|
Conférence sur le
terrorisme et la résistance en Palestine
Résistance nationale et terrorisme
Ahmed A. Ounaïes
Carthage, 11 avril 2008
Deux thèmes
constituent une source de divergence dans le dialogue difficile
que le monde arabe cherche à nouer avec l’Occident : la
confusion entretenue entre terrorisme et résistance et la nature
de la résistance palestinienne. Un effort de clarification
conceptuelle s’impose afin de mieux cerner la problématique et
d’analyser plus au fond une telle divergence qui mine la
politique de partenariat entre l’Union Européenne et les pays
arabo méditerranéens, ainsi que l’avenir des relations entre
l’Occident et les pays islamiques dans leur ensemble, notamment
depuis que l’effet déstabilisateur du 11 septembre expose
l’islam à une propagande qui vise à l’assimiler à la violence
aveugle et au terrorisme. Il est nécessaire et salutaire de
dissiper la confusion, de fonder en toute clarté la légitimité
de la résistance palestinienne et de définir les bases communes
du dialogue. Mais sans doute convient-il de lever d’abord la
confusion entretenue entre islam et violence.
ISLAM ET VIOLENCE.
Un mouvement réactionnaire a sévi en Afghanistan et en Algérie
au nom de l’islam et commis des violences injustifiables. S’il
n’avait été combattu auparavant dans d’autres pays, notamment en
Egypte, en Tunisie, au Maroc et en Arabie Saoudite, le cercle
des violences aurait été étendu dans des proportions
incalculables. Il était nécessaire de le réduire et de préserver
ces pays contre un mouvement destructeur et rétrograde. Mais il
est certainement abusif de rattacher à l’islam ce phénomène
essentiellement politique même s’il s’est donné une étiquette
religieuse. Il faut comprendre les raisons de son émergence dans
ces pays en particulier. On ne saurait vaincre de tels
mouvements sans en saisir la genèse et sans approfondir les
conditions historiques où ils ont surgi. Il faut également
reconnaître que, bien
avant
l’apparition du phénomène dans les sociétés islamiques, des
mouvements fanatiques s’étaient manifestés en Israël où
prospéraient des mouvements religieux d’extrême droite ainsi que
dans la communauté juive aux Etats Unis ayant des prolongements
en Israël sous forme de partis politiques extrémistes ; d’autre
part, reconnaître l’apparition ou la résurrection de mouvements
hindous violents et sanguinaires. Les uns et les autres frappent
ceux qu’ils désignent comme étant leurs ennemis aussi
impitoyablement que les autres fanatismes apparus dans la longue
histoire de l’hindouisme, de la chrétienté et de l’islam.
Sur ce point, il est important de lever une
triple confusion qui consiste à réduire aux sociétés islamiques
tout le fanatisme qui sévit dans le monde et qui commet des
atrocités intolérables, d’autre part à assimiler ce facteur au
terrorisme qui, de toute évidence, le dépasse, enfin à pousser
la confusion entre terrorisme et résistance nationale. Cette
triple confusion témoigne d’une méconnaissance de l’islam, d’une
approche superficielle des situations historiques et d’une
méthode abusivement réductrice.
Divers types de mouvements théocratiques ont
effectivement pris racine en Afghanistan et au Soudan et failli
s’implanter en Algérie dans des conditions qui s’expliquent par
les situations spécifiques de ces sociétés. Mais l’échec même de
leur gestion politique et sociale là où ils ont pu s’implanter,
et les méthodes qu’ils ont utilisées dans la lutte pour le
pouvoir en Algérie les ont résolument discrédités dans ces pays
mêmes et dans l’ensemble de la communauté arabe et islamique.
Les témoignages des repentis sont éloquents : ils admettent leur
échec, réalisent l’impact catastrophique de leurs excès et
avouent leur conception irréaliste de la société qu’ils
prétendaient vouloir instituer. Ces mouvements réactionnaires,
dogmatiques et anachroniques, sont vaincus. La menace qu’ils
représentent désormais n’est pas plus que résiduelle.
Il faut se garder de confondre ce type de
formation qui visait à gouverner au nom de principes
théocratiques, avec des mouvements qui se réclament de l’islam
pour une finalité essentiellement réformatrice. Ces mouvements
en appellent en effet à l’islam libérateur pour mener un combat
total contre la régression sociale et politique. Ils trouvent un
terreau favorable dans les sociétés islamiques victimes de
l’oppression, de la corruption, de la discrimination et parfois
de l’occupation étrangère. Leur finalité, leur enracinement et
leur audience les distinguent des mouvements réactionnaires dans
la mesure où ils captent à leur profit l’aspiration à la liberté
et à la moralité et, dans d’autres cas, l’exigence de libération
nationale. La rhétorique religieuse mise au service de telles
causes leur confère certes une plus large audience mais c’est la
cause politique, celle de la liberté, de la justice et du
progrès, qui les identifie plus que l’islam dont ils se
prévalent. Dans d’autres contextes, ces mouvements
s’appuieraient plutôt sur la tradition démocratique ; dans les
sociétés islamiques, l’absence de tradition démocratique renvoie
au référentiel religieux. En outre, l’élan induit par le retour
de l’occupation militaire de l’Afghanistan, par l’extension de
l’occupation à l’Irak et par l’ampleur des exactions
israéliennes dans les territoires occupés, leur confère un
rayonnement supérieur appelé à durcir la solidarité
communautaire.
S’il est vrai que les régimes répressifs
aussi bien que les régimes d’occupation s’empressent de
qualifier de terroristes ces mouvements réformateurs, la
confusion est calculée pour discréditer en fait deux ennemis
distincts. Un effort s’impose certes pour clarifier les
conditions de la réforme politique des sociétés arabes ou
islamiques, mais cet effort ne nous concerne pas dans l’étude
présente. Nous retiendrons dans cet exposé la distinction entre
terrorisme et résistance et la légitimité de la résistance
palestinienne.
TERRORISME ET RESISTANCE.
Si
le terrorisme et la résistance font usage de violence, ils
s’inscrivent néanmoins dans des contextes politiques et
juridiques distincts et obéissent à des définitions radicalement
différentes par leur genèse, leur finalité, leur insertion dans
le tissu social et politique ainsi que par la nature de leur
commandement.
·
Le terrorisme est
une action
offensive
pouvant survenir partout et à tout moment ; imprévisible et
délocalisé, il s’exerce à froid et se donne les objectifs les
plus divers. La résistance est la
réaction à l’invasion et à
l’occupation étrangère ; elle est prévisible, essentiellement
défensive et guidée par un objectif national. La mobilisation
pour la résistance n’obéit ni à un calcul d’opportunité ni à une
quelconque idéologie, c’est un acte intime qui exprime le devoir
naturel de défendre l’intégrité et l’honneur de la nation.
·
La résistance
n’est pas le fait d’un chef, ni d’un parti, ni d’une religion,
elle procède de l’âme même du citoyen, en un élan spontané, que
le citoyen reçoive l’appel d’un chef ou qu’il ne le reçoive
jamais. Le peuple résiste à l’oppression avec ou sans direction
politique en place. L’émergence de la direction politique dérive
de l’impératif de résistance et non l’inverse. Les directions
politiques se constituent et, même décimées, se reconstituent
non parce que des chefs en ont décidé mais parce que le peuple,
à la base, assume l’impératif de la résistance.
·
Le terrorisme
recherche et recrute ses agents et ses exécutants. La résistance
n’a pas à recruter, elle ne fait que canaliser la mobilisation
spontanée des militants dans la base nationale la plus large.
L’élan de mobilisation est irrésistible parce que, sous
l’occupation, la nation n’existe et ne survit que dans la
résistance. Hors la résistance, elle cesse d’être et
cesse
de représenter une entité pour elle-même et pour les autres
nations. La dynamique de la résistance maintient la nation en
vie, donne un contenu à la solidarité nationale, ennoblit
l’esprit de lutte et investit le militant d’une responsabilité
qui dépasse sa personne. Par lui-même, l’esprit de résistance
affermit l’espoir. Un jour, grâce à l’abnégation de ses propres
enfants, la nation retrouvera la liberté. Parce que la
résistance maintient cet espoir, nul ne s’y dérobe et on ne se
pardonne pas de faiblir. Le destin des faibles est tranché à
l’égal de celui des traîtres.
·
La résistance est
l’expression du droit de légitime défense inhérent à l’existence
d’une nation. En réaction à l’occupation, la nation est en droit
d’assurer sa légitime défense, de préserver son intégrité et
d’opposer une résistance cohérente dans le but de mettre fin à
l’occupation. Le terrorisme, expression d’une stratégie
d’intimidation et d’une capacité purement destructrice, ne
saurait se prévaloir d’un droit quelconque de défense et ne
saurait donc jouir d’aucune légitimité.
·
La base nationale
qui, dans toutes ses composantes, subit l’oppression des forces
d’occupation, détermine en dernier ressort le contenu politique
de la résistance et lui confère son sens, sa finalité et la
reconnaissance nationale et internationale. A l’inverse, le
terrorisme dérive de la volonté d’un noyau dirigeant qui
détermine et modifie à son gré son programme et ses exigences en
fonction de ses calculs ou de son idéologie. Le terrorisme,
qu’il soit individuel ou de groupe, peut se prévaloir d’une
idéologie ou d’un dogme, mais jamais de l’autorité d’une nation.
·
La résistance
prévaut tant que sévit l’occupation et cesse avec la fin de
l’occupation ; le terrorisme dure autant qu’en décident ses
dirigeants et ne disparaît qu’avec la disparition de ses
dirigeants.
·
Le principe du
terrorisme est le calcul. Le principe de la résistance est
l’honneur. C’est pour l’honneur que les résistants acceptent le
sacrifice suprême, et pour l’honneur que la nation
reconnaissante les porte au Panthéon.
Au-delà de
la distinction théorique entre les deux notions, deux questions
subsistent relativement à la violence contre les civils et au
principe du martyr.
LA
VIOLENCE
CONTRE
LES
CIVILS
La thèse occidentale
présente admet la résistance pourvu qu’elle épargne les civils
innocents. Or, dans le contexte de l’occupation, quelle place
subsiste pour les valeurs civiles ? L’espace social est
totalement absorbé par l’administration militaire. La demeure
familiale, la rue, l’école, l’hôpital, le lieu de travail sont à
la merci des forces d’occupation qui surgissent en tout lieu, à
tout moment, qui arrêtent et emportent quiconque leur semble
utile à leurs fins ; les notions d’adulte, d’enfant, de
vieillard ne sont plus valides. Dans ce face à face, l’ordre
civil n’est plus qu’une fiction. Quelle convention
internationale, quel scrupule humaniste ont jamais troublé la
besogne des forces d’occupation quant au respect des valeurs
civiles ? Où se dresse la limite de l’usage légitime de la force
? Quand le destin des prisonniers ne fait pas mystère, que
l’assassinat ciblé, les maisons défoncées, les parents outragés
et humiliés devant leurs propres enfants sont l’ordinaire des
forces d’occupation, le terrorisme d’Etat submerge l’ordre
social.
Ce régime tend à
abolir la notion même de violation. Les forces d’occupation ne
s’embarrassent guère de normes ni de principes, elles affichent
la force pure, elles tuent à vue, torturent en bonne conscience
et humilient par le fait de la dégradation délibérée de la
personne humaine. La démarcation entre civil et militaire relève
d’une logique de droit ; la logique et la pratique de
l’occupation abolissent le droit. Si l’occupant taxe de
terroriste l’acte de résistance sous le prétexte qu’il frappe
des civils, une telle prétention ne vise qu’à se donner à bon
compte l’apparence d’un ordre de légalité.
Lorsqu’en juillet
2006 la résistance libanaise et la résistance palestinienne
avaient conduit des opérations contre des militaires des forces
d’occupation et fait prisonniers non pas des civils mais des
soldats, l’accusation de terrorisme ne les a guère épargnés pour
autant. Dans ces circonstances, le déchaînement des
gouvernements et des médias occidentaux trahit le caractère
flagrant de l’amalgame. La confusion est encore plus manifeste
quand on compare le calme total du front syrien à la vivacité de
la résistance sur les fronts libanais et palestinien. A l’égard
de la Syrie qui veille à conserver le calme sur le front du
Golan, on s’attendrait à la recherche active d’un règlement
négocié en vue de l’évacuation du Golan. Or, c’est le Sud Liban
en mai 2000 et Gaza en août 2005 qui ont fait l’objet de la
décision d’évacuation. L’action violente et persévérante de la
résistance était donc payante. Mais au-delà de ces retraits
ponctuels, c’est la même politique de harcèlement, de sanctions
et de bombardements qui se poursuit sans nuance sur les trois
fronts. Ainsi l’enjeu de la politique occidentale n’est-il pas
en fait la protection des civils mais le rejet du
droit à la résistance.
LA
QUESTION
DU
MARTYRE
Contemplons cet
exemple typique, celui du soldat israélien dans son tank ou du
pilote israélien dans la cabine du chasseur bombardier ou de
l’hélicoptère tueur, assurés l’un et l’autre d’être à l’abri de
toute atteinte de la part de la défense palestinienne. Ils ne
courent aucun risque, mais les dommages qu’ils provoquent sont
incommensurables : ils peuvent bombarder, détruire, tuer à
distance puis rejoindre en toute sécurité leur famille dans la
conviction du devoir accompli. Est-ce véritablement un fait de
guerre ? A quelles normes doit-on rapporter leurs actes ?
S’agit-il d’établir la balance des victimes civiles et
militaires dans les rangs palestiniens ?
Le peuple victime, soumis à l’occupation et
confronté à la toute puissance de l’ennemi, est dépourvu de la
moindre capacité de défense. Il est en fait éliminé du combat
car, dans un tel contexte, il n’y a plus de combat concevable.
C’est à partir de ce constat que la victime se donne les
ressources de briser l’étau, de percer la cuirasse de l’ennemi
et de lui faire subir une partie du mal qu’il inflige.
Surprendre et défier l’ennemi, ce n’est pas seulement le
vaincre, c’est surtout ébranler son sentiment d’immunité, le
ramener à la condition de vulnérabilité à l’égal de sa victime.
C’est le ramener à la condition humaine, à l’égal de tous les
hommes qui ont en commun l’amour de la vie. Mais il y a plus. Il
n’y a pas d’honneur à frapper en lâche. Le militant palestinien
qui affronte la mort en sachant qu’il la donne s’impose à
lui-même le sort qu’il réserve à l’ennemi. Cette abnégation, on
ne l’exige guère des pilotes ni des commandos blindés, comme on
ne l’exige pas des tortionnaires. Une telle force d’âme, en
effet, n’est pas facile à admettre lorsqu’on croit avoir trouvé
dans le terrorisme d’Etat la parade absolue à la résistance du
peuple occupé, assiégé et désarmé. Le martyr, au nom de son
peuple, s’élève à cette force d’âme. Tant qu’il relève le défi
des blindés, des bombardiers et de l’hélicoptère tueur, qu’il ne
déserte pas le champ d’honneur et qu’il accepte, en donnant la
mort, de mourir pour sa cause, son peuple cesse d’être la
victime absolue : le martyre rétablit le combat et les termes du
combat. Il n’y a pas de martyre sans une grande cause.
La tragédie du martyre tient à la fois à la
force d’âme de la victime et à l’impuissance du bourreau à
réduire cette force ultime. Le principe du martyre dépasse le
fait de la puissance et donne à sentir la mesure de la
transcendance humaine. Dénoncer le martyre, c’est fuir les
vraies questions. Ces questions posent le problème des limites
de la puissance matérielle et de l’usage indéfini de la force.
Poser les limites de la puissance, tel est l’enjeu essentiel de
l’ordre international.
Un ordre international mou, sélectif et
intermittent est un ordre défaillant qui génère la violence et
la contre violence. S’il est vrai qu’un certain ordre
international existe, qu’il est fondé sur des principes
universels, il ne saurait échapper à l’obligation de qualifier
et de sanctionner la violation de ses normes et de dénoncer
rigoureusement et sans équivoque les violations des principes et
des valeurs qui le fondent. La responsabilité de l’Occident est
très lourde dans le pourrissement des conflits qui affligent le
Proche Orient, notamment dans les territoires occupés. Pourquoi
le Conseil de Sécurité ne sanctionne-t-il pas l’utilisation de
moyens militaires disproportionnés contre un peuple désarmé ?
Pourquoi rejette-t-il la présence d’observateurs internationaux
dans les territoires ? Pourquoi les Etats occidentaux
refusent-ils les enquêtes sur les bombardements du camp
palestinien de Jenine et sur les massacres répétés de Cana et de
Beit Hanoun ? Pourquoi l’occupation doit-elle durer quarante
ans, cinquante ans ? Au-delà des responsabilités du maintien de
la paix et de la sécurité internationale, cette défaillance pose
un problème de civilisation.
LES
ENSEIGNEMENTS
DE
L’HISTOIRE
Le Nord et le Sud de
la Méditerranée ont traversé l’expérience de l’occupation, de la
résistance et de la libération nationale. Ces épreuves ont forgé
la conscience politique des peuples. Au-delà des contextes
historiques différents, le contenu humain et la portée de
civilisation de ces épreuves sont comparables. L’édification de
l’ordre méditerranéen et la conception des rapports d’avenir
entre ses peuples ne sauraient ignorer ces enseignements.
L’analyse de ces expériences est précieuse pour situer la
problématique présente ainsi que les responsabilités des
acteurs. Quatre facteurs déterminent cette analyse.
Le précédent européen.
Lorsque
les
peuples européens subissaient
l’occupation, ils étaient soutenus dans leur résistance
nationale par d’autres alliés européens qui, politiquement,
soutenaient leur cause et, militairement, poursuivaient la
guerre contre la puissance occupante. De 1940 à 1945,
l’Angleterre fournissait l’asile et les moyens de lutte aux
dirigeants de la résistance de toute l’Europe occupée. Quand les
gouvernements serviles, aux ordres de l’occupant, endossaient
l’accusation de terrorisme contre leurs propres nationaux, la
légitimité de la résistance n’en était jamais ébranlée dans les
rangs des alliés. De surcroît, la poursuite de la guerre contre
la puissance occupante constituait pour la résistance nationale
une force d’équilibre. L’entrée en guerre des Etats Unis en
décembre 1941 donnait à la résistance un espoir accru. Le champ
d’honneur réparti sur deux fronts, le front de la guerre et le
front intérieur, offrait à la lutte des peuples européens
occupés une capacité stratégique supérieure grâce à la synergie
des deux fronts. La résistance palestinienne est réduite au seul
front intérieur. Si elle bénéficie de la caution morale et de la
reconnaissance politique des Nations Unies, la défaillance du
système international et des systèmes régionaux à limiter et à
sanctionner les exactions de la puissance occupante et à alléger
la charge de la résistance conduit cette résistance à concentrer
sur le seul front intérieur la totalité de l’action directe de
libération nationale.
La
stratégie de libération européenne.
Au cours de la deuxième guerre mondiale,
aucun camp n’avait épargné les civils. Les bombardements
allemands sur Londres et les représailles alliées contre les
villes allemandes n’obéissaient à aucun scrupule. Les Alliés,
après avoir réussi les débarquements en Normandie et en Italie
et après avoir réduit les défenses allemandes, avaient lancé
contre Dresde une série de bombardements meurtriers qui
n’avaient épargné ni femmes ni enfants ni vieillards. Pendant
plus de deux mois, du 14 février jusqu'au 17 avril 1945, ces
bombardements avaient fait plus de 100.000 victimes, peut-être
140.000. Pour les Alliés en guerre, résistance nationale et
offensive militaire sont destinées à briser l’ennemi par tous
les moyens. Sur le front asiatique, l’ordre de bombarder
Hiroshima à l’arme atomique obéissait à ce même objectif. Après
avoir froidement analysé les dommages civils immenses causés par
la première frappe sur Hiroshima, comment justifier la seconde
frappe sur Nagasaki ? Du reste, l’arme atomique était-elle
censée épargner les civils et frapper les seuls militaires ?
Face à un ennemi imbu de sa supériorité et
qui ignore les lois de la guerre, le choix des Alliés pour une
stratégie d’escalade offensive signifie, de toute évidence, la
volonté de ruiner son potentiel civil et pas seulement
militaire, dans le but de lui infliger des dommages intolérables
et de le contraindre à mettre fin au conflit. Telle est la
stratégie de libération de toute résistance. L’angélisme que ni
les européens sous la résistance ni les alliés en guerre
n’avaient jamais endossé pour eux-mêmes, deviendrait-il une
exigence quand la résistance est palestinienne ou libanaise ? La
résistance, il est vrai, est amère, mais elle représente dans la
culture des nations une nécessité historique et un devoir
supérieur que l’amalgame et la confusion ne sauraient entacher
pour toute conscience ayant foi dans l’égalité des hommes et des
peuples.
Le
facteur temps. Si les peuples
européens n’ont vécu le régime d’occupation que cinq années,
nous comprenons ce qu’il en coûte de subir ce régime pendant
plus de quarante ans. L’oppression dans la longue durée altère
l’équilibre de l’oppresseur et de la victime. Les rapports
exacerbés de violence, la violation banalisée des droits et de
la dignité de la personne ne contribuent guère à préserver le
sens de la mesure, ni les valeurs de la vie civile, ni les
normes du droit. Deux peuples, sur deux générations, sont
confrontés à la réalité de la domination et du rejet, à la
banalisation des provocations les plus odieuses, à la volonté de
destruction réciproque. Le pourrissement de la situation
contribue en définitive à la déshumanisation. La responsabilité
politique, dans cette dégradation, ne saurait être égale, car
s’il suffit de mettre fin à l’occupation pour mettre fin à toute
violence, le choix incombe non pas à la victime mais à la
puissance occupante.
La responsabilité des puissances mondiales
n’est pas moindre dans la mesure où elles perpétuent l’immunité
de la puissance occupante en dépit de ses violations flagrantes
des normes du droit et qu’elles s’abstiennent de qualifier
formellement les faits et de dénoncer les infractions
significatives aux Conventions de Genève, aux résolutions des
Nations Unies, aux jugements de la Cour Internationale de
Justice et aux résolutions du Conseil des Droits de l’Homme des
Nations Unies : la violation répétée et assumée de la légalité
internationale, l’ampleur des dommages infligés aux civils dans
les territoires occupés, l’annexion et la confiscation de
territoires palestiniens, l’assassinat ciblé élevé au rang d’une
politique de gouvernement, les bombardements des villes et des
camps de réfugiés dans les territoires occupés et dans les pays
voisins, l’usage disproportionné des armes et des munitions
létales… La dérobade des puissances mondiales est manifeste.
Au lendemain de
l’occupation de la France, le général de Gaulle lançait dans son
Appel aux Français le 18 juin 1940 : ‘‘La résistance ne doit pas
s’éteindre et ne s’éteindra pas !’’
Parce que la résistance nationale
ne s’éteint pas, qu’elle tient toujours après quarante ans
d’occupation, les palestiniens ne sont pas devenus un peuple
soumis. La permanence de la résistance affirme, aussi longtemps
que dure l’occupation, l’expression nationale du peuple
palestinien et l’ultime garantie de ses droits.
La
dimension coloniale de l’occupation israélienne.
Dans le contexte palestinien, l’occupation
n’est pas seulement matérialisée par l’appareil militaire mais
aussi par l’expansion massive de la colonisation. Les colons,
venus d’ailleurs et installés par la force dans les territoires
occupés, jouissent au milieu des indigènes d’un statut
privilégié écrasant. Ces colons armés et retranchés au cœur des
territoires occupés sont représentatifs de la nature de
l’occupation israélienne. Le régime d’occupation aggravé par la
dimension coloniale acquiert un caractère expansionniste qui se
prolonge dans les stratégies d’expulsion et d’expatriation du
peuple palestinien, parfois dans l’assassinat et
l’extermination. De ce fait, la résistance nationale acquiert la
charge des mouvements de libération propres aux luttes
anticoloniales. Cette charge politique ne saurait être
sous-estimée par les Etats européens avec qui nous avons
traversé et surmonté l’épreuve de la décolonisation.
Un facteur distinct complique le problème
colonial israélien comparé au problème des Métropoles coloniales
européennes, celui de la continuité géographique des
territoires. Les colonies européennes étaient distantes du
territoire métropolitain où la classe politique et l’opinion
publique manifestent toujours un recul, une élévation et une
distance par rapport aux communautés de colons immergées dans la
masse des indigènes. Ce recul offre aux uns et aux autres la
faculté de faire appel à l’arbitrage de l’autorité
métropolitaine qui n’est pas totalement soudée, politiquement et
psychologiquement, au front des colons. Les traditions et les
mœurs politiques métropolitaines se distinguent par une
pondération et une ouverture démocratique qui contrastent avec
le fanatisme et le manichéisme caractéristiques des sociétés
coloniales. En Israël, cette faculté de recul n’existe pas dans
la mesure où les implantations et les concentrations coloniales
prolongent le même territoire et que l’interpénétration des
colons, des soldats et des agents de l’administration militaire
avec la société israélienne forme une seule et même société
coloniale, comparable à la société sud-africaine de l’ère de
l’apartheid. La violence inhérente à cette société est ainsi
aggravée par l’absence d’un recours modérateur. Pour le commun
des israéliens, les conditions d’affranchissement de la
mentalité coloniale ne sont pas aisées même si, pour une partie
de l’élite israélienne, comme dans toute société coloniale, les
contradictions mêmes de la société provoquent précisément le
déclic libératoire.
LA PORTEE
ET LA LEGITIMITE
DE LA
RESISTANCE
PALESTINIENNE
Pour pouvoir qualifier la nature de la
violence qui s’exerce dans les territoires occupés, il faut
réaliser le caractère discriminatoire de la législation qui
privilégie statutairement le colon au détriment de l’indigène.
L’inégalité institutionnalisée atteint l’équilibre profond de
l’individu et du groupe. Il faut également réaliser l’impact des
provocations et des brimades où le zèle des forces d’occupation
et l’humeur des colons font loi. Quelle capacité de défense ou
de recours peuvent opposer les victimes, individuellement ou
collectivement, aux cas d’abus et de violation de leurs droits ?
Dans ce tête-à-tête où la présence d’observateurs internationaux
est formellement refusée, le déséquilibre est écrasant entre les
institutions et les capacités de l’Administration militaire et
celles du peuple victime de l’occupation et de la colonisation.
Aucune autorité impartiale, ni locale ni internationale,
n’existe pour témoigner, ou pour juger et sanctionner les abus
commis par les colons, les institutions et l’appareil militaire.
C’est à cette violence réelle, dans toutes ses composantes, que
répond la résistance nationale palestinienne.
La
doctrine de paix. Pour éliminer
les fondements de la violence et instaurer les conditions de la
paix, un consensus international existe, fondé sur le respect de
la légalité internationale. Les résolutions du Conseil de
Sécurité et les Avis de la Cour Internationale de Justice
déterminent en dernier ressort les droits du peuple palestinien
et les limites indépassables de la puissance occupante. Sur
cette base, le Conseil de Sécurité déclare ‘‘que
les politiques et les pratiques d’Israël consistant à installer
des éléments de sa population et de nouveaux immigrants dans les
territoires occupés constituent une violation flagrante de la
Convention de Genève’’
et demande à la puissance occupante de
‘‘rapporter ces mesures, démanteler les
colonies de peuplement existantes et, en particulier, de cesser
d’établir, édifier et planifier des colonies de peuplement dans
les territoires occupés en juin 1967, y compris Jérusalem’’
(Résolution 465 du 1er mars 1980).
Le 9 juillet 2004, la
Cour Internationale de Justice déclare dans son Avis
Consultatif : ‘‘L’édification du
mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire
dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur
et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est
associé, sont contraires au droit international.’’
Israël est tenu, ajoute la Cour, ‘’de
cesser immédiatement les travaux d’édification de ce mur, de
démanteler l’ouvrage et d’abroger les actes législatifs et
réglementaires qui s’y rapportent.’’
Elle
confirme que ‘’les colonies juives
en territoire occupé sont
contraires au droit international.’’
Or, Israël poursuit l’édification du mur et continue à ce jour
de développer les colonies et de les multiplier en usant de
violence et de contrainte.
Un lien existe entre l’activité de
colonisation, le blocage du règlement négocié et la montée de la
résistance. Au cours des négociations de Camp David en juillet
2000, la délégation israélienne tirait argument de l’existence
de colonies pour revendiquer la souveraineté sur les territoires
correspondants. Au cours des négociations consécutives à la
Conférence d’Annapolis, commencées le 12 décembre 2007, la même
revendication est reprise à nouveau. Dès lors, et tant qu’aucune
autorité ne garantit l’invalidation de la colonisation comme
base d’acquisition de territoire, la résistance nationale
palestinienne ne saurait se limiter à contester le principe des
colonies, elle est acculée à s’attaquer à leur viabilité et à
leur sécurité.
Violer délibérément
le droit et refuser la paix fondée sur la légalité
internationale revient à perpétuer indéfiniment l’occupation.
Cette politique n’a d’autre finalité que de contraindre le
peuple palestinien par l’intimidation et par la terreur à
concéder telles parts de ses droits politiques et territoriaux
qu’Israël choisit de spolier. C’est cette politique de
terrorisme d’Etat qui constitue le fond du débat, non la
violence qui en est la conséquence. Quand les décisions du
Conseil de Sécurité ne sont pas mises en œuvre, que les mêmes
violations sont répétées par la puissance occupante dans
l’impunité totale, l’enjeu dépasse le seul peuple victime, c’est
le fondement même de la paix et de la sécurité internationales
qui est en cause.
Le
principe de la résistance et l’ordre international.
Juger la violence palestinienne en la
dissociant de l’occupation confine à la complicité. Cette
attitude est inexplicable quand on la rapporte à l’héroïsme des
peuples Européens sous l’occupation, aux actes de la résistance,
aux chants des partisans. Les Européens libérés ont élevé des
monuments à la gloire de la résistance et pérennisé l’épreuve
dans la littérature et dans les arts. Les alliés mûris par la
tragédie européenne se sont hâtés d’en prévenir la répétition
dans l’ordre politique de l’après-guerre en édifiant un système
de paix et de sécurité internationale garanti par les Nations
Unies. Ils se sont empressés de hâter la révision des
Conventions applicables aux conflits armés et de conclure des
Conventions nouvelles (les Conventions de Genève du 12 août 1949
et les Protocoles additionnels) afin de développer et de
perfectionner les normes du droit à la lumière des souffrances
subies par les victimes du conflit. Or, dans le contexte des
territoires arabes occupés, la puissance occupante jouit
toujours d’une impunité parfaite, en dépit des violations du
droit dénoncées par des résolutions formelles des Nations Unies
et de la Cour Internationale de Justice.
Quand les puissances mondiales se dérobent à
leur obligation de faire respecter la légalité internationale,
quand les structures régionales s’abstiennent de tirer les
conséquences de cette défaillance, la résistance des peuples
opprimés ne saurait ni se dérober ni s’abstenir : elle reste la
garantie ultime de la justice, de l’intégrité des valeurs et de
la force du droit. Quand le peuple victime de l’agression est
résigné, lâche et finalement complice, la loi de la jungle
menace. La résistance maintient l’agresseur sous pression et
reste la seule force en mesure d’assumer la sanction des abus et
de sanctionner le dépassement des limites indépassables. La
résistance rappelle, à la face du monde, la limite du tolérable
et le sens du juste et de l’injuste. Si elle exige des
sacrifices immenses, du moins, à ce prix, contribue-t-elle à
préserver au-delà de la dignité de la victime, la défense des
valeurs universellement défendables. C’est ainsi que la
résistance se substitue aux puissances mondiales défaillantes
pour assumer, à sa mesure, une telle obligation.
Au Maghreb, c’est la résistance nationale qui
a mené le combat pour la reconquête de la liberté, pour la fin
du colonialisme et pour le respect de nos droits et de notre
intégrité. Il est vrai qu’une élite clairvoyante, au sein des
Métropoles européennes, avait compris le sens de nos sacrifices
et soutenu notre combat qui était devenu son combat ; son action
était décisive contre la prépondérance coloniale, contre la
désinformation et contre la diabolisation de la résistance.
Aujourd’hui, la résistance palestinienne reste, à la base, la
garantie de toutes les garanties, en espérant que les élites
israéliennes éclairées lui fassent écho et que la solidarité
internationale, en toute responsabilité, soutienne son combat et
valide sa légitimité.
Le débat qui nous retient illustre en fait le
malaise des Etats collectivement responsables d’un ordre mondial
défaillant et qui, à défaut de trancher, préfèrent noyer le
débat dans une spéculation indécise sur le thème du terrorisme.
La
portée de la résistance transpalestinienne.
Dans le contexte présent du déséquilibre
qualitatif des forces, une guerre conventionnelle entre Israël
et les pays arabes n’est plus concevable. Pour Israël,
l’alliance stratégique avec les Etats Unis et la faculté de
bénéficier des technologies avancées de la Révolution des
Affaires Militaires lui confèrent une domination militaire
presque totale et expliquent sa propension à défier le droit, à
oser annexer d’autorité des territoires au détriment de ses
voisins et à ignorer les offres de règlement négocié sur la base
du droit. Ce même déséquilibre explique l’impuissance des armées
arabes à se porter au secours des peuples voisins victimes
d’exactions flagrantes.
Ce déséquilibre s’aggrave. Le 16 août 2007,
un nouvel accord est signé entre Israël et les Etats-Unis pour
une aide supplémentaire d’un montant de $30 milliards sur les
dix ans à venir, en supplément de l’aide annuelle militaire qui
prévalait déjà et qui avait connu une impulsion exceptionnelle à
l’issue de la visite officielle à Washington du Premier Ministre
Ehud Barak le 19 juillet 1999. De ce fait, les armées arabes
accusent un retard technique insurmontable à moyen terme, qui
met en question l’institution militaire elle-même. Quelle armée
arabe pourrait s’opposer efficacement à une offensive
israélienne ? Seul subsiste le recours à l’arme non
conventionnelle ou à la résistance populaire. La guerre du Liban
de juillet – août 2006 a illustré la pertinence de la résistance
populaire qui avait réussi à défier le surarmement israélien et
à empêcher, non pas certes les destructions, mais la victoire de
l’armée d’invasion israélienne. Pour l’ensemble des pays voisins
d’Israël, ce précédent dicte la nécessité de repenser la
doctrine militaire et, à défaut d’induire l’arme non
conventionnelle, de revaloriser la stratégie de résistance. Dans
ce contexte, la confusion que les Etats occidentaux s’attachent
toujours à entretenir entre terrorisme et résistance nationale
prend une portée plus vaste et une signification stratégique
plus profonde.
CONCLUSION
Dissocier la
résistance de l’occupation, amalgamer résistance et terrorisme,
ignorer le terrorisme d’Etat pratiqué par la puissance occupante
sont loin d’être des actes isolés. Ce sont autant de subterfuges
qui participent d’une politique plus large qui vise à dénaturer
le conflit, à culpabiliser d’autorité le peuple palestinien et à
délégitimer sa cause. La désinformation et l’intimidation
s’ajoutent aux manœuvres de paralysie du Conseil de Sécurité et
de la Cour Internationale de Justice pour mieux isoler le peuple
victime de l’occupation et le rendre impuissant à valider ses
droits et, a fortiori,
à les reconquérir.
Le peuple palestinien, poussé à renoncer à
la résistance, serait acculé à se soumettre à l’occupation
indéfinie ou à la perte de ses droits politiques et
territoriaux. Les mêmes Etats qui le poussent dans cette impasse
reconnaissent à Israël le bénéfice de la légitime défense comme
si Israël était la victime et le peuple palestinien la puissance
occupante. Comment ne pas voir dans cette inversion et dans
l’unité de cette politique la volonté de liquider les droits
reconnus du peuple palestinien ? La force brute n’ayant pu
aboutir complètement, le jeu de la confusion et de la
spéculation s’efforce ainsi d’achever moralement la victime.
Dans ce jeu, la responsabilité des Etats d’Occident est entière.
Le refus de clarification équivaut en fait au reniement de leur
propre tradition juridique, à la négation des principes qui
fondent la société démocratique et l’Etat de droit dont ils se
réclament et à l’éclipse d’une page héroïque de leur propre
histoire. C’est ainsi que la persistance du conflit israélo
palestinien pose aujourd’hui un problème de civilisation.
Pour toute nation
victime de l’occupation, la libération nationale s’impose dans
l’absolu et dans la conscience claire de la lutte à mort. Les
héros de la libération choisissent la résistance par devoir, non
par réalisme : contre l’ennemi triomphant, les chances sont
minces ; toute résistance est traquée par l’absolutisme de la
puissance occupante. Pour la résistance, une
doctrine
claire à l’appui du sacrifice sur le champ d’honneur pourrait
briser cet absolutisme. Aussi l’effort de clarification
conceptuelle, juridique et historique est-il plus qu’un devoir
d’intelligibilité, c’est une contribution essentielle à la fin
de la violence et à l’avènement de la paix et c’est aussi
l’effort indispensable de définition d’une base commune de
civilisation.
© Ahmed A. Ounaïes – Carthage, 11 avril 2008
|