Opinion
Albert Camus :
d'où procède la polémique ?
Ahmed Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Samedi 12 octobre 2013
Albert
Camus est sans conteste un écrivain de
talent, un monument de la littérature
universelle. Il serait d'ailleurs très
difficile de dénier la qualité de ses
œuvres et malhonnête de ne pas lui
reconnaître du génie. Il a écrit sur
l'Algérie, à partir de l'Algérie. Il a
dit son Algérie à lui expurgée, son
soleil et sa mer, son ciel bleu et son
anisette, dans des mots et un style
lumineux. Il a captivé par sa verve le
plus rétif des lecteurs. Mais il soulève
des polémiques, à chaque fois ou presque
qu'il est mis sur le devant de la scène.
Surtout ces dernières années. D'abord, à
l'occasion du cinquantenaire de sa mort
qui devait être commémoré par une "
Caravane " qui associait des
institutions aussi bien françaises
qu'algériennes, ensuite à celle du
centenaire de sa naissance. La raison en
est que le thème déborde largement le
statut d'auteur de Camus et met au
centre des préoccupations son algérianité supposée. Une démarche qui,
pour beaucoup d'esprits au fait de la
vision du personnage sur la question,
s'offusquent de l'acharnement et y
voient une sournoise réhabilitation de
l'Algérie coloniale, qu'il porte dans
toutes ses fibres, a défendue et a
clamée haut et fort, de surcroît, dans
un remarquable activisme militant.
Malgré lui, donc, Camus est devenu sinon
un enjeu, du moins le prétexte, pour
ouvrir une brèche en vue d'une relecture
de la tragédie qui a endeuillé l'Algérie
cent trente-deux ans durant. Ce faisant,
au-delà d'une " paix des mémoires ",
voulue non pas dans le sens d'une
reconnaissance assumée du fait colonial
et de la justesse du combat des
Algériens, c'est le renvoi dos à dos de
la victime et du bourreau et le possible
"vivre ensemble" qui aurait été
compromis. Un "vivre ensemble" qui
aurait modifié les chances de la
survenue d'un présent par trop
"négatif". Que Camus a prévu en mettant
en garde le "mouvement arabe", c'est
ainsi qu'il nommait le FLN/ALN, de
choisir l' "Orient" contre la France, de
le choisir lui contre Francis Jeanson,
Jean-Paul Sartre, Maurice Audin, Fernand
Yveton, Henri Alleg, Emmanuel Roblès,
Danielle Minne, René Vautier, Jean
Sénac, Pierre Chaulet et ces milliers de
Français, comme lui, qui ont opté pour
la destruction du colonialisme, en
risquant leur vie et en la perdant
parfois. Ceux-là qui, a contrario, ne
suscitent aucun intérêt fussent-ils des
écrivains, tel Roblès, ou auraient-ils
marqué de leur empreinte l'épopée du
peuple algérien, tandis que, à son corps
défendant, Camus est fait Algérien.
Suprême argument, qui se veut imparable,
il aurait, nous dit-on, dénoncé en tant
que journaliste la misère des Algériens.
Piètre recours, il suffit de le lire et
de constater qu'il se démenait,
visionnaire, pour alerter ses
compatriotes sur l'imminence d'une
révolte des "arabes". Attitude qui se
transformera, une fois les feux de la
révolution allumés, en militance ouverte
pour la préservation de l'ordre
colonial. Son programme : " La
personnalité arabe sera reconnue par la
personnalité française, mais il faut
pour cela que la France existe ". Camus
algérien ? Que cesse le déni de réalité
et qu'on s'en tienne à l'écrivain pour
cesser la polémique.
Article publié sur
Les Débats
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