Nombreuses sont les accusations que
chacune des deux parties en concurrence
adresse à l’autre. Parmi ces
accusations, et peut-être la plus
importante en ce qui concerne
l’indépendance de la révolution, son
authenticité et son engagement au
service des véritables intérêts du
peuple égyptien, figure celle de
l’entente avec les Etats-Unis.
En vérité, de nombreux indices
prouvent la difficulté pour les Frères
musulmans et le Parti de la Liberté et
de la Justice issu de leur mouvement de
s’en disculper. Cela ne signifie
pourtant pas que l’autre partie en est
totalement innocente bien que des
preuves concrètes ne prouvent pas
qu’elle entretient de bonnes relations
avec Washington. Mais l’identité de ses
constituantes réparties entre libéraux,
gauchistes ou simplement épris d’une
liberté qui reste difficile à définir,
permet de supposer l’existence de ponts
idéologiques qu’une fois traversés
peuvent conduire au ralliement à
l’Occident.
Par conséquent, l’Egypte en
effervescence sur l’autel de la
Déclaration constitutionnelle est
aujourd’hui dans une situation semblable
à celle qu’elle a vécue il y a quelques
mois avec la confrontation qui a opposé
le Conseil militaire aux forces de la
révolution qui, votant Morsi, lui ont
permis de l’emporter sur Ahmad Shafiq
dans les élections présidentielles. On
sait que cette confrontation a été
suivie par une autre entre Morsi et le
Conseil connu pour ses liens forts avec
Washington et qui, en dépit de sa
puissance, a provoqué la stupéfaction et
l’interrogation par son retrait
inattendu d’une guerre acharnée qui a
fini par la victoire de Morsi sans que
deux boucs n’y échangent, comme le
disaient les Arabes, aucun coup de
cornes.
Il n’était pas alors difficile aux
analystes de conclure à des analyses
pour lesquelles ce retrait confirmerait
le fait que Washington qui manipule le
Conseil militaire par sa main droite
manipule les Frères musulmans par sa
main gauche. Cela fait craindre
aujourd’hui la possibilité d’un jeu que
Washington mènerait par ses deux mains
dans les événements en cours.
Parmi les considérations qui
justifient ces craintes, on note la
frappante modestie des slogans affichés
jusqu’à maintenant par la révolution
égyptienne. La confrontation actuelle se
déroule autour de la Déclaration
constitutionnelle. Une question qui,
malgré toute l’importance qu’elle revêt,
est restreinte à l’identité du
gouverneur, ses fonctions et
attributions ainsi que sa manière
d’exercer le pouvoir du point de vue
opérationnel.
Cela n’atteint pas son programme et
ses plans en vue de résoudre les grands
problèmes dont souffre le pays sur le
plan intérieur aux niveaux économique,
social et culturel. Mais aussi sur le
plan des politiques extérieures et les
positions à prendre concernant les
grandes causes comme celle de la
Palestine ainsi que d’autres causes
devenues aussi importantes à la lumière
des tensions et des guerres qui, de la
Somalie au Mali, de la Tunisie et de la
Libye jusqu’au Soudan, le Yémen, l’Irak,
la Syrie, le Liban, Bahreïn et les pays
du Golfe, et tout cela en passant par
l’Egypte, ont fait de la région un champ
d’une guerre chaude par excellence, et
un champ d’une guerre froide susceptible
de devenir chaude entre les puissances
mondiales.
Ce qui retient l’attention est
l’absence presque totale de ces
questions, du moins jusqu’à maintenant,
dans les discours des acteurs égyptiens,
à l’exception de certains cas marginaux
et peu pesants. Les slogans des
manifestants qui descendent actuellement
dans les rues ne vont pas au-delà de
revendications comme l’annulation de la
Déclaration constitutionnelle ou même le
départ de Morsi et le renversement du
régime. Ces revendications sont toujours
en-deçà de celles qui, au début de la
révolution, ont abouti à renverser le
régime de Moubarak. Depuis, aucun
progrès concret n’a été enregistré au
niveau du renforcement de la révolution.
Quant
à la position officielle représentée par
le président Morsi, elle se restreint à
miser sur les aides américaines, les
investissements étrangers, les prêts du
Fond Monétaire International et le
développement du secteur tertiaire et du
tourisme considérés comme le passage
exclusif et obligatoire vers la
résolution des problèmes économiques qui
ne font qu’empirer jour après jour.
Pour ce qui est de la place de
l’Egypte sur la carte des conflits et
des tiraillements régionaux, la position
officielle se cramponne aux traités de
paix avec l’entité sioniste, continue de
lui livrer du Gaz, adhère ouvertement au
clan des ennemis de la Syrie, le tout
pour «mériter» le soutien des Etats-Unis
à un moment où l’on sait que compter sur
les Etats-Unis ne conduit le plus
souvent qu’à la déception comme le
confirment des dizaines de cas proches
et lointains : Washington abandonne ses
subordonnés conformément aux exigences
de ses intérêts et plus précisément son
intérêt à répandre le chao
«constructeur» dans le monde arabe et
islamique.
Il parait qu’après les conflits qui
se déroulaient au sein de la révolution
égyptienne entre uniquement deux pôles
opposés, qu’un troisième pôle, à savoir
l’armée, est à nouveau entré en action
dans les conditions de la tension entre
Morsi et l’opposition. Mais il est
certain que Washington guette la scène
égyptienne pour choisir le pôle à
soutenir avant de l’abandonner sur la
voie de ses tentatives visant à
davantage affaiblir l’Egypte et à la
pousser vers le gouffre.
Il reste que la révolution égyptienne
vue sous toutes ses constituantes
islamiques, chrétiennes, libérales,
gauchistes et nationales ne peut gagner
et redonner la vie à l’Egypte non
seulement que dans la mesure où elle
annule le fait de compter sur les
Etats-Unis, mais aussi dans la mesure où
elle prend en compte la nécessité
d’affronter les politiques américaines
en Egypte, dans la région et ailleurs.