Syrie
Alain
Corvez :
« La population sent
l'existence d'un complot contre le pays
»
Quoiqu'on
en dise, ce Syrien n'est pas un
phénomène isolé
Jeudi 1er septembre 2011
Nous publions un
autre témoignage, d’un autre Français,
sur la visite de presse à Damas et Hama
organisée par une association patronale
syrienne entre le 21 et le 24 août.
Alain Corvez a déjà donné une
contribution à notre site, au tout début
de notre aventure (voir notre article « La
Syrie, objet de toutes les attaques« ,
mis en ligne le 2 juin). Colonel du
cadre de réserve, conseiller en
géostratégie internationale, Alain
Corvez est un spécialiste des questions
de terrorisme et de géopolitique. Un
spécialiste engagé, qui a pris position
contre le retour de la France dans
l’organisation militaire de l’OTAN et la
participation de notre pays au conflit
afghan. On ne s’étonnera donc pas qu’il
n’apprécie guère l’attitude de Nicolas
Sarkozy et d’Alain Juppé vis-à-vis de la
Syrie, non plus que le traitement
médiatique dont celle-ci est la victime
depuis six mois. Voici, après celle de
Guy Delorme et d’Alain Soral (voir nos
articles « Infosyrie
et Alain Soral : ce que nous avons vu à
Damas et Hama » et
sa suite mis en ligne les 25 et 27
août), ses impressions de voyage,
assortis d’une analyse sur ce qui est en
jeu en Syrie, et ce qui a été mis en
oeuvre par ses ennemis et ses
faux-amis..
(les intertitres
et les passages soulignés sont de la
rédaction)
« Lassés, voire excédés de lire et
d’entendre les mensonges, d’une outrance
rarement atteinte jusqu’alors, des
acteurs divers de la vie économique
syrienne ont constitué une Organisation
Non Gouvernementale afin de rétablir la
vérité sur la situation en Syrie.
Dénommée « Syria
is fine », « La
Syrie est belle », cette ONG a
invité entre cent cinquante et deux
cents personnes d’une vingtaine de
nationalités différentes, parmi
lesquelles de nombreux journalistes, à
venir constater sur place la réalité de
la situation, du 21 au 24 août.
Nous avons ainsi pu visiter Damas où
la vie continue comme par le passé, les
habitants s’adonnant à leurs activités
habituelles, petits ou grands commerces,
de constructions de bâtiments ou de
routes dans la périphérie, ou de
« farniente » à la terrasse des cafés ou
des échoppes. Discutant librement avec
les uns ou les autres lors de mes
promenades individuelles dans les rues
et dans les souks, je retiens
l’idée générale que la population sent
l’existence d’un complot contre le pays
et souhaite seulement qu’on la
laisse mener sa vie, modeste certes,
mais non miséreuse, dans le calme et
sans monter les Syriens les uns contre
les autres. Si certains
réclament plus de libertés, économiques,
administratives et policières, ils
reconnaissent au Président Bachar El
Assad la volonté sincère de mettre en
œuvre ces réformes indispensables à une
vie démocratique moderne.
Bachar : des revendications
légitimes, un complot manifeste, des
actes de terrorisme avérés
D’ailleurs, dans l’entretien télévisé
avec des journalistes le 21 août
au soir, le Président a répondu à ces
souhaits en annonçant les réformes de la
Constitution et des élections
législatives avant fin février, le temps
que se constituent les nouveaux partis
politiques désormais autorisés,
répondant ainsi à ceux qui
réclamaient ces mesures. Dans cet
entretien, il a fait le point de la
situation dans le pays, reconnaissant
l’aspiration authentique à des réformes
démocratiques de la part de
certains manifestants, aspirations qu’il
comprenait et auxquelles le régime
répondait justement par les mesures déjà
prises, notamment l’autorisation de
manifester dans le calme, auxquelles
s’ajoutaient celles qu’il venait
d’annoncer, qui demandaient du temps et
du calme pour organiser le
fonctionnement démocratique des pouvoirs
publics.
Bachar El Assad dénonçait en même
temps le complot organisé et soutenu de
l’étranger, utilisant les milices
terroristes islamiques pour tenter de
renverser le pouvoir. Là, il disait que
les forces de sécurité avaient pu être
surprises initialement mais qu’elles
avaient désormais la situation bien en
mains et pouvaient contrôler la
situation.
Evidemment, les comploteurs contre le
régime peuvent continuer à nier la
véracité d’avancées politiques
évidentes, puisque leur but n’est pas
une Syrie libre et démocratique mais un
pays à la solde de « l’Occident »,
éventuellement dirigé par des islamistes
soutenus pas l’Arabie Séoudite et les
services américains, cessant de soutenir
la cause arabe authentique, et notamment
la lutte des Palestiniens pour leur
cause.
Evidemment, ces comploteurs dont
beaucoup sont sans doute inconscients
d’être des marionnettes entre les mains
de manipulateurs spécialisés et
entraînés à soulever les foules au nom
de vertueux principes, – tandis que
d’autres escomptent établir un régime
ayant pour règle la charia sunnite – se
gardent bien de dire quels sont leurs
buts ultimes. Ils utilisent en tout cas
les moyens de communication sophistiqués
et onéreux qui leur ont été distribués
par de bonnes âmes démocratiques,
trouvés par les forces de l’ordre sur
des manifestants qui n’auraient pas eu
les moyens de les payer, à Deraa ou
Hama.
A Hama justement, l’ONG nous a emmené
visiter les lieux qui montrent
clairement que ce ne sont pas seulement
des moyens de télécommunication
sophistiqués qui ont permis de monter
les opérations de commandos, organisées
militairement, et qui, le 31 juillet,
ont détruit le commissariat de
police et tué sauvagement les 17
policiers qui l’occupaient, les
décapitant avant d’aller jeter leurs
corps dans la rivière Oronte (Nahr el
Assi), brûlé le Palais de Justice et
fait exploser le Cercle de garnison en
tuant 20 autres personnes. A l’évidence
ces opérations ont été montées avec des
armements importés par des filières
franchissant les frontières et n’avaient
pas pour but de faire avancer la
démocratie en Syrie. Le Gouverneur de la
ville nous expliqua que ces
opérations militaires avaient été
organisées pour bloquer le centre ville
et laisser agir ces groupes, composés
d’après lui de salafistes hors-la-loi,
assortis de trafiquants divers. Il
ajoutait que les responsables de sa
ville avaient autorisé les
manifestations pacifiques et dialogué
avec les meneurs mais que ces
opérations terroristes avaient nécessité
une réponse militaire appropriée. Les
médias occidentaux avaient présenté les
évènements de façon mensongère en disant
que les forces de l’ordre tiraient sur
la foule pacifique. Comment expliquer
alors les centaines de soldats tués et
les nombreux blessés, dont nous avons
visité quelques uns à l’hôpital
militaire de Tichrine, dans la banlieue
de Damas, qui nous ont expliqué comment
ils avaient été agressés à Hama, Deraa,
Deir El Zor, après avoir été isolés à
dessein du gros de leur formation.
Inconséquences & incohérences
de la diplomatie française
Ancienne civilisation mondiale,
stratégiquement située au Moyen-Orient,
la Syrie ne peut être ignorée si l’on
veut mener une politique arabe
cohérente. Ce fut l’erreur commise par
Jacques Chirac, coupant totalement les
relations avec Bachar al-Assad après
l’avoir accusé sans preuves de
l’assassinat de son ami Rafic
Hariri en 2005, faute géopolitique
intelligemment corrigée par Nicolas
Sarkozy dès son arrivée à l’Elysée en
2007, hélas reconduite un an plus tard
de façon incompréhensible pour les
Syriens et pour les observateurs
politiques, à moins d’y voir un
alignement encore plus marqué sur la
vision impériale américaine du monde.
Que s’est-il passé pour que
celui (Bachar) qui était invité
d’honneur sur les Champs Elysées le 14
juillet 2010, soit devenu un ennemi à
abattre quelques mois plus tard ?
Pourtant les spécialistes savent bien
que le problème de l’Iran ne peut être
résolu qu’en liaison avec la
Syrie, problème pour lequel le Président
syrien avait promis son aide au
Président français. Les Etats-Unis et
Israël savent bien que ce serait folie
de faire la guerre à l’Iran, et il reste
suffisamment de sages à Washington pour
dissuader l’administration américaine de
se lancer dans une telle folie.
Mettre des islamistes sunnites au
pouvoir à Damas ne permettrait pas de
marquer des points utiles contre l’Iran
chiite dont l’alliance actuelle avec la
Syrie est conjoncturellement stratégique
et nullement confessionnelle.
C’est contre la domination de la
« démocratie américaine » que les deux
pays s’entendent, et avec eux de
nombreux pays qui partagent cet
antagonisme, ouvertement ou plus
discrètement comme la Russie et la Chine.
Comme l’avait dit Vladimir Poutine en
2007 à Munich, un monde unipolaire n’est
plus possible et il faut impérativement
organiser des relations équilibrées
basées sur la justice entre les nouveaux
et les anciens pôles de puissance.
Poutine avait ajouté que la démocratie
ne peut pas être la domination
d’une majorité sur les autres mais la
prise en compte des aspirations des
diverses minorités.
Lors du dernier dîner en commun le 23
août, le Vice-ministre des Affaires
Etrangères syrien, Fayçal Makded, nous
disait qu’il était clair que la Syrie
était attaquée parce qu’elle était
opposée à la politique
américano-israélienne en Palestine. Mon
voisin, Ismail Muftuoglu, ministre de la
Justice de Turquie en 1995-96, après
avoir fait sa courte prière de rupture
du jeune, demandait à prendre la parole
pour dire à tous au micro qu’il
dénonçait l’ambigüité de la politique de
son gouvernement, qui en venait à
soutenir des terroristes islamistes
contre un pays frère dont l’islam est la
religion majoritaire mais qui a toujours
préservé le multiconfessionnalisme.
Pour lui, l’AKP d’Erdogan
prenait même des risques énormes pour
l’avenir de la Turquie.
Des points de vue – éminents
– chrétiens
Les chrétiens rencontrés nous avaient
déjà fait part de leur crainte de voir
les islamistes les attaquer, comme ils
l’ont d’ailleurs fait à Rabareb, près de
Deraa, quand 500 d’entre eux environ ont
attaqué un commissariat tenu par des
policiers chrétiens. Nous recevant dans
sa basilique grecque-orthodoxe
Sainte Marie, Mgr Luca Al Khoury nous
raconta comment il en avait refusé
l’accès à l’ambassadeur américain après
que ce dernier se soit solidarisé avec
les mutins de Hama. Le Patriarche
Ignatius IV nous expliquait ensuite les
erreurs d’appréciation de l’Occident sur
la culture orientale et notamment
syrienne : les chrétiens étaient les
premiers en Syrie dit-il, puis l’islam
est arrivé ensuite et depuis lors il n’y
a jamais eu de luttes entre les
habitants qui se sentent d’abord et
avant tout Syriens. Vantant l’ouverture
d’esprit et la jeunesse du Président
Bachar, il se disait convaincu que
c’était lui le mieux à même de
moderniser le pays en respectant ses
diversités et sa culture de la plus
ancienne civilisation du monde. S’il y
avait des différences d’appréciation, il
fallait les résoudre par le dialogue
ajoutait-il. On remarquera à ce sujet
que le nouveau Ministre de la Défense
est un général chrétien, Daoud Raghah.
Une traductrice en français, chrétienne,
me précisait que dans sa région
d’origine près de Tartous, le
danger de subversion renforçait l’amitié
entre musulmans et chrétiens.
Cette offensive de l’islamisme
terroriste en Syrie a été bien sûr
soutenue par les sunnites les plus
excités d’Arabie, du Liban, de Turquie
et de Jordanie, offensive d’ailleurs
préparée par ce qu’il faut bien appeler
un laisser-faire complaisant du régime
pour ne pas engendrer d’affrontements,
je pense notamment à la construction de
1 134 mosquées illégales financées par
l’Arabie Séoudite.
Edward Lionel Peck, ancien
ambassadeur des Etats-Unis dans de
nombreux pays arabes et donc excellent
connaisseur, me disait dans un français
presque parfait que son pays ne
comprenait pas l’Orient et pensait de
bonne foi que « l’American way of life »
était la meilleure au monde et qu’il
avait le devoir de l’exporter dans toute
la planète….
La société syrienne aspire à
la réforme ET au calme
En conclusion de ce voyage, il me
semble clair que la Syrie est l’objet
d’un complot visant à renverser un
régime qui n’a pas l’heur de plaire à
Washington, en utilisant les aspirations
légitimes d’un peuple à davantage de
libertés, économiques, administratives,
politiques et de l’information. Le
régime a enclenché les réformes
souhaitées et maîtrise désormais la
subversion terroriste. Si les sanctions
feront souffrir le peuple, le
gouvernement n’a pas à craindre
d’intervention militaire de l’Occident
qui n’en a plus les moyens, se demandant
sans doute comment il va gérer le chaos
installé en Libye.
Or, contrairement à certaines
idées reçues d’observateurs soi-disant
éclairés, l’actuel Président
contrôle et dirige son pays sans devoir
composer avec telle ou telle « vieille
garde » ou lobby influent.
Ayant circonscrit la menace islamiste et
en mesure de la contrôler, il peut
engager les réformes et semble
d’ailleurs être le mieux à même de les
mener à leur terme. Si certains milieux
sunnites lui restent hostiles par
tradition, la majorité du peuple semble
souhaiter le calme et l’harmonie entre
toutes les composantes de la société
syrienne.
A Damas comme à Hama, nous avons vu
des habitants calmes et travaillant
normalement, sentiment partagé par les
journalistes russes, hongrois, turcs,
avec lesquels j’ai pu discuter.
Il y a un désir de réforme chez
certains, mais peu nombreux sont ceux
qui veulent le renversement du régime.
Ces données sont, il est vrai,
difficiles à évaluer, et nous entendrons
des journalistes, français notamment,
estimer l’opposition comme plus intense
qu’elle n’est, et interpréter tous les
faits et déclarations dans le sens de
leurs idées préconçues qui sont que ce
régime doit être renversé et que le
peuple syrien est de cet avis.
Pourtant la Syrie de Bachar El Assad est
une plaque tournante qui possède de
nombreux appuis dans le monde et la
volonté occidentale pourrait se heurter
au mur des réalités. D’autant
plus que l’immense majorité de la
population ne s’est pas manifestée pour
l’instant, elle qui se sent solidaire de
la lutte des Palestiniens pour leur Etat
et en accueille plusieurs centaines de
milliers depuis des années, comme elle a
accueilli un million et demi d’Irakiens
depuis 2003. Cette solidarité arabe est
à prendre en considération dans toutes
les évaluations que peuvent faire les
experts et stratèges auto-proclamés. »
Alain CORVEZ 31 août 2011
Publié le 2 septembre
2011 avec l'aimable autorisation d'Info
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