Opinion
Le barde des
damnés
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Samedi 25 mai 2013
Giuseppe Mustacchi pour l'état civil, Georges
Moustaki pour ce qu'il est, pour ce
qu'il a fait, est l'expression même de
l'humanité qui résiste à la barbarie,
qui réussit, force tranquille, à ne pas
céder à la marchandisation, qui écrit,
dit et chante des mots qui percent, par
la force du beau et du sublime, les murs
dressés contre la raison et l'espoir de
liberté. Tous font mine de pleurer sa
mort, sauf ceux qui lui ressemblent, qui
le reconnaissent et se reconnaissent en
lui. Sauf ceux qui comprennent,
ressentent et vibrent au rythme de ce
couplet, morceau d'hymne à la révolte
des damnés, à la libération de l'humain
: «C'est elle que l'on matraque / Que
l'on poursuit que l'on traque/ C'est
elle qui se soulève /Qui souffre et se
met en grève / C'est elle qu'on
emprisonne / Qu'on trahit qu'on
abandonne / Qui nous donne envie de
vivre / Qui donne envie de la suivre /
Jusqu'au bout, jusqu'au bout». Lui, il
l'aura suivi jusqu'au bout la
«révolution permanente». Il n'aura pas
suivi le clinquant «socialisme» de
François Hollande, fusse contre Sarkozy.
Il a soutenu Philippe Poutou (qui
connaît Philippe Poutou ?). Il l'a
soutenu même s'il dit «qu'il ne sera pas
élu». Mais, selon Moustaki, «il tient à
cette tribune pour que le monde ouvrier
ait voix au chapitre». Ce faisant, il
explique son choix : «J'ai des pulsions,
des utopies.» Pulsions et utopie qui ont
fait de ses chansons des rêves éveillés
qu'il a offert au monde, à côté de
poésies immortelles écrites pour dire
l'amour ou les détresses existentielles,
la vie ordinaire et ses souffrances.
Pour la bienpensance, qui ne peut
ignorer sa force artistique, il est un
«idéaliste de gauche», formule
condescendante qui balaie en deux mots
l'engagement de l'artiste et ce qui
dérange en lui, pour en offrir au regard
l'image lissée d'un talentueux «chanteur
français». Deux mots sarcastiques qui
insultent l'intelligence de l'homme et
sa voix incisive et sans concession.
Idéaliste de gauche, dit-on, pour
ignorer cette profession de foi de
Moustaki, qu'il intitule «Déclaration»
et où il se livre tel qu'il est : «Je
conteste la légitimité des guerres / La
justice qui tue et la mort qui punit /
Les consciences qui dorment au fond de
leur lit / La civilisation au bras des
mercenaires.» Où son «idéal» est plutôt
la quête de ce possible qui frappe aux
portes de l'iniquité institutionnelle.
Le poète déclame : «Je déclare l'état de
bonheur permanent / Et le droit à chacun
à tous les privilèges. Je dis que la
souffrance est chose sacrilège / Quand
il y a pour tous des roses et du pain
blanc.» Moustaki vient de mourir. Chacun
en parle de son propre bout de
lorgnette. Tour à tour, les portraits
fleurissent, le temps de l'événement, de
l'enterrement du corps pas d'une lumière
restée vivante. Resteront ses textes et
sa musique, resteront ses phrases pour
la postérité. Jusqu'au jour, peut-être,
de cette «utopie» où les hommes auront
réalisé le désir du poète : «l'état de
bonheur permanent, sans attendre que
viennent les temps messianiques, sans
que ce soit voté dans aucun Parlement».
Article publié sur
Les Débats
Copyright ©
2001-2011- MAHMOUDI INFO Sarl - Tous
droits réservés.
Reçu de l'auteur pour publication
Le sommaire d'Ahmed Halfaoui
Le dossier
Algérie
Les dernières mises à jour
|