Syrie
Allocution d’un prêtre de Syrie
Elias Zahlaoui devant le Parlement
Européen
Dimanche 17 décembre 2017
Allocution d’un prêtre de Syrie Elias
Zahlaoui devant le Parlement Européen
6/12/2017
Mesdames, Messieurs,
La crise Syrienne a
soulevé, soulève et soulèvera des
questions, pour le moins gênantes.
Questions, en premier lieu sur la
légitimité de cette guerre universelle
contre la Syrie.
Questions aussi sur les enjeux
politiques et économiques, apparents ou
cachés, de cette guerre.
Questions enfin sur les issues possibles
et à venir, aux plans tant régional que
mondial, de cette guerre.
Pour ma part, prêtre arabe catholique,
descendant de la toute première
communauté chrétienne de Syrie, j’ai
jugé de mon devoir de syrien et de
citoyen du monde à la fois, de vous
proposer mon approche personnelle de
l’une des raisons profondes de la
résistance absolument inattendue, que la
Syrie a opposée à cette guerre.
D’ailleurs, vous le savez tous, c’est
cette résistance même qui lui a valu,
entre autres, l’appui inconditionnel
d’alliés comme la Russie et l’Iran, qui
se savaient menacés du même sort, si la
Syrie venait à tomber.
Tout au long de sept ans bientôt, nuit
et jour, vos tout puissants médias, vous
ont asséné des ʺcertitudesʺ
indiscutables, entre autres, celle d’une
guerre civile en Syrie, et celle d’un
régime de dictature, qui massacre
impunément son propre peuple.
Tout cela, Mesdames, Messieurs, ne vous
rappelle-t-il pas, les scenarios
utilisés pour la destruction de l’Irak,
puis de la Lybie ?
Une levée chevaleresque de tout
l’Occident, conduite au sein des
Nations-Unies, par les États-Unis, a
valu à la Syrie une déclaration de
guerre, de la part de (140) pays - pas
plus ! - ainsi qu’un embargo militaire,
économique et financier, sans précédent.
Cependant devant l’échec de la mise en
application du célèbre droit
d’ingérence, prétendument humanitaire,
dont le mérite d’invention revient à Mr
Bernard KOUCHNER, des centaines de
milliers de soi-disant ʺDjihadistesʺ
musulmans, furent, par, qui vous savez,
levés à travers une centaine de pays,
dont des pays européens et américains,
embrigadés, armés, entraînés, payés,
enfin téléguidés, voire commandés par
des spécialistes des réseaux des plus
puissants services secrets, pour être
envoyés par vagues successives, à
longueur d’années, en Syrie, pour y
promouvoir, disait-on, la démocratie, et
sauvegarder les droits de l’homme.
Le bilan de cette malheureuse aventure,
sur le plan strictement humain, le voici
en gros, d’après les évaluations des
Nations-Unies :
-
Sur une
population de 24.000.000
d’habitants, 12.000.000 d’errants
sur les routes, soit à l’intérieur
du pays, soit ailleurs au niveau du
monde entier, voire sur mer…
-
400.000 morts,
abstraction faite de toute
appartenance religieuse, de toute
condition et de tout âge…
-
Des centaines
de milliers d’handicapés…
-
Des dizaines de
milliers de disparus…
Et pourtant l’État
syrien a tenu, son Président a tenu, son
armée a tenu, sa population a tenu, ses
institutions gouvernementales de tous
ordres ont tenu, son corps diplomatique
a tenu, ses Instances universitaires et
scolaires, tant gouvernementales que
privées, ont tenu, tous les
fonctionnaires d’État, en poste ou en
retraite, même ceux des zones assiégées
par les ʺDjihadistesʺ d’Alkaïda, Al-Nousra,
Daëch et consorts, ont été et sont
jusqu’à ce jour, régulièrement payés…
Devant cet état de fait, absolument
incontournable, l’un de vos meilleurs
connaisseurs de la crise syrienne, le
français Michel RAIMBAUD, a osé écrire,
il y a un mois, que tout cela frôle le
miracle…
Miracle ou pas, avouons que cette
résistance inattendue de la Syrie, a
déjà provoqué bien des interrogations,
et ébranlé bien des certitudes
ʺpolitiquement correctesʺ…
Pour tout dire, cette résistance exige
sans retard, des efforts honnêtes de
recherche tenace et courageuse, loin de
tout calcul mesquin ou chauvin. Car il
s’agit pour vous tous de comprendre le
secret de ce terreau strictement humain,
de la Syrie profonde, qui seul explique
ce qui vous paraît inexplicable dans
cette résistance même.
D’ailleurs sans cette urgence, je vous
avoue que je ne me serais jamais permis
de venir ici, tant ma méfiance à l’égard
de tout l’Occident, Société et Église à
la fois, est grande.
En fait, il s’agit pour nous tous,
habitants de cette splendide planète,
d’une leçon urgente et capitale à tirer,
avant qu’il ne soit trop tard.
Que cette assertion vous étonne ou vous
indigne, je me dois de vous dire, en
prêtre qui vit en une société arabe à
majorité musulmane, et qui croit bien
connaître les musulmans et leur
histoire, que vous avez, vous-mêmes
occidentaux, consciemment ou
inconsciemment, créé de toutes pièces,
en Occident, deux mondes musulmans, qui
n’ont, en fait, rien à voir avec
l’Islam.
Le premier de ces deux mondes, concerne
les innombrables agglomérations
musulmanes qui parsèment aujourd’hui
tout l’Occident. Ces agglomérations,
vous vous en êtes servis pendant des
décades, pour faire les travaux que vos
concitoyens répugnaient à faire. Or leur
grande majorité vit jusqu’à ce jour,
marginalisée au sein de vos sociétés, et
écrasée par un sentiment d’infériorité,
qui risque de se transformer subitement
en un ressentiment explosif et ravageur.
Vous en avez déjà eu des preuves
inquiétantes.
Le second de ces deux mondes, concerne
les innombrables groupes de ʺDjihadistesʺ,
que vous avez cru pouvoir créer et
utiliser, pour détruire ʺles autresʺ,
tout en vous croyant à l’abri de toute
surprise désagréable, en misant
uniquement sur ce que vous croyez être,
vos tout-puissants réseaux de défense.
Or vous avez tous vite déchanté.
Mais quel est donc l’Islam, me
diriez-vous ?
Mesdames,
Messieurs,
Ici, permettez-moi de vous inviter à une
lecture objective de l’histoire des
premières conquêtes musulmanes :
Damas, en 635
Jérusalem, en 638
L’Égypte, en 641
L’Andalousie, en 711
En toutes ces conquêtes sans exception,
les musulmans ont eu le génie d’inventer
un style de vie avec les habitants
chrétiens des pays conquis, qu’aucun
envahisseur n’a jamais connu, ni avant
ni après l’apparition de l’Islam. Et ce
style nouveau a produit une convivialité
faite de collaboration réelle avec les
habitants, dans le respect de leurs
églises, couvents, habitations,
propriétés, activités, et tout cela en
échange d’un tribut qui s’avérait
inférieur au tribut que les byzantins
chrétiens leur avaient imposé, sans
parler des exactions et violences de
toutes sortes que les byzantins
ʺorthodoxesʺ imposaient régulièrement
aux habitants ʺnon orthodoxesʺ de ces
pays, qui finirent par voir dans
l’envahisseur arabe et non chrétien, un
libérateur !
Je m’en voudrais de ne pas souligner que
cette convivialité étonnante a surtout
permis à tous les habitants de ces pays
conquis, tant musulmans que chrétiens et
juifs, de vivre ensemble, de travailler
ensemble, voire de collaborer au plus
haut niveau de l’administration du
Khalifat.
Cette convivialité s’est approfondie et
enrichie au cours des siècles, au point
d’avoir fait de certains penseurs arabes
chrétiens du 19e siècle, les créateurs
de l’arabisme, et de nombre d’entre eux,
au 20e siècle, les fondateurs et leaders
de puissants partis politiques arabes,
en Égypte, en Syrie, au Liban et en
Palestine.
Or c’est cette convivialité même qui
constitue le fond du tissu solide de la
société syrienne, et qui explique l’une
des raisons profondes de sa résistance
au cours des siècles en dépit de tous
les bouleversements que cette société a
connus jusqu’à ce jour.
Une tornade si violente et si longue
fût-elle, ne peut venir à bout d’une
forêt d’une vie commune qui a mis 1.400
ans à enfoncer ses racines dans une
bonne terre. Telle est la Syrie
d’aujourd’hui.
D’ailleurs, si l’Islam avait été
l’espace d’un jour, à l’image de vos ʺDjihadistesʺ
d’aujourd’hui, aucun chrétien n’aurait
survécu aux invasions musulmanes
connues.
Si devant de telles assertions, vous
avez l’ombre d’un doute, permettez-moi
de vous renvoyer aux seuls historiens
juifs, et même israéliens. Je ne vous en
citerai que trois de nos contemporains :
le premier, un israélien, Aba EBAN, dans
son livre ʺMon Peupleʺ, le second, un
français, et c’est le rabbin Josy
EISENBERG, dans son livre ʺUne histoire
des juifsʺ, le troisième, un américain,
Abraham LEON ZACHAR, dans son livre
monumental ʺHistoire des juifsʺ.
Oui, mes amis,
l’Occident aujourd’hui a beaucoup à
apprendre de l’Islam même conquérant,
pour se sauver de l’Islam qu’il s’est
créé, d’abord en son sein, ensuite au
niveau du monde.
L’histoire apprend à qui veut
l’entendre, que c’est au faîte de son
pouvoir, que l’on reconnaît la valeur
réelle d’une personne, d’une société,
d’un peuple, d’une religion.
Serait-ce donc si blessant de dire que
l’Islam, au faîte de son pouvoir, a en
ses croyants, réussi au cours de
l’histoire, là même où le christianisme
a lamentablement échoué en ses croyants
?
Tout cela,
Mesdames, Messieurs, croyez-moi, vous
concerne au plus haut point. Car il
s’agit, me semble-t-il, de l’avenir non
de l’Occident seul, mais du monde
entier.
Mes amis,
L’Occident aujourd’hui, tout l’Occident
sans exception, si puissant soit-il, a
le plus haut intérêt à revoir rapidement
toutes ses politiques, à l’intérieur de
ses frontières, et au-delà au niveau du
monde entier.
Oui je dis bien
aujourd’hui, et pas demain. Car demain
comme beaucoup le craignent, se prépare
dans une arrogance aveugle, un
cataclysme mondial auprès duquel la
seconde guerre mondiale paraîtrait comme
un jeu d’enfant.
Mesdames,
Messieurs,
Pour finir, laissez-moi vous raconter un
fait récent, hautement significatif,
survenu le 27 septembre 2001.
En ce jour, était organisé pour la
première fois à Damas, un concert commun
de chants religieux, entre une chorale
d’église que j’avais fondée en 1977, et
la troupe de chanteurs musulmans, de la
célèbre mosquée des Omeyades.
Ce concert avait lieu sur le parvis de
la Cathédrale Grecque Catholique de
Damas.
Une foule impressionnante y assistait,
dont des évêques, des prêtres et des
ulémas musulmans.
Entre autres invités de marque, il y
avait la Troïka européenne, présidée par
Mr Xavier SOLANA.Mr Louis MICHEL, alors
ministre belge des affaires étrangères,
en faisait partie.
Cette délégation était accompagnée d’un
reporter de la TV belge, un certain
Joseph MARTIN.
La Troïka européenne assista au concert
l’espace de vingt minutes seulement,
pressée qu’elle était par d’autres
engagements.
Or au moment où elle quittait le parvis
de la Cathédrale, Mr Joseph MARTIN
faisait son reportage devant le
cameraman de la TV belge. Je l’ai bien
écouté. J’ai donc gardé de son
reportage, ce mot bien ancré dans ma
mémoire. Je vous prie de bien l’écouter
:
« Mr BERLUSCONI, au lieu d’insulter
le monde arabe et de mépriser la
civilisation musulmane, aurait dû venir
ici, pour combler son ignorance ».
Mesdames,
Messieurs,
Merci.
Le
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