Opinion
Et si WikiLeaks n'était qu'une vaste
supercherie médiatique ?
Ahmed Bensaada
Julian Assange
Mercredi 1er décembre 2010 Je ne suis pas nécessairement un fervent adepte de la
théorie du complot, mais je dois avouer qu’il y a quelque chose
qui me dérange dans ce monumental déballage d’informations
supposées être secrètes par le site Wikileaks. Un vrai scénario
dans la pure tradition hollywoodienne. D'ailleurs, il n’est pas
impossible que cette histoire soit bientôt adaptée à l’écran.
D’abord, il y a le « héros »
Le coupable présumé de cette fuite massive d’informations est
un jeune féru d’informatique qui a fait sauter tous les verrous
sécuritaires de la diplomatie américaine et qui nous offre sur
un plateau 251 287 documents de la plus haute importance par
l’intermédiaire de CD de Lady Gaga [1,2]. Et pour donner une
touche mélodramatique, on nous apprend que le jeune en question
est homosexuel, incompris et rejeté pas son entourage, qu’il est
frustré de la société en plus d’être issu d’une famille
monoparentale. Tout un personnage.
Ensuite, il y a la forme
Inaccessible pour le commun des mortels depuis la première
mise en ligne de ces nouveaux documents, Wikileaks fait affaire
avec cinq journaux. On peut lire dans « Le Monde » du 29
novembre 2010 : « Ces publications s’effectuent en
collaboration avec les rédactions du New York Times
(États-Unis), du Guardian (Grande-Bretagne), d’El Pais
(Espagne), du Spiegel (Allemagne) et du Monde pour la France,
dont les journalistes ont commencé à analyser et synthétiser les
informations contenues dans ces câbles, en fonction de leur
importance » [3] .
Mais pourquoi seuls cinq journaux « occidentaux » sont
impliqués dans ce déballage? Le Monde nous explique que « En
octobre, nous (i.e. Le Monde) avons rejoint trois
journaux, le New York Times, le quotidien britannique
The Guardian et l'allemand Der Spiegel, déjà partenaires de
Wikileaks dans la diffusion d'une première vague de documents
militaires américains sur l'Afghanistan, en juillet, pour
pouvoir analyser par nous-mêmes une nouvelle masse de documents
du Pentagone livrés à Wikileaks, cette fois sur l'Irak, et
offrir aux lecteurs francophones notre propre expertise »
[4]. Mais alors pourquoi Wikileaks ne fait pas affaire avec des
médias arabes, chinois, brésiliens ou indiens? Serait-ce pour
leur absence d’intégrité ou leur manque de compétence?
On nous apprend aussi que les cinq journaux ont travaillé sur
les mêmes documents bruts et que le « New York Times (qui
est en première ligne), a informé les autorités américaines des
télégrammes qu'il comptait utiliser, leur proposant de lui
soumettre les préoccupations qu'elles pourraient avoir en termes
de sécurité ». Des documents secrets qui sont supposés
discréditer l’administration américaine seraient soumis à
l’approbation des mêmes autorités américaines. Comprenez-vous
quelque chose? J’avoue que j'ai quelques difficultés. Ou
alors, il est vrai que Wikileaks s’embourgeoise comme le
remarque le site « Kitetoa », spécialisé dans les
libertés individuelles et la sécurité informatique [5].
Il est clair que pour l'administration américaine, la
publication de ces documents par Wikileaks est « illégale » [6].
D’où vient alors sa légalité lorsque ces mêmes informations sont
publiées par les cinq journaux? Est-ce parce que la publication
a reçu la bénédiction des autorités américaines? Dans ce cas-là,
il y a de sérieuses questions à se poser au sujet de
l’indépendance de la presse et de sa liberté d’expression. Cela
va même à l’encontre de l’esprit frondeur et libertaire qui est
le fondement de Wikileaks.
D'autre part, les cinq journaux, qui ont mobilisé pas moins
de cent-vingt journalistes pour la tâche, ont soigneusement
retiré tous les noms et indices pouvant identifier les
personnes. Les télégrammes publiés sont classés « secrets
», « confidentiels » ou « non classifiés
». Aucun d’entre eux n’est classé « Top Secret » [7].
Est-ce de la censure ou de l'autocensure? Peut-on parler de
médias « embedded » même s’ils ne sont pas physiquement
sur un quelconque front?
Finalement, il y a le fond
Les informations divulguées par les médias « embedded
» ont une portée différente selon les personnes ou les
situations dont elles traitent. Intéressons-nous tout d'abord
aux « grands » de ce monde. Sarkozy est « susceptible et
autoritaire », Berlusconi « incapable et inefficace
», Merkel « évite de prendre de risques et manque souvent
d'imagination », Poutine et Medvedev sont qualifiés de « Batman
et Robin » [8]. Même si les adjectifs sont quelque peu
irrévérencieux, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. On est à
des années-lumière de ce qui se publie régulièrement dans les
journaux des propres pays de ces leaders. La preuve de la
bénignité de ces qualificatifs est qu’aucun de ces dirigeants ne
s’est offusqué des paroles, bien au contraire. Ils ont assuré
les américains de leur soutien et ont fustigé Wikileaks [9].
D’un autre côté, Chavez est traité de « fou », Karzai
d’ « extrêmement faible » et Erdogan d’« islamiste assoiffé
de pouvoir, certes pragmatique mais sans vision » qui « hait
tout simplement Israël » [8, 10].
Un planisphère interactif parsemé de points blancs indiquant
les pays cités dans les documents secrets a été publié par le
Guardian [11]. La concentration de points blancs indique
clairement que les lumières ont été focalisées sur le
Moyen-Orient et la région du Golfe.
Ainsi, de l’avis de tous les observateurs, ce sont les
relations de l’Iran avec ses voisins arabes qui sont la cible
principale de ces premières divulgations. Publier les propos
incendiaires contre l’Iran émanant du roi d’Arabie Saoudite, du
roi du Bahreïn, du ministre émirati des Affaires étrangères, du
premier ministre qatari, du prince héritier d’Abou Dhabi et du
président égyptien [12] ne peut être considéré comme un acte
innocent, dicté par un simple devoir journalistique et dénué de
toute arrière-pensée politique. Y ajouter des informations sur
la relation Iran-Hezbollah [13] et de l'acquisition de l'Iran
auprès de la Corée du Nord de « missiles de
technologie avancée lui permettant d'atteindre l'Europe
occidentale » [14] et le battage médiatique est consommé.
Par contre, il est étonnant de ne rien lire sur les
dirigeants israéliens, par exemple. Sont-ils considérés comme
des Américains, donc non sujets à des critiques ou, alors,
l’information a été bloquée par certains filtres? Et qu'en
est-il du massacre de Gaza, du pilonnage du Liban, du raid
meurtrier contre la flottille de la paix ou de l'assassinat de
Rafik Hariri? Le mutisme des diplomates américains à ce sujet
est très éloquent, c’est le moins qu’on puisse dire.
Ne nous avait-on pas pourtant promis 251 287 documents? À
moins qu’ils ne parlent tous du même sujet.
Références
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http://www.lejdd.fr/International/Actualite/Bradley-Manning-portrait-de-celui-qui-pourrait-etre-l-informateur-de-WikiLeaks-237379/
-
http://www.wired.com/threatlevel/2010/06/wikileaks-chat/
-
http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2010/11/29/boussole-wikileaks-sy-retrouver/#xtor=RSS-3208
-
http://www.lemonde.fr/international/article/2010/11/28/pourquoi-le-monde-publie-les-documents-wikileaks_1446074_3210.html
-
http://www.kitetoa.com/Pages/Textes/Textes/Textes12/20101129-wikileaks-cablegate-wikileaks-s-embourgeoise.shtml
-
http://www.abc24.com/news/national/story/U-S-WikiLeaks-release-illegal-endangers-countless/ZZGu_pWVB0-tcK_JtT9rKA.cspx
-
http://www.20minutes.fr/article/630231/monde-wikileaks-diplomatie-americaine-tres-embarrassee-
-
http://www.lemonde.fr/documents-wikileaks/article/2010/11/29/les-revelations-de-wikileaks-en-quelques-phrases-cles_1446279_1446239.html
-
http://www.lemonde.fr/international/article/2010/11/30/wikileaks-sarkozy-parle-du-dernier-degre-d-irresponsabilite_1446990_3210.html#ens_id=1446739&xtor=RSS-3208
-
http://www.lemonde.fr/documents-wikileaks/article/2010/11/30/wikileaks-erdogan-juge-autoritaire-et-sans-vision_1446797_1446239.html#ens_id=1446075&xtor=RSS-3208
-
http://www.guardian.co.uk/world/interactive/2010/nov/28/us-embassy-cables-wikileaks
-
http://iran.blog.lemonde.fr/2010/11/29/wikileaks-la-peur-arabe-de-liran/#xtor=RSS-3208
-
http://www.lemonde.fr/international/article/2010/11/29/teheran-a-utilise-des-ambulances-pour-passer-des-armes-au-hezbollah_1446273_3210.html#xtor=RSS-3208
-
http://fr.reuters.com/article/idFRPAE6AR0J120101128
Cet article a été publié le 2 décembre 2010 dans les
colonnes du journal "Le Quotidien d'Oran"
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