Al-Quds Al-Arabi
L'enthousiasme israélien pour l'initiative saoudienne
Abdul-Bâri Atwân
La colonie de Nazareth Illit
Il y a quelques semaines, dans le numéro de septembre/octobre,
le magazine bimensuel
Foreign
Affairs
a publié un
article
intitulé « A war to start all wars » de Shlomo Ben-Ami, où il
défendait l’idée qu’Israël devait démanteler ses colonies et se
retirer aux frontières de 4 juin 1967. (Une traduction française
et disponible sur le site de Palestine-Solidarité à
cette adresse).
Dans cet article,
l’auteur revient sur un nouveau livre « 1948:
A History of the First Arab-Israeli War »
de l’historien israélien Benny Morris, pour nous montrer qu’en
1948 on a créé un état affamé de terres au mépris de la
population palestinienne autochtone. Il y montre que l’idée d’un
transfert forcé (un euphémisme d’expulsion comme il précise) a
été adopté en 1937 par la commission Peel du gouvernement
britannique sur la Palestine, et mise en œuvre par les forces
juives durant les combats de 1948. Cette politique est
parfaitement résumée par la déclaration de Ben Gourion en 1948 :
« Il ne reste qu’un seul rôle laissé
aux Arabes de la terre d’Israël : Fuir ».
Et c’est ce qu’ils ont fait devant les différents massacres
perpétrés sur des ordres comme celui de Moshe Carmel, le
commandant israélien du front nord : « d’attaquer
afin de conquérir, de tuer parmi les hommes, de détruire et de
brûler les villages ».
Shlomo Ben-Ami souligne
que cet appétit pour toujours plus de terres et de nouvelles
colonies, pour apporter plus de sécurité à Israël, ne tient plus
aujourd’hui avec les missiles de longue portée, et que par
conséquent la tradition sioniste de soutien à la colonisation
doit être remise en question pour vivre comme un état normal
dans ses frontières légitimes et d’avoir de bonnes relations
avec la communauté internationale.
Shlomo Ben-Ami évoque
alors deux solutions pour arriver à la paix : Deux états sur les
frontières de 4 juin 1967, ou un seul état avec une coexistence
judéo-arabe dans une seule communauté binationale sur les terres
de la Palestine historique.
Il botte en touche l’état binational car,
comme il le précise, Israël, avec sa puissance supérieure,
n’acceptera jamais de céder le pouvoir à une majorité arabe
palestinienne, comme ce fut le cas avec les Blancs de l’Afrique
du Sud qui l’ont finalement fait en faveur d’une majorité noire
en 1994.
En revanche, il déclare que le plan de paix
proposé par la Ligue Arabe en 2002 montre que le monde arabe
reconnaît la légitimité d’Israël dans ses frontière de 1967, et
qu’Israël doit saisir cette chance unique pour négocier des
accord de paix globale sur ces frontières, qui sont
essentiellement les mêmes frontières établies au lendemain de la
victoire israélienne écrasante de 1948.
Shlomo Ben-Ami n’est pas simplement un
historien ou un intellectuel, mais il fut le ministre de la
sécurité intérieure de l’état d’Israël dans le gouvernement
d’Ehud Barak entre 1999 et 2001. Il a aussi occupé la fonction
du ministre des affaires étrangères entre 200 et 2001. En tant
que ministre de la sécurité intérieure, il était responsable de
la police et de la répression exercée contre les Arabes
palestiniens pendant l’intifada d’Al-Aqsa. A ce titre il fut
officiellement tenu responsable, par une commission d’enquête
israélienne, de la tuerie de 12 Arabes israéliens et d’un
Palestinien en octobre 2000.
Pourquoi alors Shlomo Ben-Ami devient
subitement un homme de paix, et il appelle de ses vœux
l’existence de deux états, juif et palestinien, sur les
frontières de 4 juin 1967 ?
Une partie de la réponse est donnée dans
son article. Shlomo Ben-Ami a peur, comme il l’explique,
qu’après l’échec du processus d’Oslo, l’intifada d’Al-Aqsa et la
mort d’Arafat en 2004, le
nationalisme laïc dans les territoires palestiniens et dans le
monde arabe soit aujourd’hui en déclin au profit d e ce qu’il
appelle le fondamentalisme musulman.
Il constate que la loyauté à l’état
et à la nation est en train d’être supplantée par la loyauté à
l’islam et que
les Palestiniens s’éloignent du
nationalisme pragmatique d’Arafat pour revenir à des positions
révolutionnaires sur des questions comme le retour des réfugiés
et la libération de la Palestine d’avant la partition.
Par conséquent, pour Shlomo Ben-Ami,
tout retard dans les négociations pour
mettre en place la solution de deux états sur les frontières de
4 juin 1967, impliquerait le renforcement de l’autre solution
inacceptable d’un seul état binational, ou pire encore, à ses
yeux, de se retrouver avec un état du Hamas aux frontières
d’Israël.
Cependant,
Shlomo Ben-Ami ne va pas jusqu'au bout dans la réflexion sur
les deux états. Alors imaginons que cette solution
devienne réalité. D'un côté Israël, un état juif sur les
frontières de 4 juin 1967, et de l'autre côté la Palestine,
un état arabe sur 22% des terres qui restent de la Palestine
historique. Or dans cet Israël, environ 20% de la population
est aujourd'hui formé de citoyens arabes israéliens. Mais les
Arabes, tout le monde le sait, font beaucoup d'enfants. Que
fera alors l'état d'Israël si, dans 20, 30 ou 40 ans, ses
citoyens arabes deviennent une majorité ? Que propose Shlomo
Ben-Ami pour empêcher que ce scénario catastrophe (car on
revient au cas de l'état binational) ne se réalise
?
Cette motivation pour la solution des deux états qui était
proposée par la ligue arabe en 2002, a-t-elle d’autres raisons ?
Voici pour mieux comprendre l’analyse intéressante d’Abdul-Bâri
Atwân, le rédacteur en chef du journal Al-Quds Al-Arabi.
Al-Quds
Al-Arabi
Le 21 octobre 2008
Soudain, six ans après son lancement, les
principales directions israéliennes se pressent pour saluer
l’initiative de paix saoudienne. Voilà qu’Ehud Barak, le
ministre de défense, déclare que les dirigeants israéliens
étudient cette initiative et réfléchissent sur comment y
répondre. Quant à Shimon Perez, il s’active pour établir des
négociations avec le monde arabe dans sa totalité pour arriver à
un traité de paix globale. Le journal Maariv le cite en
déclarant que « c’est une erreur de commencer des négociations
séparées avec la Syrie et d’autres avec les Palestiniens. Israël
doit s’arrêter de mener des négociations bilatérales, et il doit
s’orienter vers un accord de paix régional avec les états arabes
et leur ligue ».
C’est un changement majeur dans la position
israélienne si on se limite aux apparences, car le gouvernement
israélien actuel, comme tous les gouvernements précédents, a
toujours fait traîner sa réponse à cette initiative, et demandé
aux Arabes de normaliser en premier avant toute discussion
sérieuse à ce sujet. Il est même allé bien plus loin en
demandant aux chefs arabes, dont particulièrement le roi
Abdullah Ben Abdel-Aziz, de venir en Jérusalem occupée pour
présenter l’initiative devant la Knesset (le parlement
israélien), à l’instar du feu président Mohammad Anwar Assadat.
Nous sommes maintenant devant une nouvelle
recette de cuisine pour laquelle on se prépare d’une manière
accélérée, à commencer par la visite qu’effectuera le président
israélien Shimon Pérez à Sharm Al-Sheikh ce jeudi (23 octobre,
Ndt) pour rencontrer son homologue égyptien Hosni Moubarak « le
parrain de la paix » et le chef de l’axe des états arabes
modérés, qui contient son pays en plus des six états du Golfe et
la Jordanie.
La question posée est de savoir quelles sont
les raisons de ce soudain enthousiasme israélien pour une
initiative de paix saoudienne, qui n’a rencontré que mépris et
tergiversation de la part d’Israël pendant les six dernières
années, en plus des nouvelles constructions de colonies en
Cisjordanie et aux alentours de Jérusalem occupée, et puis du
culot pour installer une synagogue juive aux esplanades d’al-Haram
al-Sharif.
***
Il y a plusieurs raisons, certaines sont
dictées par les changements internationaux et régionaux du
moment, et quelques autres, et elles sont les plus importantes,
concernent des ambitions stratégiques futures. Commençons par la
première partie de ces raisons :
Premièrement : La direction israélienne est
consciente qu’elle est à deux semaines des élections
présidentielles et législatives à mi-parcours aux Etats-Unis. Un
nouveau président sera élu, et il y a de forte chance que ce
soit Barack Obama, ce qui signifie la fin de l’époque des
néoconservateurs, dont la plupart sont des juifs pro-israéliens,
et le départ de l’administration du président George Bush qui
est considéré comme le président EU le plus proche de l’état
hébreu et le plus docile pour servir ses intérêts.
Deuxièmement : La crise financière actuelle
a affaibli le lobby pro-israélien qui utilise l’argent comme une
arme politique pour dominer les gouvernements occidentaux. De
plus, le capitalisme occidental dans sa forme actuelle a subi un
coup fracassant, et cette crise a créé une faille qui s’élargit
jour après jour entre les Etats-Unis, déjà soupçonnées sur les
conditions de leur naissance, et les états occidentaux et
européens.
Troisièmement : Il y a une certitude qui
prédomine dans différents milieux EU et européens que la guerre
sur le terrorisme lancée par Washington contre l’Irak et
l’Afghanistan durant les sept années passées, et qui a coûté à
la trésorerie EU une somme de 750 milliards de dollars jusqu’à
maintenant, est l’une des plus importantes raisons qui ont
conduit à l’écroulement économique du monde capitaliste, en
faveur de nouvelles grandes puissances non occidentales qui
émergent comme la Chine, l’Inde, la Russie et le Brésil.
Quatrièmement : Israël est conscient que
les guerres EU en Afghanistan et en Irak sont complètement
perdantes, et vont conduire à une grande défaite de l’Occident,
à l’instar de la défaite de l’Union Soviétique il y a une
vingtaine d’années. Cette défaite imminente entrainera un
changement dans les équations stratégiques internationales, car
elle apporte la preuve sur la force de la guerre de guérilla et
des milices armées, et de leur capacité à faire la différence
sur le terrain, et sur l’échec des armées classiques à atteindre
ce même objectif en face de cette force.
Cinquièmement : La guerre de juillet 2006 au
Liban a démontré la fausseté de la théorie de la supériorité
militaire israélienne devant des forces de foi non classiques,
et la fin du rôle de la suprématie aérienne pour gagner la
guerre, devant l’évolution qualitative des capacités des
missiles en face.
Sixièmement : Les Arabes, notamment ceux du
Golfe, possèdent des cartes stratégiques majeures qui auront une
influence internationale si elles sont utilisées intelligemment.
Les plus importantes sont l’arme du pétrole qui regagne son
efficacité précédente, et la possession des fortunes immenses
des recettes pétrolières, actuellement estimées à un trillion de
dollars par an, et ceci sans prendre en compte les autres
revenus du gaz, des minéraux et des industries et produits
agricoles.
***
Avec notre respect et considération de
l’importance des toutes ces raisons et facteurs précédents, et
de leur rôle à induire un changement dans la réflexion
israélienne, nous ajoutons une raison qui semble bien plus
importante, et qu’on peut résumer en l’existence d’une tendance
arabe grandissante pour former une coalition arabe-sunnite en
face de l’Iran chiite et d’autres membres dans son axe comme la
Syrie, le Hezbollah et le Hamas. L’objectif de cette coalition
serait de neutraliser l’Iran sur le plan nucléaire, que ce soit
en créant un front militaire uni pour détruire ses programmes
ambitieux à ce sujet, ou bien en encourageant des mouvements de
rébellion intérieurs par les minorités sunnites, arabes et non
perses en général, et ceci en s’inspirant de l’expérience de
l’encerclement de l’Irak avant que son régime arabe ne soit
balayé.
Il y a plusieurs indicateurs qui
soutiennent cette réflexion et qui commencent à émerger tout
récemment. Nous pouvons les résumer en ces points :
Premièrement : L’appel du ministre des
affaires étrangère du Bahreïn, le cheikh Khaled Âl Khalifah, à
créer une coalition régionale incluant Israël, la Turquie,
l’Iran et les Arabes, pour traiter les problèmes courants de la
région, à l’instar de l’Union Européenne.
Deuxièmement : Pour la première fois une
rencontre publique israélo-saoudien a eu lieu à Oxford en
Angleterre à l’invitation du groupe d’Oxford. La partie
israélienne a été représentée par le général Dan Rothschild,
l’ex-coordinateur de la colonisation en Cisjordanie, et du côté
saoudien a participé le prince Turki al-Fayçal, l’ex-directeur
des services des renseignements saoudiens et l’ex-ambassadeur de
son pays à Washington et à Londres.
Troisièmement : La multiplication des avis
religieux exprimés par des honorables savants sunnites comme le
cheik Youssof al-Qaradawi, Salman al-Odeh, et Mohsen al-Awwaji
et bien d’autres, qui mettent en garde contre l’école chiite et
l’accusent de prosélytisme envers les sunnites dans les pays
arabes. Ceci en plus de centaines de millions de dollars
investis pour financer des chaînes de télévisions, des journaux
et des sites électroniques pour mobiliser les sunnites contre
l’Iran et les chiites.
***
Ce que nous voulons dire c’est que
l’administration EU a clairement dit à ses alliés arabes qu’ils
ne feraient pas la guerre contre l’Iran pour les débarrasser de
son régime et de ses programmes nucléaires, comme ils l’ont fait
contre Saddam Hussein en Irak et contre le gouvernement des
Talibans en Afghanistan, et qu’ils (les Arabes, Ndt) doivent
compter sur Israël pour atteindre cet objectif, étant donné que
l’Iran est l’ennemi des deux camps.
L’entrée dans une coalition avec Israël
contre un état musulman a besoin d’une « feuille de figuier »,
exactement de la même manière que lorsque les Arabes sont entrés
en coalition militaire avec les Etats-Unis contre l’Irak, l’état
arabe musulman. Cette feuille de figuier est l’accomplissement
de la paix entre les Arabes et les Israéliens. C’est ce qu’a
fait George Bush père avant sa destruction de l’Irak en 1991
sous le titre de « libération du Koweït », et c’est ce qu’a
refait son fils en promettant de créer un état palestinien avant
2005 afin de terminer ce qu’avait commencé son père, c.-à-d.
l’occupation de l’Irak.
Nous sommes devant une nouvelle tromperie
qui pourrait s’avérer bien plus dangereuse que toutes les
précédentes tromperies. Car elle va fonder un nouveau pacte dont
Israël sera le président, un pacte qui va diviser les Musulmans
sur des critères sectaires, et qui va allumer une guerre entre
les Arabes et le Iraniens. Une guerre qui pourrait finir par
anéantir ou affaiblir les deux côtés, ce qui aboutirait au
renforcement d’Israël et à sa domination complète sur la région,
après qu’il ait compris que l’Occident commençait à se rendre
compte quelle lourde charge cet état représentait pour lui, sur
tous les plans sécuritaire, politique et économique.
http://www.abdelbariatwan.com/...
http://www.alquds.co.uk/...
|