profitant de la présence au pouvoir des islamistes, Ben Laden
s’installe au Soudan entre 1992 et 1996, date à laquelle il se
réfugie en Afghanistan — selon certaines informations, le régime
de Khartoum aurait, à un moment, proposé de le livrer aux
Saoudiens. Les moudjahidin afghans ont renversé le régime
communiste, mais se déchirent et, quelques mois plus tard,
cèdent le pouvoir aux talibans, aidés par les services secrets
pakistanais, mais aussi par les Saoudiens, ce qui n’est pas sans
inquiéter Ben Laden. Il se rapproche toutefois de leur chef, le
mollah Omar avec qui il établit de solides liens (il lui prête
d’ailleurs allégeance comme « commandeur des croyants ») et il
peut ainsi créer plusieurs camps d’entraînement.
Les attaques du 11 septembre 2001 contre New York et
Washington débouchent sur une condamnation unanime des Nations
unies — dès le 15 octobre 1999, le Conseil de sécurité avait
demandé au gouvernement des talibans de livrer Ben Laden — et
sur l’intervention militaire américaine suivie du renversement
du régime des talibans. Pourchassé par les Etats-Unis, Ben Laden
demeure introuvable, d’autant que l’administration Bush a déjà
reporté son attention sur l’Irak qu’elle s’apprête à envahir.
Ben Laden serait réfugié dans les zones tribales à la
frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan. Disposant d’un
réel charisme, il est la seule personnalité de l’époque
contemporaine à avoir été capable de fédérer des groupes et des
personnes aussi différents et des nationalités aussi multiples.
Il intervient publiquement par des messages audio, dont le
dernier date d’octobre 2010. Selon certains commentateurs, il
serait mort et son adjoint Ayman Al-Zawahiri serait le véritable
dirigeant d’Al-Qaida.
Ben Laden a été inculpé par un jury fédéral de New York dès
le 4 novembre 1998 et placé sur la liste des personnes les plus
recherchées par les Etats-Unis en 1999. Il était accusé de
meurtres et de tentatives de meurtres contre des citoyens
américains et d’attaques contre des bâtiments américains, mais
aussi d’avoir des relations avec l’Iran et d’avoir conclu un
pacte de non-agression avec l’Irak. La seule action mentionnée
était l’attaque contre les Marines en Somalie en 1993. On ne
sait pas grand-chose sur ses ressources financières, si ce n’est
que le chiffre de 300 millions de dollars de fortune personnelle
est totalement fantaisiste, bien que repris régulièrement dans
les médias.
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