A vouloir brosser
un tableau négatif de la Russie et de
Vladimir Poutine, la chaîne publique
s'est encore pris les pieds dans le
tapis. A en croire le journal télévisé,
on peut encore être condamné aux travaux
forcés, comme au temps du goulag.
A la suite d'un
sujet sur l'affaire
Asia Argento et les turpitudes
d'Hollywood, Julian Bugier enchaîne sur
le cas du réalisateur russo-ukrainien
Oleg Sentsov,
condamné en Russie en août 2015 à 20
ans de prison et qui observe une grève
de la faim depuis plus de 100 jours. Le
journaliste présentateur fait alors
l'affirmation suivante (lien
vers la vidéo, à 17 minutes et 40
secondes) : «A l'étranger encore, de
nouveaux appels en faveur de la
libération du cinéaste Oleg Sentsov, cet
opposant ukrainien qui a entamé une
grève de la faim depuis maintenant cent
jours. Il a été condamné à 20 ans de
travaux forcés pour avoir défié Vladimir
Poutine lors de la crise ukrainienne. Il
peut mourir à tout moment, disent ses
soutiens», affirme Julian Bugier. Avant
de laisser place à un sujet en images
illustré par le bandeau : «Le tragique
combat d'Oleg Sentsov».
« Pour avoir défié
Poutine»
La télévision
publique a-t-elle décidé de multiplier
les reportages à charge contre la
Russie, quitte à simplifier les faits
jusqu'à l'erreur ? Le sombre tableau
brossé par le média d'Etat français est
de nature à influencer le jugement de
millions de téléspectateurs qui
n'auraient pas d'autres sources
d'information, et pourtant il comporte
plusieurs erreurs.
Narration
simpliste, parti pris et erreurs
factuelles
En premier lieu,
Oleg Sentsov n'a pas été envoyé au bagne
pour avoir «défié Vladimir Poutine». A
cet égard, le sujet en image qui suit
l'introduction de Julian Bugier n'est
pas exempt non plus d'erreurs. La voix
off y explique que Oleg Sentsov a été
condamné pour «apologie du terrorisme».
Ce n'est pas le cas. Le 25 août 2015, la
cour pénale de la ville de
Rostov-sur-le-Don, dans le sud de la
Russie, l'a
reconnu coupable de «terrorisme» et
de «trafic d'armes». Le réalisateur a
été condamné pour avoir coordonné
l’action en 2014 d’un groupe
d’activistes liés au mouvement
paramilitaire néonazi ukrainien Secteur
Droit (Pravy Sektor), interdit en
Russie.
Dès le printemps
2014, le coup d'Etat en Ukraine en 2014
prend vite une tournure ethnique, le
nouveau pouvoir flirtant avec
l'extrême-droite nationaliste : il va
jusqu'à interdire l'usage de la langue
russe dans les médias. Historiquement
plus proche de la Russie, l'Est
russophone du pays s'oppose à cette
évolution et le conflit dégénère en
guerre civile.
Cette autre
histoire de l'Ukraine, qui s'apparente à
un nettoyage ethnique, semble bien loin
de celle de France 2 : un cinéaste
persécuté pour avoir «défié» le
président russe. Et voilà la chaîne
française – hasard des indignations à
géométrie variable – prenant tacitement
le parti de l'extrême-droite
néonazie ukrainienne.
« Condamné à 20 ans
de travaux forcés»
Autre erreur de
France 2 : le travail forcé n'existe
plus en Russie, comme d'ailleurs en
France, même si Julian Bugier convoque
l'image du goulag, propice à rappeler au
téléspectateur un univers carcéral
soviétique. La Fédération de Russie est
membre du Conseil de l’Europe depuis
1996 et a ratifié la Convention
européenne des Droits de l’homme, ce qui
rend impossible l'existence de bagnes.
Toutefois, en
Russie, les prisonniers – tous les
prisonniers – sont tenus de travailler
en prison. D'après sa sœur, Oleg Sentsov
aurait
refusé de se conformer à cette
exigence. Le travail en prison n'est
qu'un des outils de la réinsertion : les
détenus qui n'ont pas le bac sont
également tenus de le passer. Dans un
autre cadre, celui des peines de
substitution, il existe, comme en
France, des travaux d'intérêt général.
Pour autant, en France comme en Russie,
on ne saurait parler, malgré les
problèmes indéniables que posent trop
souvent les conditions de détention dans
les deux pays, de goulag. Ou de bagne de
Cayenne.
Mais dépeindre la
Russie comme un repoussoir, et alimenter
une campagne de dénigrement médiatique
massive, justifie apparemment pour
certains journalistes le recours à
quelques déformations...
Pourtant, dans une
interview accordée à Télé 7 jours
et rapportée le 2 juillet par le
magazine
Femme actuelle, Julian Bugier
semblait convaincu de sa mission.
«J'essaie de me poser les bonnes
questions et d'y apporter un éclairage,
de battre en brèche les idées reçues, la
bien-pensance», explique le journaliste
de 36 ans, passé par iTélé et BFMTV
avant d'être le joker de l'été du
20 heures de France 2. Et d'ajouter :
«Je n'aime pas ce manichéisme que l'on
retrouve chez certains confrères ou
éditorialistes.»
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