Opinion
Aminata Traoré :
mesquinerie colonialiste
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Samedi 27 avril
2013
Cette
presse à l'affût, qui ne laisse rien
passer de la moindre anicroche qui
concerne, fussent-ils au fin fond de
l'anonymat, certains «militants des
droits de l'homme», n'a rien vu de ce
qui a été infligé à Aminata Traoré. La
raison en est qu'Aminata n'est pas
labellisée par ces ONG attelées à
«démocratiser» les Arabes, ceux qui leur
ressemblent et tout ce qui est indigène.
Elle a aussi et surtout le défaut de se
battre pour des droits humains
identifiables, qui ne figurent pas dans
la nomenclature éthérée du NDI ou de Freedom House, ni n'en est une salariée.
Pour Aminata, les droits économiques,
politiques et sociaux sont liés, une
tout autre conception des choses qu'elle
enseigne à qui veut comprendre le monde
: «Il n'y a pas d'un côté une Europe des
valeurs et du progrès et de l'autre une
Afrique des ténèbres et des malheurs.
Cette vision… vole en éclats dès
l'instant où l'on touche du doigt les
mécanismes de la domination, de la
paupérisation et de l'exclusion.» C'est
à ce titre que le gouvernement français,
occupé à «démocratiser» le Mali, lui a
interdit de répondre aux invitations de
la Fondation Rosa-Luxemburg, du journal
Prokla et de l'association AfricAvenir,
afin d'apporter sa contribution à une
conférence à Berlin, du 17 au 19 avril,
sur le thème «Le Mali à la croisée des
chemins, après l'intervention militaire
et avant les élections». Elle a été
ministre de la Culture du Mali entre
1997 et 2000, poste duquel elle a
démissionné. Elle a aussi écrit des
livres, dont L'Afrique humiliée où elle
souligne la responsabilité de la
mondialisation impérialiste dans les
crises en Afrique. Elle devenue une voix
africaine qui dérange. Ecoutons-la :
«Nous, peuples d'Afrique, autrefois
colonisés et à présent recolonisés à la
faveur du capitalisme mondialisé, ne
cessons de nous demander : ‘’Que
sommes-nous devenus’’ ?» Lorsque les
bruits de bottes se sont fait entendre,
elle a mobilisé autant qu'elle a pu pour
empêcher que l'armée française envahisse
son pays et n'a pas cessé de prôner une
solution entre Maliens : «Que les
chèvres se battent entre elles dans
l'enclos est préférable à
l'intermédiation de l'hyène» (proverbe
bamanan). Démasquant les arguments des
interventionnistes, elle disait : «La
demande de déploiement de troupes
africaines au nord du Mali, transmise
par la Communauté des Etats d'Afrique de
l'Ouest (Cédéao) et l'Union africaine
(UA) aux Nations unies, repose sur un
diagnostic délibérément biaisé et
illégitime.» Quand, sous la dictée de la
France, le pouvoir putschiste a décidé
d'organiser des élections en juillet
prochain, elle a dit l'évidence. Elle a
signalé qu'il était impossible de le
faire en pleine guerre et dans des
délais aussi courts. C'est ce qui lui a
valu de se voir refuser, par le consulat
français à Bamako, le visa d'entrée dans
l'espace Schengen. Le consulat
d'Allemagne a fini par lui délivrer un
sauf-conduit, en lui précisant qu'elle
devait quitter le territoire allemand le
19 avril. Lors de son retour, interdite
d'escale en France, elle a dû passer par
Istanbul et Dakar. Pour finir, le consul
allemand l'a convoquée pour s'assurer du
respect de sa consigne et la presse des
«droits de l'homme» n'aura rien relevé.
Article publié sur
Les Débats
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