Opinion
La problématique
de l'homo-oeconomicus
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Mercredi 26
décembre 2012
Les achats
d'armes aux Etats-Unis ont connu une
augmentation fulgurante après le
massacre qui a eu lieu dans une école
primaire à Newtown. La société Peter Brownell, plus grand fournisseur mondial
de munitions et d'accessoires, a
distribué en trois jours une quantité de
chargeurs quelle écoulait ordinairement
en trois ans et demi. La cause se trouve
dans le fait que le Potus Barak Obama
avait exprimé la demande d'une loi au
Congrès qui interdirait la vente de
fusils d'assaut et des chargeurs à
grande capacité. Cela s'est produit
alors que l'attente la plus rationnelle
serait d'espérer une prise de conscience
du danger et une inversion de l'opinion
vis-à-vis du surarmement de la
population. Dans le même temps, cette
attitude aurait ignoré une
caractéristique fondamentale de la
société étatsunienne. Une société
cultivée dans l'individualisme le plus
exacerbé que l'humanité ait connu. Une
célèbre phrase d'Alexis de Tocqueville
résume, à elle seule, les effets de ce
qu'on appelle l'«american way of life» :
«Tentez de sauver quelqu'un qui veut se
suicider aux Etats-Unis, et l'on
considérera que vous portez atteinte à
sa liberté.» La phrase date de près de
deux siècles, durant lesquels a été
renforcé jusqu'au paroxysme le principe
du chacun pour soi, enrobé dans le mythe
du «rêve américain», plus qu'une simple
idéologie, une religion, où l'individu
est exalté, ne devant sa réussite ou son
échec qu'à lui-même, en tant qu'homo-oeconomicus
accompli. On a vu l'expérimentation de
la chose dans la levée de boucliers
contre l'idée de la couverture sociale
universelle, dont l'un de ses pourtant
défenseurs, Roger Cohen, ne se prive pas
d'écrire dans le New York Times que «si
les chômeurs bénéficient de trop
d'avantages, les gens choisiront de
rester à la maison plutôt que d'aller
travailler». Une étude du Pew Research
Center révèle, quant à elle, que pour
«58% des Etatsuniens que la liberté
d'atteindre ses objectifs dans la vie,
sans interférence étatique, est plus
importante que la prise en charge par
l'Etat des personnes dans le besoin». On
comprend dès lors que des gens, soumis à
une telle pression et à l'absence de
solidarité, vivent dans la peur
permanente de l'échec et dans l'intime
conviction que leurs concitoyens ne sont
rien d'autres que des concurrents ou des
adversaires qui représentent la mesure
de leur propre réussite. Autant
d'ingrédients qui intègrent une
personnalité de base susceptible de
produire ces tueurs de masse que connaît
le pays et cette propension à se doter
d'un arsenal à même de garantir la
sécurité de l'individu et de ses biens,
face à un environnement social qui
n'offre aucune chance aux plus faibles.
La réponse de la Maison-Blanche et de
quelques sénateurs démocrates, en
renfort à Obama, n'est que cette
dérisoire tentative de limiter la
puissance de feu permise jusqu'ici.
Parce qu'il ne peut en être autrement.
Ces représentants du système savent
qu'ils ne peuvent aller plus loin, sans
provoquer un débat de fond sur les
fondements même de la société. Sans état
d'âme, le lobby des armes, la National
Rifle Association (NRA), propose de
positionner des policiers armés devant
chaque école.
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