En direct de Gaza
À Gaza, nous sommes
passés d'une prison ouverte
à une prison
fermée
Ziad Medoukh
Dimanche 5 avril 2020
https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/gaza-nous-sommes-passes-dune-prison-ouverte-une-prison-fermee
Après la découverte
la semaine dernière, de douze cas
infectés par le Coronavirus dans la
bande de Gaza, cinq Palestiniens qui
rentraient de l'extérieur, et sept
policiers qui protégeaient
le centre d'isolement où se
trouvaient les premiers infectés,
et même si leur état est stable,
qu'ils n'ont pas quitté le centre de
quarantaine situé au passage de Rafah,
et qu'ils n'avaient aucun contact avec
personne de l'extérieur, les mesures de
précaution et de prévention ont été
renforcées afin d'empêcher la
propagation du virus, et éviter surtout
un désastre possible d'une épidémie de
Covid-19 dans cette région sous blocus,
très peuplée et très pauvre.
Les autorités de
Gaza sont passées à la phase 2, avec de
nouvelles instructions préventives.
Les marchés
publics, les mosquées, les églises, les
cafés, les restaurants, et tous les
lieux publics sont fermés. Aucun
rassemblement n'est autorisé, et les
déplacements sont limités. Il est
strictement interdit de sortir de chez
soi après 22h sauf pour les cas
humanitaires et urgents.
Les fêtes de
mariage dans les rues et dans les salles
sont annulées, et les maisons de deuil
ne sont plus autorisées.
De nouvelles
habitudes pour les familles nombreuses
et solidaires dans cette région isolée,
comme l'absence de visites familiales,
et l'interdiction des rassemblements
populaires et de voisinage qui étaient
un élément essentiel pour les habitants
en temps normal.
Même les enfants de
Gaza, qui sont privés de tout en
général- centres de loisirs, stades et
clubs détruits par l'aviation militaire
israélienne- n'ont pas actuellement le
droit de jouer devant leurs maisons et
immeubles, le seul endroit possible pour
pratiquer leurs loisirs - même avec des
masques.
Un double
confinement pour une population enfermée
et souffrante depuis plus d'une
décennie.
Le télétravail est
désormais encouragé, et les
fonctionnaires se rendent sur leurs
lieux de leur travail deux jours par
semaine.
L'enseignement en
ligne et à distance pour les élèves et
les étudiants a été favorisé, même si
cette option n'est pas toujours évidente
avec les longues coupures d'électricité
et la mauvaise connexion à internet dans
cette région en souffrance permanente.
Toute la famille utilise internet, que
ce soit pour le travail, les études ou
les informations, saturation totale.
Heureusement, dans
la bande de Gaza, personne ne dort dans
la rue. Il existe un seul et unique
centre pour les personnes âgées,
accueillant 25 patients. Malgré une
situation économique catastrophique, et
grâce à la solidarité entre les gens, le
pire a été évité.
Avec ces nouvelles
mesures et ces nouvelles contraintes, la
population de Gaza est confinée chez
elle. Les Gazaouis sont passés d'une
prison à ciel ouvert à une prison
fermée.
Cette situation
d'enfermement pour les deux millions de
Palestiniens de Gaza n'est pas nouvelle,
ni étrange. Ils vivent déjà sous blocus
israélien depuis plus de quatorze ans,
ils ont l'interdiction de sortir de leur
territoire par ordre militaire
israélien.
Cependant, la
population de Gaza est confiante, elle
vit au jour au jour, elle est habituée à
cette situation d'isolement et de
confinement.
En 1991, lors de la
première guerre du Golfe, un couvre-feu
de trois mois avait été imposé à tous
les Palestiniens de Gaza par l'armée
israélienne, qui contrôlait la bande de
Gaza à cette époque.
A l’été 2014,
pendant les 51 jours de l'offensive
militaire israélienne contre la bande de
Gaza - la troisième en cinq ans -, les
Palestiniens de Gaza avaient été obligés
de rester enfermés chez eux, même sous
les bombes de l'occupant.
Malgré tous les
efforts nationaux et internationaux
déployés et malgré toutes les mesures
prises contre la propagation du
Coronavirus, la population est inquiète
dans le contexte particulier qui est le
sien, marqué par une crise sanitaire et
économique sans précédent.
Les Gazaouis
craignent le pire. Ils savent que leur
situation est problématique et
extrêmement préoccupante en raison de la
très forte densité de population- plus
de 5452 habitants par km2-, et des
habitations qui se côtoient, en
particulier dans les camps de réfugiés.
Il est vrai que
l'Autorité Palestinienne à Ramallah, a
envoyé des médicaments, notamment des
antibiotiques à Gaza, que l'Organisation
Mondiale de la Santé -OMS- a fait don de
1000 kits de dépistage et que le Qatar a
versé 150 millions de dollars au
gouvernement de Gaza pour aider à faire
face à cette pandémie, ainsi qu'à la
situation économique dévastatrice dans
l'enclave palestinienne.
Mais tout cela est
insuffisant dans cette région densément
peuplée et qui souffre depuis plus d'une
décennie, avec un système de santé
défaillant, le manque d'infrastructures
médicales, et une vraie crise sanitaire
à cause du blocus israélien et de ses
conséquences dramatiques dans tous les
domaines.
La bande de Gaza
possède uniquement 55 lits en soins
intensifs, et 50 appareils de
réanimation dans tous les hôpitaux de
cette région encerclée, car les forces
d'occupation israéliennes refusent
l'entrée du matériel médical, et les
pièces de recharge pour ces appareils,
sans oublier le manque de personnels
soignants; s'ajoutent à cela, les
coupures permanentes d'électricité et
l'eau potable contaminée et impropre à
la consommation humaine.
2000 personnes
récemment revenues à Gaza depuis
l’Égypte sont toujours dans les 23
espaces de quarantaine et d'isolement
dans les écoles et les hôtels, faute de
centres médicaux équipés et adaptés.
La situation
humanitaire est catastrophique, le
niveau de vie se détériore, et la
situation économique se dégrade, le taux
de chômage dépasse 67% de la population
civile, plus de deux tiers des ménages
souffrent d'insécurité alimentaire, 72%
de la population de Gaza vit en dessous
du seuil de pauvreté, et 75% des
Palestiniens de Gaza dépendent d'aides
alimentaires pour survivre.
Jusqu'à présent, et
malgré l'ouverture partielle du seul
passage commercial qui relie la bande de
Gaza à l'extérieur pour l'acheminement
des produits alimentaires et sanitaires,
des carburants et de fiole et ce en
quantité limitée, les autorités
israéliennes maintiennent le blocus
imposé depuis plus de quatorze ans. Il
n’y a aucune réaction positive de leur
part, ni volonté de coopérer, elles
laissent entrer ces produits sous la
pression des organisations
internationales humanitaires et
sanitaires, sans prendre en
considération le danger de progression
de ce virus qui n'a pas de frontières.
Au contraire,
l'armée israélienne a bombardé le nord
de la bande de Gaza vendredi dernier en
pleine crise sanitaire qui touche le
monde entier et non seulement la région.
Un bombardement pendant le confinement
qui montre une fois de plus que rien ne
les arrête ces agresseurs, et que même
pendant la pandémie, les crimes
israéliens continuent, et que le monde
officiel continue à se taire sur la
poursuite de ces attaques israéliennes
et sur le blocus de Gaza.
En Cisjordanie, une
telle coopération existe entre
Palestiniens et Israéliens, car les
contacts sont quotidiens entre les deux
côtés, notamment du fait que les
travailleurs palestiniens qui
travaillent dans les champs et les
usines. Il en est de même pour les
services sanitaires des deux côtés. Mais
à Gaza, la population est laissée à son
sort par l'occupation et par une
communauté internationale officielle
complice.
Face à cette
situation désastreuse, et malgré les
craintes, la population de Gaza demeure
confiante. Pas de panique pour le
moment, pas de pénurie et de manque de
produits nécessaires sur les marchés de
Gaza, pas d'afflux de citoyens dans les
grandes surfaces et les supermarchés.
Habitués à ce type de crise, les
habitants ne stockent pas les produits
chez eux.
La solidarité se
renforce et s'active face à ce double
blocage ; beaucoup de commerçants, de
magasins et de boulangeries baissent les
prix de leurs produits en solidarité
avec les plus démunis. Des supermarchés
proposent l'acheminement des achats
gratuitement chez les habitants confinés
chez eux.
La population
civile s'organise également, avec des
campagnes officielles et citoyennes de
sensibilisation à l'épidémie, et des
initiatives, de la part des jeunes
notamment, pour informer sur les
conséquences graves de ce virus. On voit
aussi la distribution de masques, de
savon et de produits de désinfection, la
stérilisation quotidienne des rues,
hôpitaux, marchés, et lieux de travail,
mais aussi la distribution de colis
alimentaires et sanitaires et de repas
aux familles pauvres directement chez
elles à cause du confinement.
Un aspect un peu
particulier chez les habitants de Gaza :
ils sont en train de suivre avec
beaucoup d'attention l'évolution de
cette épidémie mortelle dans le monde
entier. Alors qu'ils sont solidaires des
peuples endeuillés, ils se disent que
pour la première fois, la planète
entière, quasiment, est en train de
vivre le confinement et l'isolement dont
ils souffrent depuis longtemps, et que
le monde vit sur un pied d'égalité, même
si les conditions sont différentes. Oui,
le sentiment d'enfermement est terrible
! Les habitants de Gaza le savent bien !
A cause de cette
situation exceptionnelle dans cette
prison à ciel ouvert, , les Palestiniens
de Gaza ont été obligé d' annuler leurs
actions et manifestations pacifiques à
la frontière, comme la commémoration du
44 ème anniversaire de la journée de la
terre, le 30 mars 2020, et la
célébration du deuxième anniversaire de
la Grande marche du retour la même date.
Ils ont pris une pause dans leur
mobilisation contre l'occupation et
contre le blocus imposé. Même les
factions de Gaza n'ont pas riposté aux
derniers bombardements israéliens contre
le nord de la bande de Gaza vendredi
dernier.
En général, les
Palestiniens de Gaza appliquent à la
lettre les consignes données par les
autorités sanitaires. Ils suivent les
précautions préventives et les
instructions demandées. Ils tiennent
bon, ils s'adaptent à ce nouveau
blocage, mais surtout ils attendent. Ils
réclament la levée de ce blocus
israélien inhumain, la réconciliation
palestinienne, et espèrent un vrai
changement à la fin de cette nouvelle
épreuve.
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