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Ha'aretz
Les cinq années
perdues du processus de paix
Akiva Eldar
[Eldar poursuit avec sa source
favorite, Mati Steinberg, ancien du Shin Bet, l'analyse des
erreurs stratégiques d'Israël (1). Ici, comment l'initiative de
paix arabe est passée à la trappe. Analyse de cette initiative
qualifiée par Steinberg d'historique et débat juridique sur
l'interprétation de la résolution 194 de l'ONU, essentiel pour
le fond]
http://www.haaretz.com/hasen/spages/837965.html
Ha'aretz, 16 mars 2007
Le 14 janvier 2002, au moment où, en pleine trêve, les plus haut
échelons militaires et politiques israéliens envoyaient l'armée
assassiner Raed Karmi, chef de la branche armée du Fatah à Tul
Karem, le Dr Mati Steinberg, alors conseiller pour les affaires
palestiniennes au Shin Bet, n'avait pas été associé à cette décision.
A ce moment-là, Avi Dichter, son patron direct (aujourd'hui
ministre de la sécurité intérieure), n'a pas voulu savoir ce
que l'expert de la maison pensait des répercussions politiques
que pourrait avoir l'assassinat d'une personnalité palestinienne
clé supplémentaire.
"Exactement comme je le craignais", se rappelait
Steinberg cette semaine, "l'assassinat de Karmi a provoqué
le sabordage de la trêve qui durait depuis le 16 décembre 2001.
Non seulement l'assassinat a poussé les gens du Fatah à
commettre des attentats suicides et a donné le signal de départ
d'une compétition entre eux et le Hamas, à savoir qui tuerait le
plus grand nombre de Juifs, mais il a aussi provoqué l'opération
Rempart, qui a remisé au placard l'initiative arabe [initiative
saoudienne devenue "initiative arabe" après le sommet
de la Ligue arabe à Beyrouth, ndt] et annihilé toute chance de
remettre la piste diplomatique avec les Palestiniens, pour la
première fois, sur le chemin direct de l'initiative de paix
arabe."
Malgré cette tendance de ses supérieurs à ignorer ses
recommandations concernant les assassinats ciblés, Steinberg ne
renonça pas. Il resta au Shin Bet jusqu'en 2003, en continuant à
écrire notes et analyses. Depuis
lors, il enseigne à l'université Hébraïque et au Centre
interdisciplinaire d'Hertzliya. Dans l'un de ses tiroirs se trouve
une analyse écrite à chaud, au moment de l'initiative arabe en
mars 2002.
Steinberg y comparait les nouvelles positions de la Ligue arabe à
ses résolutions précédentes. Il signalait ce qu'il définit
comme "le grand changement" : le souhait de mettre un
terme au conflit, d'établir des relations de voisinage normales
entre les Etats arabes et Israël et de parvenir à une solution
mutuellement agréée de problème des réfugiés. Ayant appris
que les Etats arabes avaient commencé à diffuser les principes
de cette initiative sur différents forums, Steinberg n'eut plus
de doute. il était convaincu d'avoir devant lui un document d'une
importance historique. Document qui est remonté jusqu'au cabinet
du premier ministre d'alors, Ariel Sharon. "Ils m'ont contacté
de la part du secrétariat militaire de Sharon pour clarifier avec
moi certains éléments factuels de la résolution de la Ligue
arabe. Je leur ai répété les explications que j'avais déjà écrites
dans mon analyse, et puis, je n'ai plus jamais entendu parler
d'eux. A ma connaissance, il n'y a eu aucune discussion sur le
sujet."
Plusieurs jours plus tard, un quotidien israélien publiait un
article du secrétaire du gouvernement d'alors, Gideon Sa'ar
(aujourd'hui député Likoud), qui "descendait" la résolution
de la Ligue. Pour Steinberg, Sa'ar a lu le document et tenté
de nier tout ce qui ressemblait à un changement positif du côté
arabe. "Il y avait là un syndrome qui opérait : 'quand on
ne veut pas regarder, on ne verra rien'," dit Steinberg qui
pleure les cinq
années passées depuis. "Dans une certaine mesure, cela m'a
rappelé l'époque où le mufti Haj Amin Al Husseini s'était
opposé au Livre Blanc britannique, malgré les immenses avantages
politiques que le document lui offrait, et a fait ainsi le jeu de
Ben Gourion."
Peu de temps après, Yasser Arafat annonça qu'il acceptait
l'initiative arabe et envoya même Mahmoud Abbas (aujourd'hui président
de l'Autorité palestinienne) à Washington informer les Américains
de sa décision. Au même moment, les tanks israéliens
resserraient leur étau sur la Mouqata (siège du gouvernement
palestinien) à Ramallah. "Je me suis bien rendu compte que,
sur le plan de la politique intérieure, le gouvernement ne
pouvait plus se retenir et ne pas agir, mais il est inacceptable
qu'au lendemain de l'acceptation par l'Autorité palestinienne de
l'initiative arabe, nous ayons attaqué le QG de Jibril Rajoub.
Car quel était le message que nous envoyions à la population
palestinienne? Que le pragmatisme ne paie pas. J'ai dit qu'en
aucun cas le centre du gouvernement palestinien ne devait être détruit,
car l'Iran et le Hamas exploiteraient le chaos et que plus tard,
nous aurions un jihad mondial", dit l'ancien conseiller du
Shin Bet.
Steinberg rejette l'argument de certains, dont le professeur
Shlomo Avineri, pour qui la Ligue arabe tente d'imposer à Israël
des conditions préalables. Il a du mal à comprendre comment des
gens sérieux peuvent prétendre que quiconque attend d'Israël
qu'il se retire des territoires sans avoir au préalable mené des
négociations détaillées sur les frontières, les arrangements
de sécurité, les lieux saints, etc. Pour lui, l'absence [dans le
texte de l'initiative arabe] d'exigence d'évacuer les colonies
juives dans les territoires n'est pas l'effet du hasard. Il est
clair pour les Arabes que le chemin d'un accord de paix passe par
la table des négociations.
Depuis septembre 2001, Steinberg a lu tout ce qui a été écrit
en arabe sur l'initiative de paix. Il en conclut que la Ligue
arabe ne propose pas un retrait d'abord et une normalisation
ensuite, mais la simultanéité des deux. "Et puis, quiconque
exige une normalisation comme condition préalable au retrait ne
peut pas dénier à l'autre le droit d'exiger un retrait comme
condition préalable à la normalisation."
Ce que propose Mati Steinberg, ce n'est pas que le
gouvernement Olmert entame des négociations avec le gouvernement
d'Ismaïl Haniyeh sur la base de l'initiative arabe :
"L'accord de La Mecque donne pouvoir à Mahmoud Abbas de
conduire les négociations. De toute façon, Olmert rencontre
Abbas. La question n'est pas avec qui parler, mais de quoi."
Pour démontrer ce dernier argument, Steinberg ressort une
citation d'Ahmed Youssef, conseiller de Haniyeh, qui déclarait au
quotidien londonien A Sharq al Awsat qu'il fallait
"s'attendre à des changements idéologiques dans la pensée
du Hamas, car nous sommes prêts à réagir positivement à
l'initiative de paix arabe, à condition qu'Israël s'y tienne lui
aussi, ce qui ne s'est pas produit pour le moment." Pour
Steinberg, l'initiative arabe est même plus importante
aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a cinq ans : "A l'époque,
elle concernait essentiellement les Palestiniens, alors
qu'aujourd'hui, ce texte concerne tout le Moyen-Orient. Non
seulement elle représente une solution au conflit israélo-palestinien,
mais elle renforce aussi le centre arabe sunnite. De plus, un
soutien régional pourrait aider les Palestiniens à accepter des
concessions qu'ils ne seraient pas capables de digérer tout
seuls."
La question du droit au retour
La ministre des affaires étrangères Tzipi Livni exige des
dirigeants des 22 Etats arabes, qui doivent se réunir à Riyad à
la fin du mois pour confirmer la ratification de l'initiative de
la Ligue arabe, qu'ils en éliminent le
droit au retour. Or, contrairement aux paramètres Clinton (qui
proposaient la réalisation du droit au retour dans les frontières
de l'Etat palestinien), cette expression, qui fait peur à Israël,
ne figure pas dans le texte de l'initiative arabe. Mais, pour
Livni, ce terme problématique se camoufle sous l'expression
"sur la base de la résolution 194 (1) de l'Assemblée générale
des Nations Unies", dans le chapitre final de la proposition
de la Ligue arabe qui appelle à "une solution juste et
mutuellement agréée au problème des réfugiés".
Il y a un peu plus d'un an, quand Livni tentait de rallier les
gens à la cause du plan de désengagement [de Gaza], elle
s'enorgueillissait d'une lettre du président américain Bush à
Ariel Sharon sur la question des
réfugiés, dans laquelle il s'engageait à ce que, lorsque le
problème des réfugiés serait abordé lors de futures négociations,
les Etats-Unis soutiendraient la réalisation du droit au retour
uniquement dans l'Etat palestinien qui serait créé dans les
territoires, et non sur le territoire de l'Etat d'Israël. A l'époque,
cette lettre fut considérée comme une réussite majeure pour
Sharon. Ce positionnement des Etats-Unis aux côtés d'Israël sur
cette question rend purement académique le débat sur l'interprétation
de la résolution 194.
Le professeur Ruth Lapidot, qui a été pendant de nombreuses années
le conseiller juridique du ministère des affaires étrangères,
ne comprend pas pourquoi les politiques israéliens font si grand
cas du droit au retour.
Dans une analyse qu'elle a publiée en 2003 pour le Jerusalem
Institute for Israel Studies, elle affirme que l'argument arabe
selon lequel la résolution 194 leur accorde le droit au retour
n'a aucun fondement. Elle explique que l'option du retour des
Palestiniens qui souhaitaient retourner dans leurs foyers dépendait
de leur désir de vivre en paix avec leurs voisins. Cette option,
note-t-elle, n'est plus applicable depuis le début de la deuxième
Intifada en septembre 2000.
Ruth Lapidot approuve l'interprétation du professeur Geoffrey R.
Watson, ancien membre du staff juridique du Département d'Etat américain,
de la phrase, dans la résolution 194, qui stipule que "les réfugiés
qui souhaitent retourner chez eux et vivre en paix avec leurs
voisins devraient ("should") être autorisés à le
faire le plus rapidement possible." Les deux experts
s'accordent pour dire que le mot "should"
(contrairement au mot "shall", par exemple) fait de
cette option une simple recommandation.
Dans son livre "The Oslo Accords : International Law and the
Israeli-Palestinian Peace Agreements" (Oxford University
Press), Watson note d'ailleurs que même la délégation
palestinienne à l'Assemblée générale affirmait alors que cette
expression, "should be permitted" (devraient être
autorisés) ne revenait pas à une reconnaissance du droit au
retour. De plus, il s'agit d'une résolution de l'Assemblée générale
qui n'est, contrairement à celles du Conseil de sécurité, ni opérative
ni contraignante.
Mais les plus grandes critiques à l'égard de la version de Livni,
selon laquelle l'initiative de paix arabe garantit le droit au
retour, se trouvent chez les leaders du Hamas et d'Al-Qaïda. Dans
une réaction officielle à la décision de la Ligue arabe à
Beyrouth, le Hamas déclarait : "Il faut condamner énergiquement
ce transfert de la question du droit au retour à la table des négociations
et cette demande que son application soit réalisée
par un accord mutuel avec Israël." Il y a six mois, Moussa
Abou Marzouk, adjoint de Khaled Mesh'al, expliquait à l'occasion
d'une interview que l'une des principales raisons pour lesquelles
le Hamas avait décidé de rejeter les initiatives diplomatiques
qui avaient vu le jour ces dernières années, dont l'initiative
arabe, était "qu'une solution qui ne comprend pas le droit
au retour de tous les réfugiés et la récupération de leurs
bien est intenable." Il affirmait que la décision de la
Ligue arabe sonnait le glas de ce droit sacré.
Le Dr Mati Steinberg dit que son interprétation de l'initiative
arabe est exactement la même que celle du Hamas. "La différence
entre nous", dit ce spécialiste du Moyen-Orient, "est
qu'une modification qu'ils considèrent comme un retrait par
rapport aux positions traditionnelles sur le droit au retour et
sur le conflit en général, constitue pour moi une occasion
unique de se débarrasser de l'obstacle du droit au retour pour en
finir complètement avec le conflit."
(1) Voir en particulier "Conceptions erronées, mais
populaires (et réciproquement)" http://www.lapaixmaintenant.org/article788,
"Les deux erreurs stratégiques d¹Israël et le syndrome du
cordonnier" http://www.lapaixmaintenant.org/article1267,
et "Le retrait, faute de mieux ?" http://www.lapaixmaintenant.org/article995
(2) Cette résolution de l'AG des Nations Unies date du 11 décembre
1948.
Trad. : Gérard
pour
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