Opinion
Défendre sa terre
et la nature
Abderrahmane Zakad
Dimanche 18 septembre
2011
« Mais qu’ont-ils ces
gens là à s’intéresser au sable »,
m’avait dit un griot au Mali.
Dès qu’on touche aux
intérêts de l’impérialisme ou du
colonialisme, dès que les états pauvres
ou les petits états montrent des
velléités
à demander
des droits de regards concernant
leur devenir, dès que se manifeste une
volonté pour que cela change, il se met
en branle toute une panoplie de
rétorsion pour juguler la contestation
contre l’abus et l’injustice. C’est ce
qui s’était passé au Pérou où les
péruviens des forets amazoniens se
battent pour que soient sauvegardés leur
identité, leurs forêts et leur honneur.
C’est ce qui se passe
également en Libye aujourd’hui, où le
sable a englouti les forêts d’époques
lointaines, ce sable qui semble
intéresser les conquérants onusiens et
otanesques, plus pour s’y enfoncer et
pomper dans les profondeurs pétrolières
que de se bronzer sur les plages de
Syrte ou de Tripoli. Les Libyens, comme
les amazoniens devront eux aussi se
battre pour que soient sauvegardés leur
identité, leur sable, leur pétrole et
leur honneur.
L’Algérie, mon pays,
dont l’indépendance a été arrachée par
la guerre, est sortie victorieuse de
nombreuses confrontations et défis
lancés à son endroit, particulièrement à
la suite de la nationalisation des
hydrocarbures le 24 février 1971. Mon
pays avait alors subit un embargo en
signe de représailles à sa décision
souveraine portant sur la
nationalisation de ses hydrocarbures.
Cela avait ouvert une brèche dans le
camp impérialiste et avait permis aux
pays africains et sud américains
d’entreprendre également les
revendications pour la défense des
peuples à disposer de leurs propres
richesses.
En Iran du temps de
Mossadegh en 1953, au Chili hier, en
Irak et en Libye aujourd’hui, au
Venezuela, dans les pays du Sahel
(prochaine zone de confrontation pour
les richesses minières) les forces
occultes n’ont
de cesse pour fomenter des
troubles afin de donner l’occasion aux
puissances étrangères d’intervenir. Et
quand les conquérants armés de feu et de
haine débarquent dans ces pays sans
défense,
après la comptabilité des morts,
des veuves et des orphelins, c’est la
désolation sur des territoires convoités
devenus cimetières. On a assisté par le
passé à la disparition de civilisations
et de peuplades : les bochimans, les
Kikuyus en Afrique, les incas au Pérou.
Aujourd’hui, c’est en Irak, en
Afghanistan - quoiqu’on dise, parce que
les afghans ne sont pas tous des
talibans - en Somalie et au Soudan,
c’est dans ces pays convoités que
disparaissent des tribus et des
civilisations construites patiemment
depuis des millénaires, vivant en paix
jusqu’à l’arrivée du Diable : le dollar
ou l’euro. La Libye va bientôt servir de
laboratoire pour tester les nouvelles
formes de conquêtes plus sophistiquées.
Et l’Algérie ne sera pas épargnée,
puisque déjà s’insinuent dans les
réseaux du web des rumeurs inquiétantes.
C’est ainsi que
s’infiltrent déjà dans l’Amazonie
péruvienne, des sociétés pétrolières
voraces, la Perenco, la Pétrolifera et
autres Petrobas, pétrissant d’arrogantes
conquêtes tels des piranhas échappés aux
lois de la pesanteur, allant mordillant
dans la chair des indiens, ce qui
restent de leurs biens, la forêt et les
rivières. Assisterons-nous, par la
réaction des indiens massacrés le 8 juin
2009 à l’éclosion d’un mouvement qui
rappelle celui
du Sentier Lumineux de 1980, que
les pays occidentaux avaient alors
diabolisé. Les
Indiens manifestent depuis deux mois
contre une série de lois qui ouvrent
leurs forêts communautaires aux
compagnies pétrolières. L’Amazonie a été
divisée en concessions et la récente
découverte de plusieurs gisements
importants menacent de détruire la plus
grande partie des forêts vierges où
vivent les Indiens. Des projets
similaires ont déjà eu un effet
dévastateur en Equateur et ont entraîné
une pollution chronique et de graves
conséquences sanitaires sur les Indiens,
c’est ce que dénonce Survival.
C’est ce qui se passera en Libye :
l’application du plan de partage par les
multinationales, plan concocté depuis
longtemps par les cabinets spécialisés.
Comme les palestiniens, les Indiens
péruviens sont contraints de prendre des
mesures désespérées pour tenter de
sauver les terres spoliées. Comme les
palestiniens, les Libyens devront eux
aussi se mobiliser pour protéger leur
pays et défendre leur honneur.
Le seul moyen de défense contre cette
pratique nouvelle des conquêtes par
l’argent et la compromission c’est
l’éveil des consciences des ‘damnés
de la terre’ selon le mot de Fanon.
Et tout d’abord, il faut que les peuples
rejettent cette idée de mondialisation
sous-tendue par l’argent et la
technologie pour s’ouvrir aux autres par
la culture. Ils doivent s’accrocher à
leur culture comme le font les péruviens
qui veulent sauver leurs forêts et leurs
manières de vivre. Les Libyens, les
algériens, tous les africains devront
s’accrocher aux lègues de leurs ancêtres
pour protéger leur pays et leur culture.
Ils devront sauvegarder les acquis
obtenus par leur travail depuis des
millénaires, afin de ne pas subir ce
qu’ont subit, les palestiniens, les
irakiens et les Libyens. La résistance
devra s’organiser autour des gens connus
pour leur attention au genre humain et à
la paix,
rallier les intellectuels
honnêtes et désintéressés et aux leaders
plébiscités par leur peuple ; les
leaders qu’ils connaissent et avec qui
ils vivent avec eux et non pas ceux
téléguidés d’occident par des réseaux
occultes.
C’est ce que font les
palestiniens qui ont su,
en maintenant l’esprit de leur
idéal et les valeurs de leur peuple par
la voix de leurs poètes, Mahmoud Darwich,
Hanna Abou Hanna, Samir El Qacim,
poursuivre un combat qui dure depuis
1948 face à
l’armée la plus puissante du
monde, celle d’Israël.
Le 28 mars 2009, à
l’occasion de la célébration en Algérie
de l’année de la culture arabe,
dont El Qods a été désignée capitale,
notre ministre de la Culture, Madame
Khalida Toumi a rendu hommage à tous les
poètes palestiniens, aux femmes et aux
hommes de ce pays,
qui
ont pu sauvegarder leur personnalité,
sauver également l’honneur des pays
arabes qui perdurent dans la mollesse.
La ministre avait alors déclaré, en
parlant des états-majors israéliens qui
avaient refusé l’organisation de cette
manifestation dans la ville sainte : «
Ils ont voulu faire taire la voix
culturelle de la Palestine. Ils ont
commis un autre crime. Ils ont prouvé au
monde entier, par leur esprit colonial,
leur peur de la culture. Ils ne veulent
pas reconnaître qu’El Qods est une
réalité arabe…Nous ne céderons pas. Plus
de compromission. Pas de normalisation.
La résistance doit continuer ». Sur
l’exemple des palestiniens, la
résistance devra également se poursuivre
partout où le libéralisme sauvage
tentera de s’imposer afin que les droits
des gens humbles soient respectés.
L’histoire
l’enseigne. Dès lors que la patrie ou
une communauté se trouvent en péril,
menacées dans leur existence ou leur
devenir, elles ne trouvent pas seulement
des soldats pour combattre l’envahisseur
ou des populations qui
se rebellent contre l’injustice.
Des artistes, des poètes se rallient et
chantent pour perpétuer et sauvegarder
les vertus du peuple et du sol. Ce
qu’avaient fait Neruda, Darwich et Kateb
Yacine.
Ces peuples, ces
communautés qui défendent leurs doits
doivent-ils tendre la main aux
multinationales qui cherchent à gagner
les sympathie par des promesses
fallacieuses et des ruses qui ne
trompent personne ? Doivent-ils accorder
leur confiance à des gouvernements
inféodés aux banques et qui reviennent
sur les promesses déjà faites à leur
peuple ? Ces multinationales, ces
gouvernements feront semblant d’agir
dans notre intérêt et
souhaitent notre progrès. Ils
nous peindront leurs erreurs sous les
traits de la vérité pour nous abuser
plus sûrement. Ils substitueront des
points de vue qui les arrangent à nos
idées clairement exposées de sorte que
nous finirons à les adapter et nous en
servir jusqu’à ce que nous devenions
entre leurs mains un instrument dont ils
peuvent user efficacement, ensuite le
calme revenu, ils nous dépouillent de
nos propres droits, nous humilient et
consolident leurs positions en veillant
à leurs intérêts. En Palestine, en Irak
comme au Pérou et en Libye, quelque soit
la dimension des conflits, l’homme étant
un, les intérêts des uns ne sont pas
nécessairement ceux des autres. Surtout
quand les intérêts sentent le pétrole,
l’uranium ou sont régis par l’argent.
La véritable histoire
de ces dernières décennies, celle qui
s’écrira et que nos enfants retiendront,
c’est celle de la conquête de petits
pays sans défense par l’ordre
impérialiste et néocolonial. Malgré une
médiatisation manipulée, orientée et
abrutissante pour cacher la vérité, nos
enfants comprendront car la réalité
finit toujours par s’imposer.
Abderrahmane Zakad, urbaniste, écrivain.
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