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Ha'aretz
Main
dans la main
Akiva Eldar
[Une école bilingue et
"tri-religieuse", école de la co-existence et du
respect de l¹Autre. Un îlot dans des flots de haine, mais un îlot
qui n¹est pas désert et qui essaime. Le dernier-né à Beer
Sheba]
Ha¹aretz, 9 septembre 2007
http://www.haaretz.com/hasen/spages/902130.html
Quand ma petite-fille Tamar, 5 ans, et son père David veulent
communiquer sans que maman comprenne, ils parlent arabe. Avec son
amie Bana, de Beit Safafa, au sud de Jérusalem, Tamar l¹aînée
parle moitié hébreu, moitié arabe. Tamar et Bana se sont
rencontrées l¹année dernière à l¹école bilingue Yad b¹Yad
(« Main dans la Main »).
Dimanche dernier, elles se sont vues de nouveau à l¹école
maternelle, dans la classe de Sabrine Salman et Natalie May
Raphael. Une classe de 30 élèves, moitié arabes (musulmans ou
chrétiens), moitié juifs. Quelques-uns de ces enfants sont issus
de couples mixtes. Certains viennent de Jérusalem-Est, d¹autres
du quartier arménien de la Vieille Ville.
Cette école a été fondée il y a 10 ans par l¹association Yad
b¹Yad, qui compte trois écoles bilingues en Israël, de la
maternelle à la 3ème, pour 410 enfants. Pendant 8 ans, l¹une
des écoles a fonctionné dans les locaux de la Denmark School,
dans le quartier de Katamon à Jérusalem, mais dans un mois, elle
va s¹installer dans de nouveaux locaux situés entre les
quartiers de Patt et de Beit Safafa. Mardi matin, pour la
rentrée, les enseignants ont réuni les enfants pour la « réunion
» quotidienne. Sous les décorations célébrant le début de l¹année
scolaire, Natalie a dit aux enfants, en hébreu, que le grand-père
de Tamar voulait en savoir plus sur leur école. Sabrine a expliqué,
en arabe, que l¹invité voulait comprendre en quoi leur école était
si particulière.
« On parle arabe et aussi hébreu », dit Eviatar, la mine très
sérieuse.
Ca te plaît ?
Eviatar réfléchit un moment : »Parfois oui, parfois non. »
Natalie approuve : « C¹est vrai, on n¹est pas obligé de tout
aimer. »
A la question qui s¹impose, « Quelle fête est pour bientôt ?
», les enfants répondent en chœur « Rosh Hashana. » Haviva
ajoute en arabe : « On prépare des grenades. » (1)
« De qui est-ce la fête ? »
demandent les enseignants.
« Des juifs », répondent les
enfants.
« Et qui va faire la fête
? »
« Tout le monde ensemble.
»
« Comment allez-vous la célébrer
? »
« On va manger des pommes trempées
dans du miel. »
« Et qu¹allons-nous faire pour
le Ramadan ? »
« Nous allons construire une
tente et les adultes jeûneront le jour et mangeront la nuit. »
Une petite fille lève le doigt : « J¹aime bien aussi que
Hanouka tombe en même temps que Noël, mais j¹aimerais aussi que
les enfants juifs apprennent un peu mieux à parler arabe. »
Adam, un enfant juif aux cheveux blonds, entame un chant de Noël
en arabe, repris par un certain nombre d¹enfants juifs plus âgés.
L¹an dernier, à Hanouka, nous avions fêté l¹anniversaire de
Tamar, et la maternelle était décorée d¹une ménorah, de
toupies (jeu traditionnel de Hanouka), d¹un arbre de Noël et d¹une
tente avec des coussins colorés et une fontaine à café. Les
vacances sont calculées pour coïncider avec les fêtes des trois
religions.
Tamar sait qu¹il y a dans sa classe des enfants qui parlent hébreu
et d¹autres arabe, mais elle ne parle jamais d¹enfants « juifs
» ou « arabes ». Apparemment, elle n¹associe pas encore les
enfants arabophones de sa classe aux enfants tués à Gaza qu¹on
voit à la télévision.
Quand Tamar commencera à comprendre la soi-disant menace démographique,
elle pourra songer à son amie Rima, qui paraît assez peu menaçante.
Rima est la fille d¹Ala Khatib, qui dirige l¹école avec Dalia
Peretz. Comme pour les enseignants de maternelle, le personnel de
l¹école comprend des femmes juives et musulmanes pratiquantes
(les hommes sont très rares) : la direction est très
sourcilleuse sur l¹égalité.
Ala Khatib vient de Tira. Il a une maîtrise en génétique
obtenue à l¹université Hébraïque de Jérusalem. Il dit que
les enfants adorent les fêtes, mais quand ils en viennent au
passage de la Haggadah de Pessah : «Déversez Ma colère sur les
nations qui ne Me reconnaissent pas», les enfants arabes se
sentent mal à l¹aise. « Dès le cours préparatoire, nos élèves
savent que les enfants juifs ont Ole pacte d¹Isaac et que les
Arabes
ont Ole pacte d¹Ismaël¹ », dit Khatib. « Chacun a sa propre
histoire. »
Dalia Peretz ajoute que le principe de l¹école est que les gens
ne sont pas obligés d¹être d¹accord sur tout : « Nous vivons
dans une réalité complexe, et avec elle, nous créons quelque
chose de nouveau. »
Yad b¹Yad ne prétend pas apporter des solutions politiques, ni
créer une manière de voir uniforme. Ce n¹est pas un hasard si l¹école
se nomme bilingue ou tri-religieuse. Idem pour les écoles Galil,
créée il y a dix ans
pour les enfants de la région de Misgav, Sha'ab et Sakhnin (230
élèves), « Un Pont sur le Wadi », ouverte dans la région de
Wadi Ara (200 élèves) (2), et pour la nouvelle école de Yad b¹Yad
qui a ouvert ses portes la semaine dernière à Beer Sheva
(60 élèves dans deux classes de maternelle). « Notre but est de
créer un partenariat civil qui permette aux Juifs et aux Arabes
de vivre ensemble, chaque groupe conservant son identité et sa
culture », dit Peretz. Khatib ajoute : « Nous essayons d¹enseigner
aux élèves la valeur de la vie, qu¹il n¹est pas bon de mourir
pour son pays mais plutôt d¹y vivre bien. »
« Nous ne vivons pas sur une île déserte », dit Peretz. »Le
monde extérieur pénètre constamment. » Pendant la deuxième
Intifada, un attentat meurtrier s¹est produit à une rue de l¹école.
Les enseignants ont réuni les enfants, tous ensemble bien sûr,
et parlé avec eux du conflit, de la violence et de la peur.
« Nous avons parlé de la mort d¹Arafat, et certains ont dit que
c¹était un terroriste », se souvient Khatib. « Quand Ariel
Sharon a eu son malaise, certains enfants, dont des Arabes, ont
souhaité qu¹il guérisse. »
Chez les plus grands, on apprend les poèmes de Mahmoud Darwish,
ainsi que la signification du drapeau israélien qui flotte sur le
toit de l¹école. Au printemps dernier, la direction a envoyé
une lettre aux parents : « Demain, nous marquerons la Journée de
la Mémoire pour les soldats tombés au combat et pour les
victimes d¹attentats terroristes. Dans trois semaines, nous
marquerons le Jour de la Nakba. L¹école reconnaît qu¹il existe
deux manières principales de raconter l¹Histoire, et elle n¹obère
ni le fait ni l¹existence d¹un conflit. Toutefois, il n¹est pas
moins important de souligner ce qui nous unit, et ce que nous
avons en commun. Pour la Journée de la Mémoire et le Jour de la
Nakba, les enfants peuvent choisir de participer à la cérémonie
ou aux activités de l¹autre nation S Les parents qui ne veulent
pas que leurs enfants participent à une cérémonie sont priés
de l¹expliquer à leurs enfants et de les préparer. »
A Yad b¹Yad, on encourage l¹implication des parents et les
activités familiales en-dehors des heures de cours. Natalie May
Raphael, institutrice en maternelle, dit qu¹elle espère que les
Juifs commenceront à fréquenter davantage les quartiers arabes
et qu¹ils arrêteront de la regarder bizarrement quand elle
conduit son jeune fils chez une baby-sitter à Beit Safafa : «
Les parents juifs ont beaucoup à apprendre des Arabes sur la
volonté d¹engager un dialogue ouvert et sur le respect du maître.
Jamais on ne verra un parent arabe faire des reproches à un
enseignant. »
En classe de maternelle, l¹hébreu des enfants arabes est bien
plus fluide que l¹arabe des enfants juifs. Khatib dit que la
dominance des enfants juifs persiste pour les classes plus avancées
: « Dans la cour, quand sept enfants arabes parlent ensemble en
arabe, et qu¹un enfant juif, qui lui aussi parle arabe, se joint
à eux, ils passent à l¹hébreu. »
La direction espère que le ministère de l¹éducation lui
donnera bientôt l¹autorisation d¹enseigner jusqu¹en terminale.
Entre-temps, les écoles bilingues ont du mal à conserver les
enfants juifs au collège. Dans les
classes de 5èmes et 4èmes, il ne reste que peu de Juifs, et plus
du tout en 3ème. Khatib dit que cela est dû à l¹existence d¹autres
collèges prestigieux à Jérusalem. Ou peut-être, quand les
enfants deviennent adolescents, leurs besoins sociaux et les
messages multiples qu¹ils reçoivent de la société juive leur
font voir l¹environnement de Yad b¹Yad autrement que ce que
Tamar et ses amis de maternelle voient à l¹âge de 5 ans.
(1) Le fruit, symbole de la nouvelle année, pas l¹arme !
(2) Sur cette école, voir notre article : « Des Arabes
enseignent aux Juifs et réciproquement, et ça marche »
http://www.lapaixmaintenant.org/article1152
Trad. : Gérard
pour

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