Chronique
Les manœuvres très
« géopolitiques » de la France en
Afrique
Adolphe
E. Rakomtomanga
Lundi 5 mars 2012
Qu’importe qu’ils soient mal élus ou
pas. L’essentiel pour la France, dans le
processus démocratiques et les élections
en Afrique, est que le futur président
soit un « ami ». Chefs d’Etat contestés
et haïs par leurs peuples, car élus dans
des conditions nébuleuses, ils sont
ainsi légion. Cela signifie, dans le cas
de Madagascar, que tous les moyens leur
sont bons, pour empêcher le retour au
pouvoir d’un certain Marc Ravalomanana.
"C’est en gardant
le silence au lieu de hurler que l’Homme
devient un lâche" (Abraham LINCOLN)
Nous portons le deuil dans notre âme et
conscience depuis le 17 mars 2009, date
du début de la tragédie qui s’est
abattue sur le pays et qui a provoqué sa
rapide et inexorable décomposition :
décomposition morale, politique,
économique, sociale, culturelle.
Les Institutions sont devenues des
caricatures et la démocratie réduite à
d’horribles oripeaux.
Madagascar vit la période la plus noire
de son existence après celle de 1947 et
prend l’allure d’un pays occupé, comme
l’était en son temps une certaine France
par l’abominable régime nazi.
Nous sommes horrifiés et indignés du
fait de cette même France qui vient de
tomber les masques. En présentant d’une
façon éhontée et grossière "sa feuille
de route" qu’elle prétend substituer aux
accords cosignés de Maputo et
d’Addis-Abeba, accusés par elle
d’inapplicables (1).
Nous comprenons alors pourquoi Andry
Rajoelina n’a pas hésité à renier sa
signature. Parce que l’Etat français,
embusqué derrière lui, n’a pas trouvé
ses comptes dans ces accords.
Nous comprenons alors, d’une façon
fulgurante, pourquoi la situation est
bloquée et par qui : parce que l’Etat
français a dans ses papiers son propre
schéma, plus conforme à ses intérêts et
à son objectif ultime.
Le 27 mai 2009, depuis l’Afrique du Sud,
Marc Ravalomanana n’avait-il pas accusé
les Français d’avoir été derrière le
coup d’Etat ? C’est à peine si les
médias en ont fait mention (2). Nous
savons maintenant que le Président, qui
possède sans aucun doute ses propres
sources de renseignements, n’a pas fait
cette déclaration dans un moment de
délire ou d’égarement.
D’ailleurs, un faisceau de faits
convergents balise la traçabilité de
l’implication de l’Etat français dans la
persistance de la situation actuelle :
- la présence auprès de Andry Rajoelina
dès les premières heures du putsch d’un
Conseiller français,
- l’activisme forcené de son
représentant sur place (présentation de
lettre de créance, présence physique
lors du sacre du « nouvel Homme fort de
Madagascar », rencontres incessantes
avec ce dernier et avec d’autres
personnalités susceptibles de servir de
jokers à la solde de la France,
l’accueil de ce dernier par Paris après
le camouflet à lui infligé par
l’Assemblée Générale de l’ONU (septembre
2009),
- sa rencontre largement médiatisée avec
des parlementaires UMP en France,
le grouillement pathétique des
émissaires du Quai d’Orsay sur les lieux
lors de Maputo 2,
- la sortie, à point nommé, de cette «
feuille de route », présentée par Alain
Joyandet et aussitôt agréée par Andry
Rajoelina lequel est prêt, semble-t-il,
à la signer les yeux fermés,
- l’embargo de la presse française sur
la tenue quasi-quotidienne des
manifestations des partisans de la
Légalité et les Accords de Maputo /
Addis-Abeba, ainsi que sur l’émergence
du Mouvement des Ecclésiastiques (Hetsiky
ny Mpitondra Fivavahana),
- le silence étonnant de l’importante
communauté française à Madagascar,
témoin privilégié des évènements,
- très subsidiairement, la très suspecte
« Lettre ouverte » d’un Père Pedro
(3)(récemment décoré de la Légion
d’Honneur française) adressée à Louis
Michel, Commissaire européen au
développement et à l’aide humanitaire et
actuellement co-président de l’assemblée
paritaire ACP-UE.
Evidemment, cette liste n’est pas
exhaustive, car ne sont évoqués
ci-dessus que les faits les plus
visibles. Mais qui constituent au total
l’équivalence d’une reconnaissance
officielle de fait de la France à
l’endroit de l’Autorité de fait
Malagasy.
Ce faisant, l’Etat français reste fidèle
aux grandes manœuvres, très «
géopolitiques » et à quelques variantes
près, déployées dans maints pays
africains (Côte d’Ivoire, Congo
Brazzaville, Mauritanie, Gabon, Niger,
etc…). Ce qu’il n’a pas apparemment
prévu, c’est cette mobilisation
quasi-immédiate contre le coup d’Etat,
autour du thème de la Légitimité et de
la Légalité, radicalisé depuis par celui
de la Défense de la Souveraineté et de
l’Indépendance.
Malgré la guerre d’usure que lui
imposent l’Autorité de fait, le Peuple
Malagasy ne va pas prêter main forte à
l’Etat français dans son acharnement à
vouloir de nouveau planter, en plein
XXIème siècle, son tricolore en haut du
Palais de Manjakamiadana !
Car il nous semble très clair à présent
: les autorités françaises veulent à
tout prix que la Grande Île reste
française et que le futur président
(qu’elles essaient de faire élire dans
des élections forcées) soit un « ami de
la France ». A l’instar de maints Chefs
d’Etats Africains, contestés et haïs par
leurs Peuples car élus dans des
conditions nébuleuses. Cela signifie,
dans le cas de Madagascar, que tous les
moyens leur sont bons, pour empêcher le
retour au pouvoir d’un certain Marc
Ravalomanana.
A posteriori, nous osons affirmer que si
ce dernier n’avait pas pu quitter
Iavoloha pour l’exil en mars 2009, il y
aurait (au sens propre) laissé sa peau.
Cela aurait en effet arrangé beaucoup de
monde et un Etat en particulier. Et sa
mort, comme celle du Colonel
Ratsimandrava, aurait constitué une
énigme de plus, à jamais élucidée. Ou
alors, ses ennemis auraient prouvé «
qu’il s’est suicidé » ?
En 2009, le PNUD a publié le classement
de tous les Pays du Monde(4) selon leurs
IDH 2007 respectifs… Madagascar y tient
le 145ème rang sur 182 et appartient en
2007 aux Pays à IDH moyen. Sur les 25
Pays classés derniers (à IDH faible) 11
sont des ex-colonies françaises.
Nous refusons de croire que c’est là le
fait du hasard ou d’une quelconque
malédiction. Certes les dirigeants de
ces Pays et leurs Peuples y ont
certainement leur part de
responsabilités. Mais à y regarder de
près, les poids de l’esclavage et de la
colonisation, relayés par les manœuvres
incessantes de ce qu’on appelle la
Françafrique font que l’Afrique reste un
continent noir, noir de violences, de
misères, de pillages, de corruptions,
d’élections forcées et truquées, de
coups d’Etat, de génocides… et se
trouvent reléguées au rang des pays
immergents.
Pour s’en convaincre, il faut entendre
le discours de M. Sarkozy, prononcé le
26 juillet 2007 à l’Université Cheick
Anta Diop du Sénégal. Discours, édifiant
s’il en est, et qui a soulevé
l’indignation de nombreux intellectuels
Africains (5). Il y a manié en effet,
avec sa manière à la fois directe et
insidieuse, la basse flatterie et les
contre-vérités, démontré sa
méconnaissance de l’Histoire de
l’Afrique Noire et ses Peuples. Pour
mieux culpabiliser sans vergogne ces
derniers et mieux édulcorer les
responsabilités de la France coloniale
passée et présente. De la repentance, il
n’a voulu rien entendre. Au contraire,
c’est à peine s’il n’a pas exigé de la
part de l’Afrique ingrate, le pardon à
la France Eternelle, grand bâtisseur de
ponts, de route, d’écoles, d’hôpitaux !
Qu’on ne se méprenne pas sur nos propos.
Nous même de formation française. Nous
respectons le peuple français et la
France, celle des Droits de l’Homme,
celle qui a connu la souffrance et
l’humiliation pendant l’Occupation
nazie, celle qui lutte pour le
rayonnement de sa langue et de sa
culture à travers le Monde. Mais nous
dénonçons et condamnons d’autant plus
vigoureusement la politique menée par
l’Autre France, sournoise et
conquérante, qui veut imposer ses
propres intérêts au détriment et au
mépris de ceux des Autres.
NOTES
(1) Alors que ces Accords ont reçu la
caution et le soutien des organisations
internationales (ONU), continentales
(Union Européenne, Union Africaine) et
régionales (SADC)
(2) Cf. Midi Madagasikara du 27 mai
2009, page 3
(3) Cf. Les Nouvelles du 3 avril 2010,
page 2, dans laquelle, se basant sur la
version française sur la crise et son
origine qu’il a lue sur le site web du
MAE français et qui accable Marc
Ravalomanana, Père Pedro écrit notamment
que "Madagascar est en paix malgré
quelques accrochages qui se sont
produits ici et là".
(4) Cf. Rapport mondial sur le
Développement Humain 2009, publié par le
PNUD (octobre 2009)
(5) Cf. "L’Afrique répond à Sarkozy"
Editions Philippe Rey, 2008. Œuvre
collective de 23 intellectuels Africains
dont le Malgache Raharimanana. - A lire
également la série de 42 questions
posées à la délégation de la HAT lors du
"Dialogue Politique Union Européenne –
Madagascar" tenu à Bruxelles en juillet
2009. On y constate à travers ce
questionnaire que le monde du "ni vu, ni
connu, je fais ce que je veux" est bien
révolu.
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR
PAMBAZUKA NEWS
* Adolphe E. Rakomtomanga est président
de l’Association Force de l’Education et
de la Recherche (HFF/FER) - Maître de
Conférence Université d’Antananarivo (Le
titre est de la rédaction de Pambazuka
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