Opinion
Jacques Vergès
Ahmed Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Samedi 17 août 2013
Il a fini par partir comme cela devait
arriver. Jacques Vergès est mort et
cette disparition a une ampleur
exceptionnelle, à une époque où les
Justes ne sont pas légion, à peine
quelques-uns qui tiennent encore tête à
la barbarie dominante. Les médias de la
bête ont annoncé en une, la nouvelle. Il
faut dire qu’ils ont fait de lui un
« personnage »particulier, celui dont le
profil principal se résumerait à celui
qui « avait notamment défendu le
criminel nazi Klaus Barbie,
le révolutionnaire Carlos, ou encore
l'ancien président serbe Slobodan
Milošević. » Une présentation qui
vise à occulter l’immense engagement de
l’homme et de réduire sa carrière au
spectacle judiciaire, si ce n’est pas
d’en faire une entreprise à scandale, si
tant est que la défense d’un criminel
nazi ne puisse pas contenir un message
pertinent qui transcende les
confortables clichés en vigueur.
Voici ce qu’il dit lui de lui-même: « Serais-je
prêt à défendre Hitler ? Bien sûr. Et
même George W. Bush. Je suis prêt à
défendre tout le monde (...) à condition
qu’ils plaident coupables ».Une
phrase qu’il faudra chercher longtemps
pour la dénicher sous les innombrables
amas d’informations sur l’avocat. Parce
qu’elle dérange et qu’il ne sied pas de
rappeler la parenté criminelle de ces
deux individus. Le second exprimant
l’ordre actuel, celui que Vergès combat,
en le dépouillant de ses oripeaux
« démocratiques » qui cachent sa
similarité avec le premier, que les
victimes perçoivent dans leurs chairs.
Il persifle : « Et même Georges W.
Bush », mesurons la subtilité de la
langue, pour extirper le sens des choses
et fracasser le mensonge. A 17 ans et
des poussières, son baccalauréat en
poche, le jeune Jacques Vergès quittait
la Réunion et rejoignait la Résistance
en France contre les hordes nazies. Plus
tard il fera son droit et se consacre au
barreau. Passant ainsi à ce qui
deviendra son champ de bataille contre
un système qu’il abhorre pour son
injustice fondamentale. Dont il
s’attellera jusqu’à la fin à mettre à
mal l’hypocrisie.
Dès sa première affaire judiciaire, il
donne le ton. Il décidé de ne pas se
laisser emprisonner dans le confort des
procédures en vigueur. Il ne changera
pas de ligne. Le principe étant de
dévoiler l’illégitimité essentielle de
la Justice, en tant que produit du
pouvoir politique. Fort de cette
stratégie il devient le défenseur des
militants anticolonialistes algériens,
poursuivis pour avoir voulu libérer leur
pays. Avocat du FLN, il deviendra
célèbre. Et sa vie ne fut plus, selon
les faits, qu’une suite d’affrontements
plus ou moins directs avec l’ordre
établi. Il y a deux années, le physique
miné par l’âge, il trouvera la force de
se porter partie civile, avec Roland
Dumas, contre Nicolas Sarkozy et
l’Alliance atlantique pour les crimes
commis en Libye. Les deux hommes se
portent aussi au secours de Laurent
Gbagbo, alors président de Côte
d’Ivoire, destitué par la suite par
l’armée française et la « communauté
internationale ».Motivation de Jacques
Vergès : Gbagbo «représente une
Afrique nouvelle, une Afrique qui ne
s’incline pas», chose qui est « intolérable
pour les dirigeants français». Une
illustration d’une détermination sans
concession.
Article publié sur
Les Débats
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