Lorsque
Nasser disparût de la scène pendant la «
Guerre d’usure » qui nourrissait
l’espoir de riposter dignement à la
défaite (naksa) du 5 juin 1967, beaucoup
d’Egyptiens espéraient voir le mandat
d’Anouar el-Sadat emprunter une voie
vers un redressement visant à « retirer
les effets de l’agression » et à
reconduire à sa fin le projet de Nasser
avorté par la naksa.
Lors de sa première phase, la guerre
d’octobre 1973 a renforcé cet espoir
étant donné l’importance de la traversée
du canal de Suez et la destruction de la
ligne Bar-Lev par l’armée égyptienne.
Pourtant, sa seconde phase et la percée
israélienne qui a permis l’encerclement
de la troisième armée égyptienne et, du
même coup, l’ouverture de la route vers
le Caire, avaient le goût d’une nouvelle
naksa.
Celle-ci fut en quelque sorte plus
amère que la première : Alors que Sadat
affirmait toujours qu’il continuera de
suivre la voie tracée par son « frère
Jamal », personne ne pouvait que le
croire. Avec seulement une petite
modification : Suivre sa voie mais avec
une grosse gomme.
Moins de 5 ans après la guerre de
1973, Sadat avait pu détourner l’Egypte
de sa position en tant qu’un pays que
Nasser avait œuvré pour affranchir de
toute subordination, pour faire
développer au bon sens du développement,
et pour lui permettre de jouer un rôle
d’avant-garde sur les plans de la
libération nationale et de l’unité arabe
aussi bien que sur celui de la
constitution d’un grand bloc mondial
(non aligné) mais franchement hostile
aux politiques hégémoniques de
l’Occident.
A la place de la ligne de Nasser
qu’il a effacée, Sadat a emprunté une
voie totalement opposée. Il s’est
complètement jeté dans le giron de
l’Occident. Il a renié les politiques
nassériennes de développement. Il a
annulé les programmes de Nasser dans le
domaine des nationalisations et de
réformes agraires. Il a abandonné ses
politiques panarabes au profit des
traités du Camp David en faisant de
l’Egypte un terrain ouvert aux espions
israéliens, aux touristes occidentaux et
aux réactionnaires arabes, ce qui a
contribué à asseoir une culture de masse
sur des catégories du genre « cela ne
nous regarde pas », et « nous voulons
manger » de tous les moyens possibles.
A signaler que tous ces moyens ne
fussent et ne pouvaient être que du
genre peu compatible avec la dignité des
Egyptiens. Sans compter les cinquante
millions d’Egyptiens qui vivent en
dessous du seuil de la pauvreté, la
moitié des femmes égyptiennes divorcées,
et les dizaines de millions d’Egyptiens
qui ont déserté les campagnes pour vivre
dans des bidonvilles ou dans des
cimetières.
En même temps, la situation ne
faisait que prospérer de quelques
poignées d’arrivistes parmi les hommes
politiques et d’affaires qui
s’emparaient des aides américaines et
des prêts du FMI, ce qui ne pouvait
qu’ouvrir grande-ouvertes les portes de
l’instabilité sociale et politique.
Tout cela se faisait parallèlement à
une répression féroce. Des dizaines de
milliers de soldats faisaient
quotidiennement des descentes dans les
maisons et les quartiers exerçant ainsi
dans les villes et villages d’Egypte
leurs missions sécuritaires pendant
lesquelles ils fouillaient, réprimaient
et arrêtaient les citoyens sous
l’éternel état d’urgence.
Avec l’assassinat de Sadat, beaucoup
d’Egyptiens, d’Arabes et des peuples
épris de liberté ne pouvaient que
s’attendre à une amélioration de la
situation, ou même à un fort retour de
l’Egypte à son sentiment d’appartenance
et d’identité ainsi qu’aux causes
nassériennes effacées par Sadat.
On a pu espérer voir le successeur de
Sadat, Hosni Moubarak, ramener l’Egypte
là où il se trouvait au moment de la
disparition de Nasser. Mais Moubarak n’a
rien effacé de la ligne de Sadat. Au
contraire, il l’a affermie et fortement
soulignée.
Avec l’éclatement de la révolution du
25 janvier 2011, les cœurs des Egyptiens
des Arabes et d’autres peuples opprimés
s’envolaient vers le Caire : Une
révolution aussi effervescente ne
pouvait que ramener l’Egypte à sa place
d’avant-garde sur le plan de la lutte
pour la libération.
Deux longues années après
l’éclatement de la révolution, la
question se pose sur ses acquis. Une
partie importante d’Egyptiens considère
que ce qui s’est passé n’a apporté qu’un
changement de visages tout en préservant
les politiques adoptées par le « Détrôné
», Moubarak, sur tous les plans
économiques, sociaux, législatifs,
administratifs et politiques. Ce qui
signifie que l’Egypte vit toujours, en
dépit du temps qui passe, au matin du 25
janvier 2011.
L’autre partie considère que la
révolution a enregistré de grandes
avancées sur le plan de la démocratie :
Un président démocratiquement élu pour
la première fois dans l’histoire de
l’Egypte. Sur les autres plans, une idée
circule : Le nouveau régime a besoin du
temps pour résoudre les problèmes
hérités des anciens régimes.
Au moment où les événements sanglants
en cours menacent de voir l’Egypte
glisser vers une situation tragique sans
précédent dans son histoire, et
abstraction faite des arguments avancés
par chacune des deux parties, il parait
qu’avant tout l’Egypte est appelée à se
prononcer … Pour Nasser ou pour Sadat.
Source: moqawama.org