Opinion
Israël, Etat
juif ? Doutes français
Alain Gresh
Alain
Gresh
Lundi 1er août 2011
Lors d’une réunion à Bruxelles le
18 juillet, Alain Juppé
déclarait :
« Je pense en particulier que la
mention d’un “Etat juif” peut poser
problème ; que je sache, aujourd’hui en
Israël, il y a des Juifs mais il y a
aussi des Arabes. Par ailleurs, pour la
France et pour beaucoup d’Européens,
nous avons une vision laïque des Etats
qui ne se réfère pas à l’appartenance à
une religion. Voilà une des difficultés,
mais il y en a d’autres. Je pense qu’il
y a encore, d’après ce que nous a dit
Cathy Ashton, une marge de négociation
possible. Je ne suis pas extrêmement
optimiste sur les capacités d’arriver à
un résultat mais il faut saisir toutes
les chances pour éviter une impasse à
l’Assemblée générale au mois de
septembre prochain. »
Cette déclaration déclencha une levée
de boucliers des cercles pro-israéliens,
notamment du CRIF, qui dans un
communiqué, s’étonnait des propos du
ministre.
Deux jours plus tard, à Madrid,
durant une conférence de presse, le
ministre
affirmait :
« La France a une position très
claire qui rejoint évidemment celle de
l’Espagne et de l’ensemble de nos
partenaires européens : c’est qu’il n’y
aura pas de solution au conflit du
Proche-Orient sans reconnaissance de
deux Etats-nations pour deux peuples.
L’Etat-nation d’Israël pour le peuple
juif, l’Etat-nation de Palestine pour le
peuple palestinien. Il n’y a pas à
sortir de là. A partir de là, que
fera-t-on au mois de septembre à
l’Assemblée générale des Nations unies :
cela dépendra d’abord de la résolution,
du texte que l’on aura discuté. »
Cette déclaration a été saluée en
Israël, comme le rapporte le 27 juillet
le site JPost.com,
« J’lem greets French edict on Israel as
Jewish state ».
En fait, les nuances des propos du
ministre semblent avoir échappé aux
commentateurs israéliens : il ne
reconnaît pas Israël comme Etat juif,
mais comme Etat-nation du peuple juif,
ce qui a l’avantage, de son point de
vue, de ne pas avaliser une définition
religieuse de l’Etat.
Pourtant, la définition de M. Juppé
pose deux problèmes.
La France est l’Etat-nation du peuple
français, car tout citoyen né sur son
territoire (pour aller vite) en fait
partie ; cette définition ne se réfère à
aucune définition ethnique ou religieuse
des Français. Mais que penserait
M. Juppé si l’on définissait la Serbie
comme l’Etat-nation des Serbes ? Que
deviennent les minorités croate,
hongroise ou autres présentes sur son
territoire ? Et l’Union européenne ne
critique-t-elle pas les dérives
actuelles en Hongrie visant à faire de
ce pays un Etat-nation des seuls
Hongrois ? Définir Israël comme
l’Etat-nation du peuple juif revient,
comme M. Juppé lui-même le faisait
remarquer le 18 juillet, à oublier la
minorité palestinienne, environ 20% de
la population.
Mais un autre problème se pose
également, qui concerne les juifs
français (ou européens, ou citoyens
d’autres pays qu’Israël). M. Juppé
considère-t-il qu’Israël est
l’Etat-nation des juifs français ? Dans
un texte que j’ai évoqué ici, des
centaines de juifs français mettaient en
garde contre une telle acception (« L’Etat
juif contre les juifs ») qui
reviendrait à jeter la suspicion sur
leur loyauté. Si une telle définition
était acceptée, comment pourrions-nous
combattre ceux qui identifient Israël
(Etat juif) et ses actions dans les
territoires occupés à tous les juifs, y
compris français ?
Plus généralement, le ministre semble
sous-estimer la question de la
définition du terme « juif ». Dans une
tribune publiée le 29 juillet dans le
New York Times (« Israel’s
Identity Crisis »), Yonatan Touval,
un analyste israélien, soulignait
l’incapacité des Israéliens à donner une
définition claire du caractère juif de
leur Etat.
Il faut aussi rappeler un point
souvent méconnu : « Israël est la
seule démocratie qui opère une
distinction entre citoyenneté et
nationalité : tous les titulaires de la
citoyenneté (ezrahut) ont, en principe,
des droits égaux, mais seuls certains,
les Juifs, forment la nationalité (le’um).
En 1970, Shlomo Agranat, président de la
Cour suprême, a confirmé que l’on ne
pouvait pas parler de “nationalité
israélienne”, parce qu’il n’existait pas
de nation israélienne séparée de la
nation juive et qu’Israël n’était même
pas l’Etat de ses citoyens juifs, mais
celui des Juifs du monde. » (De
quoi la Palestine est-elle le nom ?)
Une nuance qui avait échappé au
prédécesseur de M. Juppé. Dans une
tribune signée en commun dans Le
Monde, Bernard Kouchner et Miguel
Angel Moratinos (22 février 2010)
écrivaient :
« Le temps est donc venu de donner
des assurances aux parties sur le
caractère irréversible du processus que
l’Europe souhaite engager. Au peuple
israélien, il faut l’assurance que sa
sécurité et son identité juive seront
garanties ; au peuple palestinien, il
faut la certitude de recouvrer la
dignité en gagnant le droit de vivre
dans un Etat viable, démocratique et
indépendant. » Jamais personne avant
M. Kouchner n’avait évoqué l’existence
d’un « peuple israélien ».
Une dernière remarque, au-delà du
débat sémantique et politique. L’a
priori de la position française (et de
celle de l’Union européenne) est que les
deux parties palestinienne et
israélienne veulent la paix. Or, depuis
des années, le gouvernement israélien a
fait la preuve qu’il ne voulait pas
d’une paix fondée sur les principes du
droit international et qu’il invente, à
chaque étape, une condition nouvelle
pour conclure la paix. La reconnaissance
d’Israël comme Etat juif n’est que la
dernière en date.
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