BDS
Défier le racisme: le calvaire d’une
musicienne palestinienne à l’aéroport
Ben Gourion
Nai Barghouti
Nai Barghouti (collection de l’auteur)
Jeudi 17 janvier 2019
J’ai quitté le
domicile familial le lundi 7 janvier
2019 à 9h30 du matin afin d’être à
l’aéroport Ben Gourion, près de Tel Aviv,
à 10h30 pour prendre le vol de 12h45
pour Amsterdam, où je prépare ma licence
en musique. Avant de faire ma
valise, la veille au soir, j’ai fait une
liste de ce que je devais emporter pour
être sûre de ne rien oublier. J’ai
réussi à cocher tout ce qui était sur la
liste et à être à temps à l’aéroport.
Mais il y avait une chose que j’avais
oublié de noter… un détail très
important auquel j’ai simplement oublié
de penser…je suis Palestinienne !
Comme tous les
Palestiniens qui ont la citoyenneté
israélienne et qui vivent sous le régime
israélien d’apartheid, j’ai toujours un
mauvais sentiment en allant à l’aéroport
et cette fois n’a pas fait exception. Le
rhume que j’avais contracté la veille
n’a pas aidé non plus. Ma mère, qui m’a
conduite à l’aéroport, était vraiment
préoccupée par la présence d’un
checkpoint militaire sur la route, qui
pouvait me faire manquer l’avion, mais
on a eu de la « chance » cette fois-ci.
Une occupation
militaire coloniale qui vous brutalise
depuis tant d’années, peut réellement
ruiner vos espérances. Réussir à passer
un checkpoint militaire commence à vous
donner ce sentiment étrange de réussite.
Vos droits humains de base deviennent un
privilège plutôt que la norme et
deviennent la nouvelle norme.
Une des
caractéristiques les plus dangereuses
des régimes d’oppression coloniale est
qu’ils font en sorte d’occuper l’esprit
des opprimés et pas seulement leur
terre.
Nous sommes
arrivées à l’aéroport et j’essayais de
convaincre ma mère de ne pas attendre
que j’en aie fini avec le contrôle
déshumanisant de « sécurité », comme
elle le fait toujours. Alors que j’aime
toujours voir son visage à distance,
derrière l’épaisse vitre, faisant un
signe de la main rassurant, je déteste
vraiment la voir en colère mais
impuissante face aux agents racistes de
la sécurité d’Israël essayant de
m’humilier juste pour ce que je suis –
une Palestinienne. Je l’ai suppliée de
partir, mais elle a insisté : « Je ne
peux vraiment pas te laisser dans cet
endroit horrible. On ne sait jamais ce
qui va arriver ». Elle avait raison !
Mon nom arabe sur
mon passeport a immédiatement trahi mon
identité, une invite à leur traitement
« royal ». Lorsque l’officière de
sécurité m’a demandé si je parlais
hébreu et que j’ai dit non, elle a été
visiblement fâchée. Lorsqu’elle m’a
demandé ce que je faisais à Amsterdam et
que j’ai répondu que j’étudiais le jazz,
elle n’a pu contenir plus longtemps ses
ondes racistes. Comment pouvais-je aussi
brutalement démolir son stéréotype
sectaire des « femmes arabes » ? Elle
m’a dit que je devais passer par une
« fouille au corps » intrusive.
Je l’ai aussitôt
accusée de racisme, de profilage racial
et de vouloir se venger de moi pour ce
que je suis et ce que je fais. Elle a
hurlé en retour qu’elle faisait son
travail. Je lui ai rappelé que de
nombreux crimes innommables ont été
perpétrés dans l’histoire sous ce
prétexte immoral.
Elle a pris sa
revanche en prétendant que mon
ordinateur portable ne satisfaisait pas
au contrôle de sécurité et que donc je
ne pouvais le prendre dans l’avion.
Cela, en dépit du fait qu’elle m’avait
demandé de l’ouvrir et de l’allumer, ce
que j’avais fait sans problème. Elle me
dit qu’ils me l’enverraient pas la poste
à mon adresse d’Amsterdam. J’ai ri à son
effronterie et j’ai énergiquement
refusé. Je sais d’expérience, et de
celles d’autres Palestiniens, que
laisser son ordinateur aux mains des
services de sécurité de l’aéroport Ben
Gourion signifie qu’il sera
invariablement piraté, abîmé ou
« perdu ».
Je lui ai dit que
je ne pouvais pas voyager sans mon
ordinateur étant donné qu’il contient
toutes mes notes de musique et de cours
et que sans lui je ne peux assister à
aucun de mes cours.
Son superviseur a
soutenu sa décision vindicative, aussi
ai-je été contrainte de rater mon avion.
J’ai pris mon ordinateur et me suis
rendue là où ma mère attendait,
inquiète. Elle m’a accueillie en me
prenant dans se bras le plus tendrement
et en versant quelques larmes, puis elle
a dit : « Ne t’en fais pas, nous allons
trouver une solution. Je suis si fière
de toi !».
Le lendemain, elle
m’a conduite à la frontière terrestre
avec la Jordanie. Après une nuit
délicieuse en famille à Amman, à
profiter des célèbres tourtes
épinards-fromage blanc de ma
grand-tante, j’ai pris l’avion à
l’aéroport accueillant d’Amman et je
suis arrivée en toute sécurité à
Amsterdam, munie de mon ordinateur, en
toute dignité.
Aussi furieuse que
je sois à l’égard du sale racisme et de
l’esprit vengeur de l’agente de la
sécurité israélienne, j’ai ressenti un
peu de pitié pour elle. Malgré tous ses
efforts pour m’humilier, je continuerai
à résister à son racisme d’État et à
l’apartheid, grâce à ma musique et un
jour il se peut que j’apporte quelque
chose de marquant à la lutte de
libération de mon peuple. Quant à elle,
elle continuera à fouiller les
sous-vêtements des Palestiniens, à
mentir sur le fait que nos ordinateurs
ne satisfont pas aux contrôles de
sécurité, et à être un outil
insignifiant d’un système d’oppression
raciste.
Alors que je
m’apprêtais à quitter l’aéroport, j’ai
élevé la voix pour être sûre que mes
derniers mots atteignent autant de monde
que possible dans l’aéroport. « Vous
savez ce qui est tout près
d’Amsterdam ? La Haye. Un jour, vous et
vos dirigeants serez condamnés pour vos
crimes à la Cour Pénale
Internationale ».
Elle a gardé le
silence et a baissé les yeux, et je suis
sortie un sourire aux lèvres, la tête
haute et j’ai vu maman qui continuait à
me faire signe de la main.
https://mondoweiss.net/2019/01/defying-palestinian-musicians/
Traduction SF pour
La Campagne BDS France Montpellier
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