IN MEMORIAM JEAN TABET
L'éclair et la
brûlure
Abdelmadjid Kaouah
Jean Tabet
Jeudi 3 novembre
2011
Ainsi donc, c’est par un
1er
Novembre que Jean Tabet, « Juste
de l’anti-colonialisme »,
vient de nous quitter. La
mort ne relève pas du hasard.
Jean
Tabet
achève ici-bas à une date
emblématique
sa marche
pour
rentrer dans l’histoire. Je l’avais vu
au printemps dernier à Salon de Provence
où il s’était installé depuis de
nombreuses années, encore dans la force
de l’âge, au cœur de maintes
initiatives de solidarité politique. Ces
derniers mois, il luttait stoïquement
contre un cancer. L’un des plus
méchants, comme il me l’’avait dit tout
dernièrement
au téléphone. Peu d’espoir, il en
était le premier conscient. Mais
rien n’a ébranlé sa volonté ni sa
détermination à poursuivre avec
constance
et
lucidité ses contributions
de
tous les jours pour le progrès et la
liberté des hommes. Il est mort debout
sans jérémiades, entouré des soins et de
l’amour de sa campagne Simone Roche. Une
amie
commune,
très
proche
d’eux
, m’a confié
qu’il avait minutieusement
préparé ses obsèques. C’est dire
sa
force de caractère et
quel
homme, il était. Sa vie fut
profondément
ancrée dans celle du Tiers-monde au
lendemain de la deuxième guerre
mondiale. Reprenons quelques passages
d’une chronique que nous consacrions à
Jean Tabet confronté à son dernier
combat.
De parents nés en Algérie,
d’origine juive, cette période a avivé
sa sensibilité au rejet de l’oppression
et de l’injustice. La première de ses
révoltes fut celle contre le Père dont
il réprouva
très jeune l’attitude obtuse
sinon hostile. Force
de
caractère précoce chez cet homme né au
Maroc.
A quatre
ans, il suivait les batailles contre le
nazisme,
mimant les combats aériens contre
les Messerschmitt ! C’est long un
parcours d’homme, surtout de militant.
Jean
Tabet était pudique en ce qui concerne
ses
actes de bravoure et sa vie intime.
Fort heureusement, la
réalisatrice Rina Sherman lui a
consacré un film où il
évoque
de vive voix son parcours. On replonge
avec lui dans les luttes
anticolonialistes et anti-impérialistes
des années 50/60 que les générations
d’aujourd’hui ont du mal à imaginer. Et
bien plus, certaines plumes nous
affirment même que l’anti-impérialisme
était devenu un combat d’arrière-garde…
Jean Tabet, osait,
pour
sa part,
se rebeller
contre
sa Tribu
et se solidariser avec les indigènes,
les bougnoules, ces « damnés de la
terre ». Mémorable confrontation
sur
cette question avec le père et même avec
la mère- pourtant mendéssiste
et familière
de Ben Barka… Jean Tabet était
issu d’une famille plus qu’aisée. Il
aurait pu préférer son cocon, son clan à
l’aventure anti-impérialiste. Non, il
rompit les
amarres pour la clandestinité, la
solidarité avec les damnés de la terre.
Il restera intraitable à l’égard des
fascismes et
leurs
relents en Europe et dans le
monde. Intraitable également quand il
s’agit de
l’émancipation totale des peuples
Tiers-Monde libérés du chaînes du
colonialisme mais encore en quête
d’Etats
de droit, soumis à des impostures
politiques ou des potentats. Il ne
manqua pas d’exercer
sa vigilance à l’égard des
indépendances confisquées et
des
subterfuges néo-coloniaux.
Jean Tabet dont nous avait dit :
« Dès mon jeune âge, j’ai été fasciné
par les plus grandes aventures
humaines du XXe siècle, des
Brigades Internationales de la guerre
d’Espagne, de la Résistance. Deux
références utiles et justes. J’ai très
mal vécu la guerre d’Algérie, je l’ai
vécue comme une agression contre un
peuple qui voulait être libre. Pour moi,
j’avais le sentiment qu’on jouait le
rôle de nos ennemis
la Gestapo, la dureté du
fascisme. Donc, j’ai glissé comme ça de
l’antifascisme à l’anti-colonialisme. Ce
qui est au fond assez logique. La façon
dont se comportait l’armée française en
Algérie était totalement inadmissible.
Je sais que ce n’était pas le cas de
tout le monde. Il fallait trouver les
moyens d’aider les gens qui luttaient
pour leur liberté, qui luttaient pour
leur indépendance. Et cette vieille
phrase m’a toujours frappé : un peuple
qui asservit
un autre peuple est lui-même
asservi ».
D’où
une rencontre capitale du jeune homme
qu’il était avec Mehdi Ben Barka. Un
point d’orgue dans sa prise de
conscience
anti-impérialiste. Sur
Ben Barka, Jean Tabet pouvait
être intarissable :
« Mehdi Ben Barka était quelqu’un
d’extraordinaire. Une énergie, une
vitalité comme je n’en ai vu chez
personne d’autre. Il n’arrêtait
jamais de travailler. Une vraie
mitrailleuse. Il recevait dix personnes
à la fois, menait quatre conversations
en même temps. Pour aller plus vite, il
organisait des rendez-vous dans sa
voiture ! Admiration mais aussi regard
objectif. Mais aussi un regard
objectif. «Il m’avait donné rendez-vous
dans un café à Paris… ….Il
m’adit :
si tu veux je te fais découvrir un Maroc
autre que celui que tu connais. Or,
j’avais quitté
enfant le Maroc et j’avais une
vision, une impression du Maroc.
Il m’a envoyé à plusieurs
reprises en mission au Maroc parmi les
gens de son parti. La misère, je l’avais
vue mais
grâce aux militants de son parti
j’ai vu l’analyse, si on peut dire, de
la misère. La guerre d’Algérie était e n
cours. Et je lui ai dit
que je voulais être mis en
contact avec le FLN pour aider
ce dernier...J’ai été au procès
Janson. .. Et deux jours après,
quelqu’un est venu me recruter dans les
réseaux de soutien au FLN, réseau Curiel...
».Après l’arrestation des Algériens avec
lesquels, il était en rapport Jean Tabet
était « grillé ».Il se réfugie alors
au Maroc. Auparavant, il avait
interviewé Ben Barka pour« Vérité
anticolonialiste ». « Ben Barka
m’adit : il faut maintenant que tous
ceux qui ont aidé le FLN réfléchissent à
aider d’autres mouvements de libération
nationale ». Il lui ouvre « les contacts
avec tous les autres mouvements de
nationaux de libération, ceux des
colonies africaines, l’Union des
populations du Cameroun, les mouvements
des colonies portugaises, le
CNOCP, (Comité de coordination des
organisations nationalistes des colonies
portugaises présidé
par Aquino de Braganca, Amilcar
Cabral qui passait régulièrement…. Rabat
était un pays pourri mais qui était
obligé quand même de donner le change et
d’accueillir quelques mouvements de
libération. Ce qui préfigure
ce qui se fera
plus tard en Algérie indépendante
à une échelle plus large. Il y
avait aussi l’ANC d’Afrique du Sud, le
Sawaba du Niger … Et puis c’est
l’indépendance de l’Algérie. Jean Tabet
est sur les lieux, de la fête
algérienne : « « J’ai un souvenir
extraordinaire de cette période. J’ai
l’impression, je me trompe peut-être
mais quand je vois les images et les
joies de la Libération de la France,
j’ai l’impression de joie de ce type.
C'est-à-dire un peuple cherchant à se
faire lui-même pour la première
fois ».C’était à la suite d’une autre
rencontre capitale : Henri Curiel. « Je
rencontre enfin
Henri
qui sort de prison ; C’est le
choc, je comprends que ce qui chez moi
était
spontané, un peu fou, est chez
lui argumenté, ossaturé, théorisé. Il me
touche énormément avec sa façon de
mettre en valeur ses interlocuteurs, sa
simplicité, son immense rayonnement
humain. J’avais l’impression de ne rien
pouvoir lui refuser. . C’est ainsi que
je me retrouve à Alger
avec
Didar
dirigeant
un groupe de l’organisation
Solidarité en Algérie. Les liens vont
s’étendre avec Saint-Domingue, le
Venezuela, Cuba.
».Jean Tabet sera instituteur à
mi-temps à la Casbah pour rester immergé
dans le peuple tandis que
Didar Fawzy (elle aussi
aujourd’hui décédée) s’occupera surtout
des chantiers volontaires. D’autres
fronts de la solidarité
sont ouverts. Les Palestiniens
pour lesquels un autre ami emblématique
de Jean Tabet tombera : l’Algérien
Mohamed Boudia victime d’un attentat.
Henri Curel également. Des assassinats
politiques dont Jean Tabet ne doute pas
de la signature et de préciser : « Il
faut savoir qu’en cette période là,
plein de leaders progressistes ont été
assassinés par l’impérialisme soit
américain soit français. Ce sont les
leaders de l’union des populations du
Cameroun, tel Félix Moumié ;
Amilcar Cabral de Guinée-Bissau,
de Lumumba au Congo…C’était une
politique radicale pour éliminer les
leaders importants ».
Jean Tabet est resté un militant
infatigable : la
montée du Front national et de
l'idéologie d'extrême droite en
France
le conduit
à lever haut le drapeau du nouvel
antifascisme
en lançant, avec
sa
compagne, Simone Roche comme
coordinatrice,
le Salon du livre antifasciste de
Gardanne
et de Martigues. Documentaliste
de profession, Jean Tabet
avait appelé à « engager les
professions du livre dans un combat pour
la liberté » afin
"d'éclairer sans brûler".
Au plus dur de « la décennie
rouge », il ne manqua pas
d’apporter
de nouveaux témoignages de
solidarité aux Algériens victimes d’un
intégrisme mortifère. Il était
ces derniers temps en solidarité
avec les Tunisiens.
Sur la crise économique
internationale,
il avait eu des mots
prémonitoires : « la
mondialisation »
i met « en concurrence les
travailleurs, les nations en même temps
qu’elle déclenche des crises
identitaires, des crises de
l’Etat-nation, elle oblige à constater
qu’avec le néolibéralisme, ses
mouvements de
capitaux, son économie mafieuse,
elle laisse près de 2 milliards de
personnes en situation de pauvreté
absolue, elle provoque des séries de
conflits dont certains vont jusqu’au
génocide, en deux mots, elle installe un
monde apartheid, un monde barbare ».On a
conscience que sur le papier on
répercute faiblement la parole de Jean
Tabet. Sa voix a la force de ceux qui
ont des convictions indestructibles, qui
traversent
les
épreuves en
gardant
confiance
dans un avenir des hommes toujours
meilleur. Il parlait
sans
grandiloquence.
Jean Tabet
aimait à citer ce vers d’
Hölderlin : «
Là où croît le danger, croît
aussi ce qui sauve ». Ces derniers mois,
il livra
un autre combat, plus personnel
et peut-être non moins périlleux. Le
cancer. Fatal. Durant trois ans, il
avait refusé de faire le film avec la
réalisatrice Rina Sherman.
La gravité de son état
avait
fini lui faire
accepter
le projet. « Jean Tabet : Une lueur
d’espoir », tel est le titre du film qui
devient, après sa disparition, davantage
incontournable. Film
longtemps
attendu,
conduit avec tact et chaleur où il se
livre
sans fard et sans emphase. Un moment de
vérité. Sur l’histoire d’un engagement
anti-colonial et son prolongement et sur
la personne. Moment d’émotion
quand Jean Tabet, dans une rare
digression, évoque
d’un
mot
la lumière, la luminosité d’un
ciel maghrébin. Quelle nostalgie et
quelle tendresse dans la voix de ce
«
révolutionnaire professionnel », comme
on n’en fait plus, ce « communiste à
part »…Adieu Jean Tabet. Merci, Jean !
A.K.
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