Opinion
Le monde ne marche
jamais que sur ses pieds
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Lundi 31 octobre
2011
La première
chose à laquelle pense un électeur est
de faire le bon choix, c'est une
tautologie. Le bon choix réside dans
l'assurance que le bulletin donné
produira, en retour, un bienfait. Ceci
ne signifie pas qu'à chaque fois il y
ait la conviction affirmée de bien
faire. Mais, Le fait que cela ne soit
pas toujours vrai ne signifie pas que ce
processus ne soit pas respecté à chaque
fois. Parmi les gens, une minorité ne se
trompe jamais, c'est pourquoi on ne
verra jamais un banquier ou un homme
d'affaires voter pour l'extrême-gauche.
Mais, l'écrasante majorité se trompe
presque toujours et continue de voter
invariablement pour quasiment les mêmes
qui l'ont trompée. Ce phénomène peut
être mieux observé dans les pays où les
traditions démocratiques sont assez
vieilles, pour permettre de le
constater. Plus proches de nous, les 41%
et quelques poussières de Tunisiens qui
ont voté pour les islamistes n'ont pas
procédé autrement. Ils sont sûrs de leur
fait, aidés en cela par la certitude de
la bonne foi religieuse. Quelqu'un qui
se réclame de dieu et de ses préceptes
ne peut être un bonimenteur. La
multitude ne fait pas dans la nuance et
n'est pas férue de sciences économiques.
Elle s'en tient à l'apparence et aux
mots. C'est pour cela d'ailleurs que
l'école, les médias et tout ce qui
produit la culture des choses s'en
tiennent au manichéisme bon-méchant et
aux généralités comme l'honnêteté, la
probité et la justice en général. Le
vote islamiste est donc inévitablement
et avant tout une punition des ex
dirigeants du pays et de ceux qui leur
ressemblent par la culture et par le
verbe. Le moins remarquable est qu'ils
sont très peu nombreux, les votants qui
ont vu que Ennahda n'a pas d'autre
programme que celui que Béji Caïd
Essebsi (ex Premier ministre provisoire)
a reçu du G8 et des institutions
financières internationales.
C'est-à-dire le même que celui que
suivait Zine El Abidine Ben Ali, l'ex
chef de l'Etat, celui-là que l'armée a
envoyé en retraite en Arabie. Le même
système a été reconduit, par ceux qui
ont porté Rached Ghanouchi et ses amis
au pouvoir. Il faut préciser que presque
personne ne leur a dit cette vérité et
qu'on leur a surtout parlé de touristes,
de mini-jupes et de hidjab. Et le débat
s'est concentré sur l'islamisme,
sur ses menaces contre les libertés des
femmes et sur la mise en danger supposée
de l'industrie touristique. Rien de bien
consistant pour des gens qui souffrent
l'enfer de la misère, de l'exclusion, de
la précarité et du désespoir. Sur un
autre registre, Ennahda n'offre pas le
Ciel et n'en a pas la prétention, ce que
ses supporters savent parfaitement,
puisqu'ils savent se débrouiller seuls
sur ce plan, comme se sont débrouillés
leurs parents et leurs grands parents.
Ennahda offre plutôt cette image non
corrompue, de «gens qui ont peur du
châtiment divin» et qui seront meilleurs
que les prédécesseurs. Une grande
sagesse, en somme, pour des gens qui ne
voient pas en quoi la démocratie en soi
peut leur mettre un toit sur la tête,
fournir l'école à leurs enfants et
l'électricité pour les soirs de devoirs,
construire l'hôpital qui manque et
permettre de se soigner même si on
manque d'argent, goudronner les chemins
boueux, créer du travail et donner de la
dignité à tous. C'est ce pourquoi ont
d'abord voté les Tunisiens, qui
ont les pieds bien sur terre. Qu'ils
aient «mal voté» est une autre histoire
et certainement pas du point de vue
démocratique, mais de leur point de vue
de damnés qui cherchent à s'en sortir.
Parce que le monde ne marche
jamais que sur ses pieds même quand ça
vote religieux. Même quand ça vote pour
le look politique adapté aux Arabes et
assimilés.
Article publié sur
Les Débats
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