Opinion
La matrice
occultée
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Jeudi 15 mars
2012
Ils seraient presque drôles ces
historiens et autres spécialistes de
l'Algérie coloniale, quand on écoute ou
qu'on lit les niaiseries qu'ils étalent
à longueur d'émissions ou d'articles de
presse. Ils ne peuvent pas être drôles,
parce qu'il s'agit de la tragédie d'un
peuple. Mais, heureusement, plus ils se
manifestent plus les limites de leurs
discours se rapprochent. Car, une fois
épuisés les faits divers, les détails
bien choisis, il faudra bien en venir à
leur matrice originelle. Elle seule peut
expliquer le «drame» des pieds-noirs et
sa genèse. Elle seule pourra permettre
de comprendre pourquoi les pieds-noirs
ont quitté «leur pays». Cette unique
image devrait pourtant faire réfléchir.
«Quitter son pays» cela mérite, tout de
même, mieux comme explication que ce qui
est servi. On ne «quitte pas son pays»
sur le simple fait que ce pays soit
devenu indépendant. Quand c'est vraiment
«son pays», on y reste, on en a pas
d'autre. Et puis pourquoi sera-t-il
devenu indépendant pour une partie de sa
population et pas pour l'autre ?
Pourquoi ce fut la majorité de ses
habitants (et seulement une minorité de
pieds-noirs), qui le voulut ainsi ?
Pourquoi l'écrasante majorité des
pieds-noirs refusa l'idée d'indépendance
et même la plus petite concession à ceux
qui durent prendre les armes pour tout
avoir et leur faire tout perdre, y
compris «leur pays» ? Il faut dire qu'il
en a fallu des raisons pour accepter la
torture, les sévices, la mort, jusqu'au
bout, jusqu'à cette indépendance. Il
faut donc parler de ces raisons qu'on
n'invoque pas ou, si c'est le cas, très
peu, sur le mode de la compassion et des
regrets qu'il en fut ainsi, sous le
tempo camusien de «Misère en Kabylie»,
sans pointer du doigt le colonialisme
dans toute son acception. Ce système et
son instrument «le Code de l'indigénat»,
dont quelqu'un disait, fort
pertinemment, qu'il faisait de l'Etat
colonial un état d'exception permanent.
Il en fallait aussi des raisons pour
«quitter son pays» et le coup de la peur
ne peut avoir cours. 200 000 Européens
sont restés ou, du moins, assez
longtemps après l'exode des autres, pour
prouver qu'il n'y avait pas danger en la
demeure. Pour les Algériens c'était la
fin de 132 ans de condition
d'infrahumains qui se terminaient. Une
condition à laquelle ils ont été soumis
après un véritable génocide. Les
statistiques des généraux de la conquête
et des commissions qui l'ont évaluée
révèlent l'ampleur des massacres. Entre
7 et 8 millions d'Algériens seraient
morts lors des «pacifications» et autres
«épopées» de l'Armée d'Afrique. Le code
de l'indigénat sera accepté à ce prix.
Un code très frileux qui ne laisse rien
au hasard, pas même quand des indigènes
montrent la plus grande disponibilité à
servir. On peut citer, à ce propos,
«L'affaire des officiers algériens» de
Abdelkader Rahmani, où l'auteur,
officier de l'Armée française, décrit sa
situation et celle de ses compatriotes.
Voilà ce qu'on peut, par exemple, lire :
«Les anciens officiers algériens
sortaient du rang. Leur statut était
spécial… Ils fournirent d'excellents
officiers du service général, aux
attributions multiformes : surveiller
les ‘’méchouis’’, servir le ‘’kahoua’’,
gendarmer le quartier… Les soldes des
Algériens et des Français n'étaient pas
identiques… Interdiction à un Algérien
d'instruire ou de commander un
Européen». Ce code est resté en vigueur
jusqu'en 1962.
Article publié sur
Les Débats
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