Opinion
Le fin mot de la
démocratie
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Jeudi 6 octobre
2011
Vivant
un cas d'école en matière de priorité
économique, beaucoup de Marocains sont
groggy. Pourtant c'est avec fierté et
avec faste que fut solennellement
annoncé le lancement de la ligne de
Train à Grande Vitesse (TGV),
Tanger-Casablanca. La liaison sera
réduite à 2h10, au lieu du double avec
le train classique. Coût du projet : 3
milliards d'euros. Ni appel d'offres ni
même une consultation. Les Marocains ne
comprennent pas la chose et ceux d'entre
eux, qui savent les comptes économiques
et les problèmes du pays, n'ont pas
manqué de pousser des cris. Ce qui est
sûr, c'est qu'il n'y a qu'Alstom qui
pavoise, sous le panache blanc de
Nicolas Sarkozy qui s'est déplacé en
personne dire merci, devant les caméras,
à Mohammed VI, tout plastronnant d'avoir
l'honneur de voler au secours de
l'industrie ferroviaire française en
grave difficulté. Il vient d'offrir
l'équivalent du double du budget de
l'ensemble de toutes les autoroutes du
royaume en chantier ou en projet d'ici
2015. Le site Yabiladi publie à ce sujet
un article fouillé qui ne laisse rien au
hasard. A commencer par l'amortissement
de ce bijou de technologie pour pays
riches. Il faudrait trente ans, dans les
meilleures conditions de remplissage.
Quand le TGV français n'a pas réussi à
assurer sa rentabilité. Le comparatif du
PIB par habitant des deux pays
partenaires est sans appel. 2 400 euros
là-bas, contre 320 euros au Maroc.
«C'est comme si la France avait décidé
de construire une ligne grande vitesse à
58 milliards d'euros», assène l'article
de l'auteur Le train du futur sera
donc inévitablement subventionné par
l'Etat, au même titre que les produits
alimentaires de base. Et pour ne rien
gâcher, l'argent sera emprunté. Un
retour sur investissement tout bénéfice
garanti. Au même moment, en Italie, des
manifestants affrontent violemment la
police dans le val de Suse, afin
d'empêcher la construction du TGV
Lyon-Turin. On comprend mieux, dès lors,
pourquoi le Makhzen est assimilé aux
systèmes les plus démocratiques des pays
dits arabes et pourquoi il bénéficie du
statut de partenaire privilégié. Tant
pis si les agriculteurs marocains sont
blousés par l'UE qui traîne à traiter de
l'accord de coopération agricole. Les
Européens, eux, défendent d'abord
leurs agricultures en crise et se
soucient très peu de ce qui peut bien
arriver à celles des autres. Surtout
quand elles menacent de «perturber» le
marché. Quand nos pays résistaient, il
fut un temps pas si éloigné, ils
dénonçaient l'échange inégal, ils
avaient le souci de ne pas trop en faire
à l'égard des desiderata des riches.
Depuis, les riches sont plus féroces,
car aux abois, et nos pays presque pas
regardants. Le «printemps» libyen
y est pour beaucoup, il montre que le
«marché» ne transige pas avec sa
liberté. Le Makhzen montre la voie,
demain il va «libérer» la farine ou
l'huile pour que l'argent ne soit pas
contrarié dans son accumulation. Un bon
disciple de la «démocratie» comme elle
est enseignée ou conseillée, qui sait
dire oui quand il faut dire non et qui,
bien plus, ne pense même pas non.
Article publié sur
Les Débats
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