Opinion
L'exode
irrépressible
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Dimanche 23 octobre
2011
Tout semble
laisser croire que les pieds-noirs
d'Algérie ont plus subi leur exode en
masse qu'ils ne l'ont choisi. Pour ce
faire, la folie meurtrière de
l'Organisation Armée Secrète (OAS) avec
les massacres qu'elle a perpétrés est
souvent mise en avant, pour dire
qu'elle avait irrémédiablement compromis
la cohabitation avec les Algériens.
Les choses
se réduiraient, ainsi, à un drame qui
aurait pu ne pas se produire, si le
processus d’émancipation de l’Algérie de
la tutelle coloniale s’était déroulé
sans ce qu’Yves Courrière a appelés «Les
Feux du désespoir». La doxa veut
qu’Européens et ex- indigènes auraient
contribué, ensemble, à l’émergence d’une
nation nouvelle dans un pays détaché de
la France par le fait de la destruction
des liens de domination. Le schéma est
séduisant et peut même prêter aux
regrets de l’occasion ratée. Pour les
deux communautés, cela s’entend. Les
pieds-noirs ne seraient pas à regretter
le pays perdu et l’abandon de leurs
racines et les Algériens auraient
bénéficié de leur savoir-faire.
Mais les choses sont souvent moins
simples quand il s’agit de telles
ruptures dans le cours de l’Histoire.
En 1962, il
ne s’agissait pas d’un simple changement
de gouvernement. C’était la destruction
d’un système d’exploitation et
d’oppression de millions d’êtres
humains. C’était l’évacuation de tous
les rapports sociaux qui
régentaient ce système et qui faisait du
dernier petit-blanc un maître en
puissance du premier indigène. C’était
l’abolition définitive du code de
l’indigénat et l’instauration de la
citoyenneté pour tous et «à part
entière» et pour de vrai cette fois-ci.
Il n’y avait donc pas qu’une
substitution de drapeaux sur les hampes.
«Depuis 1848, les musulmans d’Algérie
étaient français – formellement.
Pratiquement, ils étaient soumis au code
de l’Indigénat et avaient une
nationalité dégradée, dénaturée. Pour
devenir pleinement français, ils
devaient d’ailleurs passer par une
naturalisation : entre 1865 et 1962,
seuls 7 000 d’entre eux sont devenus
ainsi français…» rapporte Patrik Weil
dans son ouvrage «Qu’est-ce qu’un
Français ?». Près d’un siècle après,
en 1936, le gouvernement Blum propose
qu’un quota de 24 000 indigènes puisse
obtenir le droit de vote aux côtés des
200 000 électeurs français. Proposition
soutenue par l’association des oulémas
et par Ferhat Abbas et rejetée par le
Parti du peuple algérien (PPA). Le
projet restera sans suite. L’opposition
des représentants de la colonisation
ayant été très virulente. L’enjeu était
qu’une brèche allait être créée dans
l’endiguement des Algériens dans leurs
conditions de sujets.
Entre
temps, la tragédie de mai 1945 a
illustré le degré de violence que la
simple évocation de l’indépendance
pouvait provoquer. Elle représentait, à
n’en point douter, un
incommensurable bouleversement. Cette
violence va pouvoir faire sa
démonstration, sept années et demi
durant. Bien que cette fois-ci, ce
n’était plus contre une population
complètement désarmée et terrorisée.
La violence est donc une donnée
intrinsèque au système colonial et en
exprime les ressorts fondamentaux. Tapie
en temps de «paix», elle s’invoque dans
les humiliations quotidiennes, dans les
colères contenues et dans tous les
gestes d’autorité que nécessitent les
inégalités de la société coloniale.
Pour la
majorité des pieds-noirs cela procède de
l’ordre naturel, parce que le pied-noir
lui-même devait être convaincu de façon
à ce qu’aucun type de comportement
contraire ne vienne contrarier cet
ordre.
L’actualité
de l’époque n’a pas enregistré de
réactions notables aux massacres
d’Algériens, ni en 1945, ni durant la
guerre de Libération nationale. La
communauté pied-noire est restée soit en
retrait, soit a pris part à la
répression. Elle n’a pas secrété une
alternative aux Ultras de
l’Algérie française, convertis plus tard
en OAS, qui lui ont plus ou moins imposé
leur voie.
L’OAS
pendant de l’ALN
Une infime
minorité, pourtant, s’est engagée dans
le combat libérateur du FLN et en a payé
le prix fort. Mais elle n’a pas réussi à
mobiliser grand monde.
Un éveil,
même tardif des petits-blancs aurait
accéléré le cours de l’Histoire et
modifié les données à l’indépendance. Il
était dit que cela se passerait ainsi et
pas autrement, parce que la libération
des Algériens signifiait, dans les
faits, une contrepartie trop lourde à
concéder. La perte de tous les
privilèges que la domination peut
octroyer. De plus, les petits-blancs
avaient plus à perdre que la grande
colonisation. Les fonctionnaires, les
artisans, les ouvriers, tous les petits
métiers, au contact avec la masse
indigène, ne peuvent consentir le
partage. Ils ne peuvent imaginer le
yaouled ou la fatma que sous la corvée
et pas autrement. Ils ne peuvent
s’imaginer eux-mêmes que dans la peau
des vainqueurs et au haut du pavé.
Renoncer à un statut social supérieur,
de surcroît, nourri par un racisme
incrusté dans les moindres recoins de
l’esprit, exige une révolution
existentielle. Ce racisme qui a servi à
se convaincre de sa situation de
supériorité et de la condition
d’infériorité des «Arabes» on ne
peut en faire fi impunément, pour ses
intérêts.
Rien ne
fera bouger la masse européenne dans le
sens de ces intérêts bien compris.
Lorsqu’Albert Camus concocte sa formule
sur la «justice» et cherche à mobiliser
ses compatriotes pour contrer et le FLN
et les Ultras, il prêche dans le désert.
Il quitte Alger bredouille et fortement
affecté par sa défaite idéologique. Il
savait à cet instant que l’Algérie
Française était perdue. Le FLN l’avait
protégé, les Ultras voulaient le tuer.
Lui qui, «élevé par une mère d’origine
espagnole, n’invitait jamais chez lui
ses camarades français de souche et
cachait soigneusement son ascendance. La
hiérarchie implicite était cimentée par
un racisme en cascade dont les
Espagnols, les immigrants récents étant
supposés représenter un «péril
étranger»… (http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article459
«La valise
ou le cercueil» fut le slogan de fin de
rêve. «Aucun ascenseur ne fonctionnera»
une piètre satisfaction. Le tomber de
rideau sur la tragédie des Algériens a
levé celui de la tragédie des
pieds-noirs. Beaucoup se sont faits une
raison, ont accepté le verdict de
l’Histoire, regrettent d’être partis et
reviennent ou veulent revenir visiter
les lieux de leur mémoire. Certains ne
baissent toujours pas les bras et
revendiquent haut [leur] Algérie et crie
à la trahison de De Gaulle.
L’exorcisme des démons du colonialisme
ne s’est pas fait. Il ne s’est pas fait
tant il peut être ancré chez ceux dont
la violence en retour de leurs ex sujets
reste toujours vivaces, jusqu’ à leur
faire oublier l’insoutenable déchéance
qu’ils leurs imposaient. Il
se trouve aussi que des Algériens
extirpés de l’indigénat grâce aux
sacrifices des leurs, les confortent
dans leurs lubies néocolonialistes. Il
n’y a qu’à lire ces «petites phrases» de
regrets des «temps bénis» de tel
écrivain ou de tel homme politique,
algériens, citées par les blogs de
l’extrême droite française ou des
nostalgiques de l’Algérie de papa. On
peut ainsi lire sur
http://www.piedsnoirs-aujourdhui.com/:
«…quarante ans est un temps honnête, ce
nous semble, pour reconnaître que ces
foutus colons ont plus chéri cette terre
que nous, qui sommes ses enfants» ou
encore «si les pieds- noirs n’étaient
pas partis en masse, l’Algérie ne serait
pas dans l’état désastreux dans lequel
elle se trouve».
Les
signatures sont lisibles à l’adresse
indiquée. Les déclarants omettent juste
de réfléchir, quel que soit leur
rapport à leur pays, à ce qu’aurait été
leur statut actuel si rien n’avait
changé et de s’interroger, dans ce cas,
sur la possibilité d’accéder à cette
audience bienveillante.
Article publié le 17
mars 2010 sur
Les Débats
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