Al-Ahram Hebdo
Un témoin gênant
pour Israël
Ahmed Loutfi, Aliaa Al-Korachi
Photo Al-Ahram
Mercredi 9 septembre 2009
UNRWA .
L’organisation qui s’occupe des réfugiés
palestiniens prépare son 60e anniversaire à l’heure des
intrigues d’Israël, pour lequel elle est la preuve de
l’existence d’un peuple chassé de ses terres.
Gaza, secteur martyrisé, immense camp de réfugiés. Ce mois
d’août, on a vu cependant un spectacle de milliers d’enfants
faisant voler des cerfs-volants dans le ciel battant ainsi le
record du plus grand lâcher de cerfs-volants dans le ciel.
Cette manifestation s’inscrit dans le
programme des jeux d’été organisés par l’Office de secours et de
travaux des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine dans le
Proche-Orient (Unrwa), comme le souligne l’agence palestinienne
WAFA. « Voir ces jeunes enfants, qui, il y a quelques mois
encore, vivaient au milieu du conflit, si heureux m’a touchée »,
a expliqué l’humanitaire Johanne van Dijk, travaillant pour
l’Unrwa, interrogée par le Centre d’actualités de l’Onu, à
l’occasion de la Journée internationale de l’aide humanitaire
célébrée le 19 août.
Mme Van Dijk a rendu hommage à « l’incroyable
détermination de la population » de Gaza qui continue, avec cet
esprit remarquable et admirable, d’aller en avant et d’essayer
de fournir une vie décente à ses enfants. Juste des activités
emblématiques ? L’Unrwa, qui prépare la célébration du 60e
anniversaire de sa création, a quasiment l’âge du dossier dont
elle se charge, et est souvent placée entre l’enclume et le
marteau. Sa responsabilité c’est quasiment tout un peuple qui
s’est trouvé dépossédé de sa patrie en 1948 et qui a été pris
sous le feu de la guerre qui n’a fait que confirmer son
caractère, voire son statut de réfugié ni plus ni moins. Du côté
israélien, c’est « le feu des soldats portés sur les rivages »
si l’on veut pasticher ce vers d’Aragon. Du côté arabe comme du
côté international, c’est un processus politique hasardeux.
En réalité, la communauté internationale a
réagi à l’exode massif de Palestiniens en créant l’Unrwa en 1949
avec objectif officiel de venir en aide aux réfugiés (cet
organisme intervient en Cisjordanie et dans la bande de Gaza
ainsi qu’en Jordanie, en Syrie et au Liban). Et comme on le
souligne lorsque a été élaboré le statut d’une organisation (le
Haut Commissariat aux Réfugiés HCR) ainsi que la Convention de
1951 relative au statut des réfugiés (Convention des réfugiés),
on y a fait figurer des dispositions excluant les Palestiniens
qui recevaient une aide de l’Unrwa. Ils sont devenus la
seule population réfugiée au monde exclue de la protection
internationale reconnue. D’ailleurs, selon la définition de l’Unrwa,
un « réfugié de Palestine » est une personne dont le lieu de
résidence habituel était la Palestine entre juin 1946 et mai
1948 et qui a perdu à la fois son domicile et ses moyens de
subsistance. Une définition qui dérange beaucoup Israël et ses
partisans.
Autant d’aspects qui résument le caractère
tragique de la situation des Palestiniens et qui donnent à l’Unrwa
une spécificité indéniable pour laquelle elle se bat souvent
contre vents et marées. Israël, depuis la création de l’Unrwa,
essaye de la délégitimer.
Les attaques à l’encontre de l’Unrwa ont été
un « fil rouge » de tous les gouvernements israéliens depuis les
années 1960, car l’agence onusienne est devenue aux yeux du
peuple palestinien le symbole vivant des aspirations des
réfugiés au retour dans leurs foyers.
selon Mohamad Khamis, directeur de rédaction
du magazine Al-Qods, cette organisation, malgré son existence,
reste une adresse pour les réfugiés palestiniens. Son absence
signifie la disparition de ce procès.
D’ailleurs, il relève que si l’Unrwa a joué
un rôle important du point de vue humanitaire, il est évident
qu’au cours des dernières années, « il y a de la provocation de
la part d’Israël. Voire cela a commencé après 2000, lorsque le
président américain Bill Clinton a proposé une solution pour
résoudre le problème des réfugiés qui consistait en rapatriement
et compensation. Les Américains allaient payer 40 milliards de
dollars aux Palestiniens et la même somme à la Syrie, le Liban
et la Jordanie pour accueillir des réfugiés. Depuis, Israël ne
fait que mener campagne contre l’Unrwa qui incarne une cause qui
dérange la conscience mondiale. Elle est la représentation
essentielle du problème des réfugiés ». La campagne israélienne,
on le voit bien, a pour but définitif qu’il n’y ait pas de
peuple palestinien. « C’est la psychologie du voleur ? L’Unrwa
reste témoin d’un drame qu’Israël veut faire disparaître »,
ajoute le journaliste palestinien. Son point de vue est celui de
tous ceux qui ont une approche logique et humaine de la
question. Au regard de la réalité, la question qui ne cesse
d’être posée est : comment la communauté internationale
peut-elle accepter et entériner l’expulsion d’un peuple, rester
sourde à sa revendication de retour à son pays, pourtant votée
par l’Onu ?
En fait, Tel-Aviv et le lobby juif en
Amérique ne cessent de lancer une campagne malveillante contre
l’Unrwa.
Ce lobby, qui mène tambour battant une
campagne contre tout ce qui représente une reconnaissance des
droits palestiniens, voire de l’existence même d’un peuple
palestinien, s’en prend à l’Unrwa par tous les moyens et en
prétextant tous les arguments si faux soient-ils. Le lobby
sioniste-américain a demandé au secrétaire général de l’Onu, Ban
Ki-moon, le renvoi immédiat de la commissaire générale de
l’agence Karen AbuZayd et le directeur des opérations John Ging.
C’est l’influent Centre Simon Wiesenthal, qui est la plus grande
institution juive des droits de l’homme dans le monde et qui
comprend 400 000 membres, qui accuse l’Unrwa d’être pro-Hamas et
ce parce que selon cette organisation, l’Unrwa a refusé
d’enseigner l’Holocauste dans ses écoles à Gaza. Et de prétendre
que Karen AbuZayd, lors de la conférence de presse, s’est
comportée « comme un membre officiel du mouvement Hamas ». Quant
à John Ging, il est pris à partie parce qu’il « fait infraction
à l’Onu en affirmant qu’un programme scolaire palestinien ne
peut comprendre des choses qui vont à l’encontre de la volonté
du peuple palestinien ».
Et pourquoi cette vindicte contre Ging ?
Depuis le 1er février 2006, John Ging dirige les opérations de
l’Unrwa à Gaza.
Il a toujours mis en relief que la situation
à Gaza « n’est pas mauvaise. Elle est pire que tout ce que l’on
peut imaginer. L’énorme pression morale qui s’exerce sur la
population ne se voit pas dans les reportages consacrés à Gaza.
Dire de Gaza qu’elle est une prison à ciel ouvert ne correspond
pas à la réalité, car en prison chaque individu reçoit un repas
trois fois par jour ».
Comme le soulignent certains analystes, on
pourrait dire que les pro-sionistes reprochent à l’Unrwa d’aider
le Hamas. Ils s’en prennent par exemple à Ging. Pourquoi ? Parce
qu’il défend, et c’est ce qui dérange, ouvertement et sans peur
la cause palestinienne, quel que soit son public. Il parle de
nettoyage ethnique. « Nier la nakba équivaut à nier la Shoah ».
Il reconnaît le droit au retour des Palestiniens, mais plaide
pour un compromis négocié pacifiquement. Il invoque constamment
la vision défendue par les Nations-Unies en ce qui concerne la
paix et les droits de l’homme.
Or, au moment où l’Unrwa et ses hommes sont
pris à partie par les sionistes, des membres du Hamas
s’attaquent aussi à l’agence, tant et si bien que le
député hamassi Mouchir Al-Masri veut constituer un comité
populaire hostile à l’Unrwa et résister à ses activités, en
dépit du refus palestinien populaire et officiel. Là où les
contradictions sont extrêmes, c’est cette question de
l’enseignement de l’holocauste. Le Hamas, lui, estime que l’Unrwa
veut introduire cette matière dans les programmes, alors
qu’Israël lui reproche le contraire.
Des combats des extrêmes qui seraient
finalement la preuve de l’objectivité de l’agence. Emad Gad,
rédacteur en chef d’Israël Digest publié par le Centre d’études
politiques et stratégiques d’Al-Ahram, affirme que « si l’Unrwa
est critiquée par les deux parties au conflit, cela est la
preuve qu’elle est objective ». Il donne comme exemple que le
Hamas s’est élevé contre l’agence parce qu’elle n’a pas voulu
que ses bâtiments servent d’abri à des combattants palestiniens.
En revanche, Israël voit que les ambulances de l’Unrwa servaient
de couverture à des combattants du Hamas pendant l’agression
contre Gaza. Il rappelle qu’Israël a détruit au cours de cette
campagne de nombreux bâtiments, écoles et hôpitaux de l’agence
où les Palestiniens se réfugiaient, les considérant comme des
sites internationaux.
La vraie mission de l’Unrwa
Photo Al-Ahram
On peut dire que ces critiques sont
malveillantes dans la mesure où l’agence a une tâche humanitaire
très difficile à mener sur un véritable champ de bataille. Elle
ne dispose pas d’une puissance militaire dissuasive face aux uns
et aux autres.
A cet égard, l’ancien avocat principal de
l’organisation entre 2000 et 2007, Me Lindsay, a rédigé un
rapport paru récemment, où il souligne que les défaillances
attribuées à l’Unrwa n’ont pas eu lieu parce que l’Unrwa «
soutient effectivement le terrorisme, mais parce que
l’organisation ne se soucie pas particulièrement du problème. Sa
préoccupation principale est de fournir services et protections
aux réfugiés palestiniens », précise-t-il (lire entretien page
6).
Témoin privilégié des conditions de vie
dramatiques dans les camps de l’intérieur et de l’exil, l’Unrwa,
en tant qu’organe subsidiaire, a toujours eu un mandat
temporaire et « humanitaire » qui ne s’occupe pas directement
des problèmes politiques de leurs tenants et aboutissants.
La question du financement
Son travail essentiel c’est le secours
finalement. Et là les obstacles s’accumulent.
Concernant l’activité de l’Unrwa, présente
depuis 60 ans sur le terrain, Mme Koning AbuZayd a regretté de
n’avoir « jamais pu obtenir tous les fonds demandés pour
améliorer la qualité des services rendus. Nous avons toujours eu
un trou de 100 millions de dollars », a précisé la responsable
de l’Unrwa, qui s’est plainte à plusieurs reprises des
difficultés financières de cette agence aidant plus de 4,6
millions de réfugiés palestiniens au Proche-Orient.
D’ailleurs, l’agence vient de lancer un appel
aux pays arabes pour contribuer au redressement de la situation.
Elle affronte un déficit inédit en 2009 estimé à 150 millions de
dollars sur l’ensemble de son budget estimé à 545 millions de
dollars. Elle a demandé aux pays arabes de se charger de 8 % du
budget, conformément à une résolution dans ce sens de la Ligue
arabe. « Malheureusement, les donations n’ont atteint que 1 % du
budget à l’heure où augmentent les charges et le nombre de
réfugiés », affirme Adnane Abou-Hassana, conseiller de presse de
l’Unrwa.
Désolant en fait, pour Emad Gad, « les Arabes
n’ont pas la culture des actions internationales collectives ou
celles des œuvres de secours. Ils préfèrent traiter chacun à
part agissant dans un contexte bilatéral avec les Palestiniens.
Ce qui démontre l’existence de considérations politiques ».
Difficile à admettre, mais c’est la réalité.
Le monde arabe se doit de déployer des efforts pour renforcer l’Unrwa.
« Le rôle de l’Unrwa n’est pas uniquement humanitaire ; il a une
dimension politique qui est la question des réfugiés dont elle
est l’emblème », souligne Mohamad Khamis. En fait, c’est pour
cela qu’Israël en veut à l’Unrwa.
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AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 9 septembre 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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