Opinion
Syrie-Iran-Arabie.
Nouvel ordre mondial
Alain Corvez
Jeudi 31 octobre 2013
Les informations en provenance de mes
contacts en Syrie et au Liban confirment
mes analyses de géopolitique : le monde
bascule dans un nouvel ordre, les pôles
de puissance changent entraînant de
nouveaux rapports de forces qui
s’exercent sur de nouveaux points
d’appui.
Le « pivotement » américain vers l’Asie,
s’il est exagéré par certains n’en est
pas moins réel. Il implique l’apaisement
des tensions au Proche et Moyen-Orient
en réglant les crises syrienne et
iranienne et en mettant un terme aux
affrontements chiites-sunnites
instrumentés à des fins stratégiques.
L’Iran retrouvera prochainement sa place
géostratégique essentielle dans la
région, avec la « modération » dans les
relations internationales prônée par le
Président Rohani dans son discours aux
Nations Unies fin septembre. Plusieurs
pays l’ont compris qui cherchent à se
rapprocher de Téhéran, comme la Turquie
et même le Qatar et l’Arabie.
L’islam politique vit son chant du cygne
: ce sont des musulmans sincères qui ont
renversé Morsi en Egypte le 30 juin
dernier. Les Frères Musulmans,
organisation longtemps souterraine dans
les états arabes,qui a remporté toutes
les élections car elle était la seule
structurée depuis longtemps et a disposé
de puissants moyens financiers des pays
du Golfe, est l’expression
politique de cette idéologie qui
proposait de gouverner au nom de la
charia. Ils ont prouvé leur incompétence
et leur incapacité à répondre aux
aspirations des peuples et à gérer des
états modernes: la Tunisie les rejette,
de même que l’Egypte et le chaos libyen
finira par en faire de même. Les
musulmans veulent vivre selon leur foi
mais entendent être en harmonie avec le
« village mondial ». (Expression de René
Girard)
Dans les bouleversements politiques et
sociaux du monde arabe, les chrétiens
qui étaient présents sur ces terres six
siècles avant l’islam, ont un rôle
essentiel à jouer pour la cohésion
sociale des populations et seront un
facteur important des réconciliations
nationales partout où des drames ont eu
lieu. Les rapprochements entre
Patriarches orientaux et Imams dans les
pays en crise montrent que les appels du
Pape François à l’union des fidèles
chrétiens et musulmans répondent à
un besoin vital et sont entendus par les
populations comme par les dirigeants.
Par leurs positions en dehors des
rivalités internes aux musulmans, mais
profondément patriotes et ancrés dans la
vie des pays arabes, ils sont un
catalyseur d’harmonie entre les
différentes ethnies et confessions de
ces pays souvent très composites,
notamment la Syrie.
Les islamistes takfiristes restent
nombreux, encore soutenus par l’Arabie
Séoudite pour les détourner de menacer
le royaume des Séoud désormais menacé
dans son existence même. Ce sera la
tâche la plus ardue d’en finir avec eux
après la solution négociée de la crise
syrienne. Avec le revirement du Qatar
qui cherche à se rapprocher de la Syrie
de Bachar el Assad, on assiste à
l’isolement des positions séoudiennes et
israéliennes. Les deux pays ont
d’ailleurs compris qu’ils n’étaient plus
les alliés indéfectibles des Etats-Unis
qui attendent d’eux des changements de
position.
La destruction du stock d’armes
chimiques syriennes, constitué pour
répondre aux armes de destructions
massives israéliennes, notamment
nucléaires, biologiques et chimiques,
met Tel Aviv en position délicate face
aux initiatives pour un PO débarrassé de
ces menaces.
L’Arabie est menacée par des dissensions
internes à la famille régnante et des
irrédentismes qui déboucheraient en une
partition possible en trois parties, le
nord avec la Jordanie et les
Palestiniens, le centre avec le
sud du Yémen de l’Hadramaout à la mer,
et l’est chiite et pétrolier.
Le terrorisme islamiste international
pourra être éradiqué quand il aura perdu
ses commanditaires et soutiens, d’autant
plus qu’il représente aux yeux des
musulmans sincères un véritable
blasphème de l’interprétation du Coran.
Simultanément au changement de stratégie
américaine dans la région, l’Arabie
Séoudite va devoir mettre un terme à sa
croisade sunnite contre un axe chiite
centré sur l’Iran et appuyé sur l’Iraq,
la Syrie et le Liban. Il semble
d’ailleurs que la brouille avec les
Etats-Unis sur la question syrienne
amène la monarchie à revoir ses
fondamentaux, comme en attestent des
visites récentes en Iran. Son refus
d’occuper le siège où elle avait été
élue à l’AG de l’ONU est à la fois un
signe de son irritation et de sa prise
de conscience des nouveaux rapports de
force dans la région.
En réalité les Etats-Unis ne font
qu’accompagner l’évolution du monde
comme Chuck Hagel l’avait annoncé avant
même sa prise de fonction de Secrétaire
d’état à la Défense (voir PJ).
L’Occident dirigé par l’Amérique a fait
croire, grâce à un énorme budget de
communication, qu’il représentait le
bien et la justice et qu’il avait le
soutien de la majorité des peuples pour
ses aventures guerrières. Mais lors des
menaces de frappes occidentales contre
la Syrie fin août-début septembre
derniers, qu’en réalité Obama n’avait
proférées que pour lâcher du lest aux
groupes de pression américains, alors
qu’il y était hostile au fond de lui en
raison des conséquences catastrophiques
qu’elles auraient entraînées, et que son
Etat-Major connaissait, cette coalition
guerrière « occidentale » ne
représentait que 800 millions
d’habitants, non consultés d’ailleurs
sauf les Britanniques qui s’y étaient
opposés, contre les quelques 6 milliards
du reste du monde soutenant la Russie et
la Chine. On sait les artifices qu’il a
utilisés pour retarder la décision et
ensuite s’engouffrer dans la proposition
russe de destruction du stock d’armes
chimiques de la Syrie. Simultanément,
cette proposition acceptée avec
soulagement entérinait la reconnaissance
de Bachar el Assad comme Président d’une
Syrie chargée de la faire appliquer
jusqu’à son terme.
La réunion de la conférence de Genève II
pour régler la crise est désormais
inéluctable, quelles que soient les
manœuvres de ceux qui y sont hostiles
comme l’Arabie, et le plus intelligent
est de s’en accommoder.
Les organisations rebelles civiles qui
s’y opposent ne représentent que
quelques poignées de Syriens déracinés
et les militaires, comme les brigades
Liwad al Tawhidi, Ahrar al Cham, Souqour
al Cham sont des organisations
terroristes composées majoritairement
d’étrangers qui combattent pour un état
islamique mondial et n’ont aucune
identité syrienne. Les forces de
l’Armée Syrienne Libre sont devenues
insignifiantes ou ont fait allégeance
aux djihadistes, quand elles n’ont pas
déposé les armes ou rejoint les forces
régulières syriennes.
Quant aux Kurdes, l’Armée syrienne leur
a donné la responsabilité de tenir leurs
régions et ils s’en acquittent au prix
de pertes sévères contre les djihadistes
mais ils prennent le dessus de plus en
plus.
Simultanément le dossier iranien sera
également bouclé, peut-être même avant
le syrien qui demande du temps pour
régler le sort des takfiristes
fanatiques qui sévissent sur le terrain.
La reconstruction de la Syrie demandera
du temps et beaucoup d’argent, de
nombreuses infrastructures ayant été
détruites. Mais il n’y a pas de solution
sans Bachar et les Américains le savent,
même si John Kerry est obligé, lui
aussi, de lâcher du lest par des
déclarations hostiles ou ambiguës.
Le Liban multiconfessionnel, fragilisé
par son voisinage de la Syrie d’où il
reçoit plus d’un million de réfugiés de
toutes confessions n’a toujours pas de
gouvernement pérenne du fait des
désaccords attisés par les appuis
étrangers des parties prenantes.
Cependant les structures étatiques comme
l’Armée et la police restent cohérentes
et accomplissent leur tâche malgré les
difficultés. L’alliance, sans doute
majoritaire dans le pays, entre les
chrétiens du CPL du général Aoun, le
Hezbollah composé principalement de
chiites mais pas exclusivement, et le
parti Amal de Nabih Berri reste la force
politique dominante qui a soutenu le
régime en place à Damas Habitués des
discussions de diwan pour trouver des
compromis, les dirigeants des grandes
familles analysent les situations au
regard de leurs alliances extérieures
et, fins observateurs, ils semblent
avoir admis que le régime syrien
sortirait vainqueur de la crise et en
tirent les conséquences ; le chef druze
Walid Joumblatt a récemment apporté son
soutien à Nabih Berri pour la formation
d’un gouvernement, signe qu’une issue
pourrait s’ouvrir, d’autant plus que
l’Arabie pourrait la souhaiter aussi et
le faire savoir à ses alliés locaux, le
chrétien Samir Geagea et le sunnite Saad
Hariri.
En l’absence d’état solide, la
fragilité du Liban tient à la présence
armée forte du Hezbollah, au nom de la
résistance à Israël, simultanément avec
celle des milices sunnites présentes
officiellement pour certaines ou dans
les camps palestiniens, qui en sortent
pour combattre en Syrie voisine ou dans
la région de Tripoli au Nord, faisant
déjà plusieurs dizaines de morts,
soldats et civils. Ce mélange est
dangereux et pourrait exploser
dramatiquement si les djihadistes
venaient à quitter la Syrie pour
attaquer le Hezbollahau Liban. Des
menaces sérieuses sont d’ailleurs
annoncées sur la FINUL au Sud contre les
soldats occidentaux, dont les Français.
La France a tout intérêt à reprendre
langue diplomatiquement avec un régime
qui sortira vainqueur d’une crise
tragique et à utiliser les liens
d’amitié qui demeurent malgré tout entre
Syriens et Français, ancrés dans des
échanges culturels anciens, en dépit des
affrontements qui les ont aussi
émaillés.
Elle aurait aussi tout intérêt à se
rapprocher de la Russie dont la
diplomatie toute en finesse a montré son
efficacité. La Russie va marquer des
points dans le règlement de ce conflit
parce qu’elle a su offrir une porte de
sortie honorable à la grande Amérique
dans une crise où elle s’était
embourbée. Elle défend ses
intérêts stratégiques mais aussi
tactiques car de nombreux djihadistes
sont des combattants tchétchènes qui se
retourneront contre elle s’ils le
peuvent.
La Turquie, la Jordanie, l’Arabie
Séoudite seront les perdants à divers
égards du règlement de la crise, de même
qu’Israël. Sans doute ces états
sauront-ils trouver une nouvelle posture
pour limiter les dégâts avec
opportunisme et s’adapter aux nouveaux
équilibres du monde. Il faut s’attendre
que la Chine nouera ou développera des
liens avec les pays de la région, elle
qui propose des investissements en
échange de la fourniture de l’énergie
dont elle a besoin pour sa croissance
toujours forte.
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Publié le 4 novembre 2013
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