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Opinion
Riadh Chraïti: un
combat pour la justice et la dignité
Ahmed Amri

Dimanche 15 mai 2011
Riadh Chraïti est un poète tunisien et l'une des plus belles
plumes d'expression arabe au Maghreb. Il est également militant
syndicaliste de gauche et, à ce titre, il était opposant
politique aux régimes de
Bourguiba
et
Ben Ali. Son parcours de combattant, son engagement
infaillible dans la lutte pour la justice et la démocratie,
s'inscrivent en droite ligne du combat mené de vieille date par
les Gafsiens en général et sa famille en particulier. Celle-ci a
déjà donné à la Tunisie un
fellaga de
grand renom,
Lazhar
Chraïti qui s'était battu en Palestine, puis en Tunisie dans
les maquis contre la France, autant pour la libération de la
Tunisie que pour celle de l'Algérie.
Chef de l'«Armée de libération
nationale», ce "Che" tunisien du sud qui commandait une
guérilla de 2000 hommes avait tant donné du fil à retordre à
l'armée française qu'une prime de deux millions de francs fut
offerte pour sa capture, vif ou mort. Mais celui que le sud
tunisien surnommait «le Lion d'Arbat» ne pouvait être la proie
facile des chasseurs de prime. L'histoire de la lutte pour
l'indépendance tunisienne doit à Lazhar
Chraïti et son armée la force qui a conduit la France à
engager le processus de mise en fin du protectorat. Et même
l'indépendance acquise, l'irréductible Lion d'Arbat n'a pas
déposé les armes. Il a continué de se battre aux côtés du F.L.N,
sur la frontière algéro-tunisienne, jusqu'à l'indépendance de
l'Algérie.

On déplore quand même que cette épopée -jusque-là faisant vibrer
dans l'union l'ensemble des Tunisiens- ait connu un épilogue
douloureux. Devenu président, Bourguiba
n'avait pas reconnu comme il se doit le mérite des fellagas dans
la lutte pour l'indépendance. Beaucoup de ces anciens
combattants, dont Lazhar
Chraïti, se sont vite inscrits en faux contre sa politique.
En 1962,
Lazhar Chraïti est arrêté avec de nombreux anciens frères
d'armes accusés de comploter contre l'État. Jugé et condamné à
mort, il a été exécuté en 1963 avec dix autres conjurés.

Sans doute l'aura et l'héritage de cet homme dont la mort l'a
élevé au rang de martyr ont-ils été marquants dans la ligne
politique du neveu Riadh Chraïti. Mais celui-ci est aussi le
fils de Mohamed Lazhar Chraïti, frère d'armes du "Lion d'Arbat»!
Il avait rejoint au djebel son cousin germain alors qu'il avait
à peine 16 ans. De tous les fellagas qui se sont battus sur le
sol tunisien, ce père que Riadh évoque avec autant de piété que
de fierté était le seul à avoir fait son baptême de feu en âge
si précoce. A l'indépendance de la Tunisie lui non plus ne
dépose pas les armes. Il suit son cousin et commandant
Lazhar
Chraïti pour se battre du côté des frères algériens.
En 1978, alors qu'elle est paralysée pour le deuxième jour par
une grève générale, suite à des heurts opposant les forces de
l'ordre à des manifestants soutenant l'UGTT la Tunisie a basculé
dans des émeutes sanglantes. En ce jeudi 26 janvier appelé
le jeudi noir, près de
200 personnes, si ce n'est plus, ont trouvé la mort et entre 500
et mille personnes ont été blessées. Alors que ces émeutes
avaient commencé la veille à Tunis, c'est à Gafsa qu'on a
enregistré le premier martyr du
jeudi noir. Ce martyr était un proche parent de Riadh
Chraïti, plus précisément son oncle maternel Jamel Bouterâa.
Militant syndical de gauche, il a été abattu à 9h d'une balle
devant le local de l'UGTT, avant même que l'ordre de tirer sur
les manifestants n'a été donné.
C'est dire ce que le poète et militant Riadh Chraïti doit au
juste à la saga des siens. Dès sa prime jeunesse, le pouvoir
l'avait dans son collimateur. Et le poète a dû s'expatrie en
Irak puis en Algérie pour poursuivre ses études. En 1985, alors
qu'il était instituteur et que son nom était déjà connu dans les
milieux littéraires, Riadh est frappé d'un licenciement
arbitraire sanctionnant ses activités syndicales. On lui
reprochait d'avoir participé à une grève jugée illégale. En
réalité, une telle mesure punitive visait non seulement le
syndicaliste et l'opposant-né de Bourguiba mais aussi
une mauvaise graine
rappelant le sang de Lazhar
Chraïti. En 1996, c'est avec le pouvoir de Ben Ali, de plus
en plus dictatorial, que Riadh va avoir encore des problèmes.
Membre de plusieurs associations littéraires dont l'UET (Union
des écrivains tunisiens) il dirigeait un groupe public local à
vocation littéraire, mais non moins engagé au plan politique, le
Centre du roman arabe. Au cours d'une soirée poétique organisée
à Sousse dans le cadre d'un symposium international, à laquelle
assistait le gouverneur de la ville, Riadh a refusé de donner
satisfaction à celui-ci qui voulait faire interrompre
l'intervention d'un participant. Le cacique du pouvoir local
était outré d'entendre Slim Daoula, philosophe et poète
tunisien, réciter un poème qu'il ne trouvait pas à son goût.
Slim Daoula, tout aussi irréductible que son ami Riadh, ne
s'embarrassait pas de se montrer ouvertement critique à l'égard
du pouvoir.
Suite à cet acte
d'insubordination offensant un haut fonctionnaire de la
dictature, Riadh a été démis de son poste et interdit de la
fonction publique pour le restant de sa vie. Commence alors pour
le poète un long calvaire, car il est obligé de travailler
par-ci par-là, souvent dans le tourisme, à titre saisonnier et
pour un salaire de misère. En 2010, il réussit néanmoins à se
faire embaucher dans un hôtel, ce qui lui permet de sauver la
décence pendant près de 6 mois, jusqu'au 25 janvier 2011, date à
laquelle il a été de nouveau licencié. La révolution qui a
chassé le dictateur à peine une dizaine de jours avant n'a pas
le moindrement perturbé les vieux rapports entre employeurs et
employés.

Victime une première fois de l'arbitraire de l'Etat qui l'a
privé de son travail au mépris des lois et de la justice
humaine, une deuxième fois d'un code de travail taillé à l'auge
des patrons, Riadh Chraïti n'a pas déposé pour autant les armes.
Il a frappé à toutes les portes, interpellant les instances
politiques au sujet des abus de pouvoir dont il a été victime et
demandant que cette injustice qui a trop duré soit réparée. Il a
écrit aux ministres de l'éducation, de la culture, des affaires
intérieures, au premier ministre, au président, mais à ce jour
ces démarches n'ont pas abouti.
En désespoir de cause, il a mis en ligne une pétition et en
appelle à la conscience des citoyens du monde pour l'appuyer.

Merci de soutenir la lutte de ce
poète pour la justice et la dignité, en signant dans l'une ou
l'autre langue proposées ci-dessous, la pétition:
-
Version
arabe.
-
Version française.
Article publié sur le blog d'Ahmed Amri
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