Le premier anniversaire des Gilets
jaunes a été mouvementé. Alors que des
groupes de casseurs ont semé le chaos à
Paris le 16 novembre, de nombreux Gilets
jaunes ont manifesté dans un calme
relatif le lendemain. L’écrivain
Philippe Pascot, soutien du mouvement,
s’en prend aux autorités et dénonce des
débordements orchestrés.
La place d’Italie à
Paris noyée sous les fumées et les gaz
lacrymogènes. Voitures renversées,
incendiées, poubelles brûlées et autres
abribus saccagés, le monument en hommage
au maréchal Juin vandalisé… En ce début
d’après-midi du 16 novembre, date qui
marquait le premier anniversaire des
Gilets jaunes, peu de jaune, mais
beaucoup de noir,
celui des casseurs qui ont mené de
violents affrontements contre les forces
de l’ordre.
Devant les
«violences et exactions», à 14 h 00, la
préfecture de Paris a décidé de tout
simplement annuler la manifestation, qui
devait partir de la place d’Italie à cet
instant précis. Selon Didier Lallement,
le Préfet de Paris, qui s’est confié à
la presse, elle «rassemblait des
individus qui ne défendaient pas une
cause, mais procédaient à des
destructions» et «à des attaques
systématiques contre les forces de
sécurité et contre les pompiers».
Certains des
(vrais) Gilets jaunes présents ne
cachaient pas leur colère, comme
Catherine Van Puymbroeck, 49 ans, venue
avec son fils d’Eure-et-Loir pour la
première fois:
«C’est pitoyable,
c’est minable que la manifestation ait
été interdite. Manifester, c’est un
droit et on me le refuse. La colère est
provoquée par l’État», a-t-elle confié à
l’AFP.
Dans le chaos,
plusieurs personnes ont été blessées,
dont un journaliste indépendant,
victime d’une grenade qui l’a atteint au
niveau du visage et un blessé à l’œil,
deux selon certaines sources.
La stratégie de
maintien de l’ordre choisie par le
préfet de Paris est très critiquée.
C’est lui qui a voulu que le départ de
la manifestation des Gilets jaunes soit
place d’Italie, une zone en travaux qui
contient du matériel de chantier, qui
sert habituellement de projectiles aux
casseurs qui, une fois n’est pas
coutume, étaient là dès le matin.
La polémique enfle
également concernant une vidéo du média
Maroc Online montrant «nettement deux
personnes encadrer un troisième homme,
tous habillés de noirs et rentrer
derrière le cordon de CRS qui les laisse
passer en répétant: “C’est la BAC, c’est
la BAC”»,
comme le note CheckNews de
Libération. De quoi alimenter les
accusations
concernant des policiers infiltrés au
sein des casseurs, même s’il est
fréquent que des membres de la BAC,
après avoir interpellé un suspect en
«saute-dessus», aillent lui passer les
menottes derrière un cordon de CRS.
Les violences à
Paris se sont poursuivies jusque dans la
soirée, notamment dans le quartier très
fréquenté des Halles. «Les dégradations
et violences commises en marge des
manifestations appellent des
condamnations fermes et unanimes», a
notamment tweeté le ministre de
l’Intérieur, Christophe Castaner.
Le 17 novembre,
l’ambiance était tout autre et le jaune
de retour sur les ronds-points et dans
les rues de France. De nombreux Gilets
jaunes ont manifesté, globalement dans
le calme. Selon «Le nombre jaune», le
compteur de manifestants du mouvement,
ce week-end d’Acte 53 aura rassemblé
61.957 participants. Les manifestations
ont rassemblé 28.000 personnes dans
toute la France le 16 novembre selon le
ministère de l’Intérieur.
L’écrivain Philippe
Pascot, fervent soutien des Gilets
jaunes, assure que les autorités ont
tout fait pour que la situation déborde
le 16 novembre à Paris. Il appelle
dorénavant à une mobilisation de masse
le 5 décembre. Il s’est confié à Sputnik
France.
Sputnik France:
Comment analysez-vous ce qu’il s’est
passé place d’Italie?
Philippe Pascot:
«Tout cela était voulu par le
gouvernement uniquement pour casser
l’anniversaire des Gilets jaunes.
J’étais présent sur place. Nous avons
été coincés, gazés et parqués.
Honnêtement, cela pourrait rappeler à
des égards les heures les plus sombres
de 1939-45, tellement c’était violent.
Il y avait des enfants, des vieillards…
Les forces de l’ordre laissaient rentrer
sur la place, mais empêchaient de
sortir. Nous avons d’ailleurs vu des
trucs totalement fous. De mes propres
yeux, j’ai vu les CRS mettre un individu
à l’écart, le fouiller et trouver dans
son sac une énorme clef à molette.
Normalement cette personne aurait dû
être embarquée, mais bizarrement a été
laissée libre. Des Gilets jaunes ont
pris 135 euros d’amende, car ils avaient
un gilet dans la poche. Et ce type
équipé d’une clef à molette de 40 cm est
laissé libre? C’est bizarre…»
Sputnik France:
Pensez-vous, comme certains
observateurs, que le préfet Didier
Lallement a sciemment organisé cette
journée de manière à ce que cela se
termine mal?
Philippe Pascot:
«Je ne le pense pas, j’en suis sûr. à
14 h 00, il déclare que la manifestation
est interdite, alors que tout était
prêt. Au lieu de cela, nous avons été
parqués pendant des heures au milieu des
gaz lacrymogènes. On ne voyait plus rien
à deux mètres, par moments. Mon épouse
en a encore mal au crâne. Qu’ont-ils mis
dans ces gaz pour qu’ils piquent autant
la gorge? Je n’ai jamais vu ça et j’ai
fait Mai 68 lorsque j’étais encore un
jeune adolescent. Ce qu’il s’est passé
est une honte pour ce gouvernement et
une honte pour la démocratie. C’est même
un déni de démocratie.»
Sputnik France:
Une image a beaucoup fait parler d’elle.
Ce même préfet Didier Lallement,
interpellé par une Gilet jaune, lui a
rétorqué,
«nous ne sommes pas dans le même camp,
Madame». La fracture sociale semble
profonde en France…
Philippe Pascot:
«C’est pire qu’une fracture. C’est la
preuve qu’il existe aujourd’hui deux
sociétés. Ces images montrent que ce
Monsieur a dépassé son rôle de
fonctionnaire et qu’il est de
parti-pris. Est-ce que c’est cela, un
fonctionnaire? N’est-il pas censé servir
l’État? Aujourd’hui, il sert une
dictature qui se met en place.»
Sputnik France:
Pensez-vous comme François Boulo –avocat
et porte-parole des Gilets jaunes à
Rouen– qu’aujourd’hui en France, l’État,
soutenu par le «bloc bourgeois»,
s’oppose au reste du pays?
Philippe Pascot:
«Je rejoins totalement ce que dit
François Boulo. D’un côté, nous avons le
bloc des profiteurs et de l’autre celui
des exploités, ceux que l’on peut
pressurer, ceux qui vont toucher une
retraite de misère, ceux qui ne vont
plus avoir de Sécurité sociale, ceux
dont le Code du travail est cassé, ceux
qui ne peuvent plus se soigner, car cela
coûte trop cher alors que l’hôpital
public est débordé. Vous rendez-vous
compte qu’aujourd’hui, presque
l’ensemble des corporations est en
souffrance, des pompiers aux infirmières
en passant par les urgentistes ou les
avocats? Tout le monde est dans la
merde! (sic) et en haut, ils ne le
voient pas? Ils préfèrent fermer les
yeux et être dans le déni ou le mépris?
Vous avez un Président qui, lorsqu’il se
déplace, fait appel à des figurants pour
donner une illusion de soutien. C’est
cela, représenter la France? C’est une
honte!»
Sputnik France:
La journée de samedi a surtout mis en
avant des casseurs quand celle du
lendemain a vu de nombreux Gilets jaunes
manifester dans un calme relatif à
travers le pays. Comment
l’expliquez-vous?
Philippe Pascot:
«Les citoyens Gilets jaunes sont des
gens pacifiques. Les casseurs ne sont
qu’une minorité manipulée. Ils ne
représentent rien. Les Gilets jaunes
sont composés de travailleurs,
d’assistantes sociales, d’infirmières,
etc. Ce n’est pas autre chose. Et c’est
précisément la raison pour laquelle le
gouvernement ne souhaite pas que les
manifestations se passent bien. Pourquoi
ne nous laissent-ils pas nous regrouper?
Pourquoi nous nasser à chaque fois afin
que l’on ne voie pas le nombre? Les
comptages officiels sont
systématiquement sous-estimés,
d’ailleurs.»
Sputnik France:
Dorénavant, tous les regards sont
tournés vers la journée de mobilisation
du 5 décembre, avec de nombreux appels à
la grève et un gouvernement qui craint
la convergence des luttes.
Qu’attendez-vous de ce 5 décembre?
Philippe Pascot:
«Les gens sont en souffrance et cette
souffrance, doublée du mépris des
puissants, entraîne la colère.
Concernant le 5 décembre, j’attends que
l’ensemble du peuple de France dise:
“Stop! Écoutez-nous. Arrêtez de laisser
les gens mourir!” Un gamin étudiant
s’est mis le feu, car il n’avait
plus de quoi vivre.
Une mère et sa petite fille sont mortes
de faim à Nîmes. C’est ça, la
société que l’on nous propose pour
demain? C’est celle que nous propose
Monsieur Macron. Et nous n’en voulons
pas. Nous voulons juste respirer, vivre,
remplir notre frigo après le 15 du mois
et ne pas passer notre vie à payer des
factures pendant que certains
s’engraissent sur notre dos. Ce n’est
pas compliqué, mais il est incapable de
l’entendre.»
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