Opinion
L'expert du marché
et le chômeur
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Mercredi 11 janvier
2012
Les temps
sont venus où les cartes seront mises
sur la table. Elles ne concernent pas ce
«printemps» surmédiatisé, mais la sève
des révoltes. En Tunisie, froids comme
leur détermination et forts comme leur
conviction, ils sont nombreux à demander
sans cesse des emplois, au nom de la
«révolution». En Algérie, de jeunes
chômeurs manifestent et font des sit-in
pour dénoncer leur situation. Ces
chômeurs ont le droit de trouver du
travail, la première des nécessités,
mais ils ont aussi le droit de savoir
une chose très importante, que les
«experts» de l'économie de marché
devraient leur expliquer. Il faut dire
que ce serait un grave déni de justice
que seuls les décideurs aient accès à la
connaissance de ce système de gestion.
Tout de suite, il y a urgence, nos
doctrinaires, qui tiennent tant à vendre
leur libéralisme et passent leur temps
dans les colonnes de journaux et sur les
plateaux de télévision à l'enjoliver,
doivent se rendre sur place pour
expliquer aux protestataires qu'ils sont
en train de blasphémer. Il est de leur
devoir de défendre leur produit contre
ceux qui veulent le remettre en cause.
Ces jeunes qui se mettent à contrecarrer
le principe du marché du travail, en
insultant la sacro-sainte loi de l'offre
et de la demande. Nos libéraux ne
doivent pas se dérober ou faire la
sourde oreille, c'est maintenant qu'ils
ont leur véritable gageure, sur le
terrain de l'économie réelle où les
concepts prennent vie et se manifestent
dans leur cruelle vérité. Ces concepts
qui sont triomphalement brandis et qui
ont fini par balayer du champ du visible
la réalité d'une entreprise de
démantèlement et de dépossession d'un
peuple, de ce qu'il a acquis et qu'il
doit à la récupération de ses richesses
naturelles. Mais, comme on peut le
deviner, ils n'en feront rien, car il
leur faudrait beaucoup de culot et
surtout de courage, d'affronter, avec
leurs fumeuses théories, autre chose que
des entrepreneurs ou des dirigeants
politiques. Ainsi, on les voit mal
regarder droit dans les yeux un chômeur
et lui apprendre que dans une société
régie par le marché il n'y a plus que
des marchandises et qu'il est lui-même
une marchandise. Le chômeur, sans trop
de peine, va comprendre. Il saura, de
même, que les marchandises risquent de
ne pas trouver preneur, soit à cause de
leur trop grande quantité, par rapport à
la demande, soit à cause de leur
mauvaise qualité par rapport aux
exigences de l'utilisateur/acheteur. Ce
n'est certainement pas beaucoup mis en
avant dans les bouquins à thèses des
spécialistes, surtout quand il s'agit de
la marchandise humaine, ce qui explique
pourquoi les gens croient que le chômage
est une injustice, alors qu'il fait
partie des règles de la
libre-entreprise, du laisser-faire et
d'on ne sait quel ordre social basé sur
le chacun pour soi, fut-il intronisé sur
cette «démocratie» aux promesses
indéfinies. En tout cas, nos chômeurs,
en exigeant un emploi, sont loin de ce
schéma. Ils ne doivent pas trop
s'arrêter sur ces détails et ne semblent
pas être prêts à s'y arrêter.
Article publié sur
Les Débats
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