Témoignage
Le témoignage de la
compagne d'Adil Taychi,
mort d'un ulcère en prison
Observatoire
international des prisons - section
française
Adil Taychi, décédé en prison le
12 février 2016. © Baziz Chibane / La
Voix du Nord
Samedi 16 juillet 2016
Adil Taychi, détenu à
la prison de Sequedin, était en proie à
de vives douleurs depuis plusieurs mois
et ne parvenait plus à s’alimenter. Il a
perdu 23 kg. Malgré des demandes
insistantes, il n’a pu bénéficier à
temps de soins ni d’examens approfondis
pour déterminer la nature de son mal. Il
est décédé dans sa cellule le vendredi
12 février 2016 d’un ulcère perforé,
comme le révèlera l’autopsie.
La conjointe d'Adil Taychi,
Anne Guénantin, l’a accompagnée dans son
combat. Elle raconte son dernier
parloir.
Recueilli par Anne Chereul
« Il
est 16 h 30, le 10 février 2016, quand
j’arrive à la maison d’arrêt de Sequedin.
Comme tous les mercredis, je rends
visite à mon compagnon au parloir. Je
suis avec toutes les autres familles en
salle d’attente quand l’appel commence.
Celles qui auraient dû être placées
après moi sont appelées et on leur
attribue un boxe. Je demande au
surveillant si je n’ai pas été oubliée.
Il me dit non, que le chef du parloir
veut s’entretenir avec moi, qu’il faut
que je reste là. Alors j’attends. Tandis
que les familles sont installées au
parloir, je patiente toujours. Je
demande à ce qu’on reporte mon temps de
parloir : 45 minutes, c’est déjà peu,
mais si ça continue, il ne va me rester
que dix minutes avec Adil ! Le
surveillant reçoit un nouvel appel sur
son talkie : on lui demande enfin de me
placer.
J’entre dans la cabine face à la salle
d’attente. Adil arrive, je vois tout de
suite qu’il est faible et énervé. Il me
dit : « Ils veulent me rendre fou, ils
m’ont dit que tu n’étais pas là. » Il
savait très bien que c’était faux : on
s’était eu au téléphone à midi et je lui
avais confirmé ma présence. Il me dit
qu’il a insisté pour se rendre au
parloir malgré son état de faiblesse. Il
a demandé une chaise roulante, mais on
la lui a refusée. Il me rapporte que ce
sont finalement des détenus qui l’ont
aidé.
Il
s’assoit au sol parce que le froid le
soulage, je ne sais pas pourquoi. Il me
demande de lui faire un massage parce
qu’il a de très vives douleurs dans le
dos et dans le cœur. Je lui fais ce
massage quand toute une équipe de
surveillants arrive et lui demande de
s’assoir sur sa chaise sous prétexte que
ce n’est pas une tenue correcte dans un
parloir. Il se relève péniblement, je
l’aide à se rassoir.
Adil
commence à sangloter. Je ne l’avais
jamais vu comme ça. Il me dit : « Hier
soir, j’ai vu la mort mais j’ai voulu
venir à ce parloir parce que j’ai des
choses à te dire. » Il me demande pardon
pour m’avoir fait connaitre la prison et
pour tout ce que j’ai subi à cause de
ça. Il dit qu’il va mourir et me demande
de prévenir sa maman. Il veut qu’elle
demande un permis de visite pour qu'il
puisse lui dire au revoir.
« Il
me dit que l'administration le prend
pour un simulateur»
J’essaie de le rassurer comme je peux.
Je lui dis qu’avec son avocat, nous
allons tout faire pour le sortir de là,
pour qu’il soit soigné. Il me dit qu’il
n’y croit pas, que l’administration
pénitentiaire le prend pour un
simulateur, que le service médical lui
dit que c’est dans sa tête et lui a
prescrit des antidépresseurs! « Ils vont
me faire mourir et je ne veux pas
mourir. » Il me confie qu’il n’arrive
même plus à se déplacer jusqu’aux
toilettes, qu’il est « à bout de
force », qu’il « souffre », qu’il a eu
des malaises toute la semaine, qu’on
« ne veut pas le soigner », que
« personne ne le prend au sérieux ».
Ils
annoncent la fin du parloir. Adil se
lève. Il n’a même pas le temps
d’atteindre la porte qu’il tombe par
terre. Je le mets en position latérale
de sécurité. Je continue de lui parler
mais il ne répond pas. J’appelle le
surveillant via l’interphone. Il me dit
qu’il se charge de prévenir le chef des
parloirs. La main d’Adil devient de plus
en plus froide, du sang coule de sa
bouche.
La
porte de la cabine est ouverte, chaque
famille passe devant nous pour regagner
la salle d’attente. Je crie, pleure,
tape aux portes… J’appelle à l’aide par
tous les moyens. Les familles alertent
les surveillants du fait qu’« un détenu
est à terre et que ça ne va pas ». On
leur répond : « On sait, on n’est pas
pompier ». Les familles refusent alors
de regagner la salle d’attente. Comme je
ne vois toujours personne arriver,
j’appelle une seconde fois. On me dit
« oui c’est bon, le chef est averti »,
d’un ton agacé.
« Un
surveillant le titille du pied en lui
disant : "lève-toi!" »
Cinq
ou six surveillants finissent par
arriver. Ce sont les gradés. « Taychi
c’est bon maintenant il y en a marre, tu
te lèves », lancent-ils à l’adresse
d’Adil, qui ne réagit toujours pas.
Aucun surveillant ne s’abaisse pour
s’enquérir de son état, lui parler ou
prendre son pouls. L’un d’entre eux le
titille du bout du pied en lui disant
« lève-toi, lève-toi ». On me demande de
sortir du parloir, mais je refuse. La
chef me dit « si vous ne sortez pas on
ne fera rien pour lui ». Je demande à
Adil s’il préfère que je reste, il ne
répond pas. Je sors, les familles me
suivent et regagnent la salle d’attente.
Les surveillants ne ferment pas tout de
suite, je vois qu’ils continuent à le
secouer du pied. La porte vitrée se
referme. A travers le verre, je vois
qu’on le prend par le col de son pull et
qu’on le traîne par terre. C’est la
dernière image que j’ai de lui.
Les
familles protestent dans la salle
d’attente. On sort à 19h. Je dis au chef
des parloirs que je refuse de laisser
mourir Adil. Il me répond : « Taychi va
très bien ». Je proteste : il ne peut
même pas marcher ! « Taychi court même,
il va très bien », insiste-t-il encore.
Quand
je sors de la maison d’arrêt, je parle
de mes craintes pour Adil aux familles,
certains me disent de ne pas hésiter à
leur demander si j’ai besoin de
témoignages, mais j’entends sans
entendre. Je n’identifie pas ceux qui me
parlent. Je récupère mon téléphone et
laisse un message à l’avocat comme je
l’ai promis à Adil. Je pensais qu’il
avait plus de pouvoir que moi pour faire
bouger les choses. Il me dit qu’il va
faire le nécessaire et qu’il me rappelle
dès le lendemain matin.
J’appelle ensuite les pompiers, qui me
réorientent sur le Samu. Je leur fais
part de la situation. Ils me disent que
c’est grave mais qu’ils ne peuvent pas
intervenir comme ça. Ils me mettent en
attente et appellent la maison d’arrêt.
L’établissement pénitentiaire leur
aurait répondu qu’il y avait eu un
incident mais que leur intervention
n’était pas nécessaire.
Je
n’ai pas pu voir Adil le vendredi
suivant car mon permis de visite avait
été suspendu la veille. C’est vrai, je
me souviens avoir dit « bande de cons »
aux surveillants, au moment où Adil
était inconscient à terre. Mais il m’est
reproché d’avoir traité le lieutenant de
« sale pute ». Je ne m’en souviens
absolument pas. L’effet du stress ? J’ai
demandé aux familles, personne ne m’a
entendu dire cela… Peu importe
aujourd’hui, puisque je ne reverrai pas
Adil, ni ce jour-là ni jamais. Il est
décédé le vendredi 12 février 2016, à
23h, après avoir craché dès le matin
beaucoup de sang. Un décès « par
défaillance cardiaque sur complication
hémorragique d’un ulcère perforé évolué
et abouché au foie », selon les termes
de l’autopsie. Adil est mort en prison,
en France, au XXIe siècle,
d’un ulcère dont il souffrait
horriblement depuis des mois et qui
n’aura jamais été diagnostiqué ni
traité. Malgré ses demandes incessantes
auprès de l’administration pénitentiaire
et du service médical. »
Selon
le journal La Voix du Nord, une
information judiciaire a été ouverte par
le tribunal de grande instance de Lille.
Ses
codétenus se mobilisent
« La
vie d’un détenu n’a-t-elle pas la même
valeur que celle d’un citoyen libre ? »
C’est la question adressée par une
trentaine de détenus de la maison
d’arrêt de Lille-Sequedin à la
directrice de l’établissement, dans une
pétition du 14 février 2016. Dans cette
lettre écrite en réaction au décès
d’Adil Taychi, ils dénoncent la
« négligence » dont a fait preuve
l’équipe administrative en n’ayant pas
assuré, « en temps et en heure, le
minimum de soins » dont leur
« camarade » avait besoin. Soulignant
avoir « signalé à plusieurs reprises
l’urgence indéniable de sa situation »,
ils demandent à la direction une réponse
propre à « atténuer [leur] colère et
[leurs] angoisses », afin que « cela ne
se reproduise jamais ».
Cet
article est issu de la revue
trimestrielle Dedans-Dehors, éditée par
la section française de l'Observatoire
international des prisons. Pour le citer
: Observatoire international des prisons
- section française, "Le dernier parloir
d'Adil Taychi, décédé d'un ulcère en
prison", Dedans-Dehors, n°91, avril
2016, pp14-15.
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