BDS
L’expert des Nations-Unies Michael Lynk
: « La communauté internationale doit
mettre fin
à l’occupation « belliqueuse
» d’Israël »
Michael Lynk
informe les journalistes au
quartier-général des Nations Unies à New
York,
le 26 octobre 2017 (Photo: ONU)
Mercredi 6 novembre 2019
Yumna Patel le 30 octobre 2019
Michael Lynk,
professeur de droit canadien et expert
pour les droits humains auprès des
Nations-Unies, a déjà suscité
l’attention des médias.
En tant que
Rapporteur spécial sur les territoires
palestiniens, Lynk a depuis des années
signalé les violations par Israël des
droits humains dans les territoires,
s’attirant des critiques de la part
d’Israël et de ses alliés, et un large
soutien de la part des défenseurs des
droits humains en Palestine et dans le
monde entier.
Sa dernière ronde
d’intérêt médiatique a eu lieu la
semaine dernière, lorsqu’il a publié son
plus récent rapport sur la situation des
droits humains en Palestine, et a
appelé à une interdiction internationale
des produits des colonies israéliennes.
Le rapport, qui
soulignait les violations israéliennes
du droit international à Gaza, en
Cisjordanie et à Jérusalem-Est, s’est
attiré une vive réaction du lobby
international pro-Israël, car il
appelait l’occupation de 52 ans de la
Palestine par Israël « la plus longue
occupation belliqueuse dans le monde
moderne ».
Lynk a notamment
demandé aussi aux Nations Unies de
compléter et de publier une base de
données « sur les entreprises impliquées
dans des activités liées aux colonies
illégales », une « liste noire » que le
Conseil pour les droits humains des
Nations Unies était supposé rendre
publique en 2017, ce qu’il a retardé à
plusieurs reprises sous des pressions
américaine et israélienne.
Ci-dessous le lien
à une version préliminaire non révisée
du rapport de Lynk :
Situation des droits humains dans les
territoires palestiniens occupés depuis
1967 (version préliminaire non révisée)
par
Mondoweiss sur Scribd
Mondoweiss a
parlé à Lynk de son dernier rapport, de
ses résultats, de son conseil à la
communauté internationale et lui a
demandé quelle partie de ses recherches
l’avait le plus choqué.
Mondoweiss
: Votre rapport récent sur la
situation des droits humains dans les
TPO a provoqué pas mal d’émoi dans les
médias, particulièrement vos appels à un
boycott des produits des colonies. Vous
attendiez-vous à ce contrecoup ? Comment
ressentez-vous la réception du rapport ?
Lynk :
J’obtiens généralement toujours une
réponse très positive de la société
civile, israélienne, palestinienne et
internationale, et des réponses
négatives tant du gouvernement israélien
que de ses soutiens.
Quand je
réfléchissais à quoi écrire cette année,
je pensais, nous avons des tas de lois,
mais ce dont nous manquons c’est de leur
application et de la reddition de
comptes. Cela devrait se retrouver au
sommet de l’agenda international quand
il s’agit de mettre fin à l’occupation.
Donc je m’attendais à recevoir un
soutien de la société civile parce
qu’ils ont écrit beaucoup là-dessus et
je m’attendais à des réponses très
critiques des supporters de l’occupation
et des Israéliens. Je n’étais pas
certain de ce à quoi m’attendre de la
part de la communauté internationale, à
part un haussement d’épaules.
J’ai appelé
spécifiquement à une interdiction de
tous les produits et services issus des
colonies parce que cela me frappe comme
un impératif moral — une mesure
politique minimale pour la reddition de
comptes, et une exigence et une
obligation juridiques qui dépendent de
la communauté internationale dans une
situation de sérieuse violation des
droits humains. Il était clair pour moi
que si les colonies sont illégales et
qu’elles sont un crime de guerre selon
le Statut de Rome, la communauté
internationale a la responsabilité
juridique de ne pas aider ni assister de
telles violations.
Mondoweiss :
Quelle a été la réponse des diplomates
et des responsables internationaux,
étant donné votre critique sévère de la
communauté internationale pour son
manque d’action par rapport à
l’occupation ?
Lynk : J’ai
parlé avec plusieurs ambassadeurs à New
York après la publication de mon
rapport. Les diplomates les plus
honnêtes ont admis, ou dit directement,
qu’il n’y a plus de solution à deux
états. Mais quand j’ai demandé ce qu’il
en était de rendre des comptes, ils ont
commencé à parler de difficultés
internes, de la politique de leurs
propres pays et du fait qu’ils n’étaient
pas sûrs d’avoir le capital politique
pour contester la position du
gouvernement américain là-dessus.
J’espère que ce que
j’ai fait a été de planter une graine
pour les amener à commencer à réfléchir
à une reddition de comptes formelle.
Mais je n’ai vu aucun d’entre eux dire «
oui, vous m’avez convaincu et ceci est
tout en haut de mon agenda ».
Mondoweiss :
Vous avez mentionné la reddition de
comptes formelle et la manière dont les
dirigeants internationaux doivent
commencer à mettre cela tout en haut de
leurs agendas. A part interdire les
produits des colonies, à quoi
ressemblerait une reddition de comptes
formelle en pratique ?
Lynk :
Alors, ce que je vois comme mesures
minimales serait une interdiction des
produits et services des colonies et la
publication de la base de données sur
les activités commerciales dans les
colonies. Il existe un certain nombre de
mesures additionnelles à l’intérieur de
la tradition internationale et des
précédents : un menu international de ce
qu’il y a à faire.
Nous devons penser
aux mesures prises dans d’autres
contextes d’annexion et d’occupation,
par exemple en Crimée et en Ukraine
orientale. L’Union européenne en
particulier a imposé des contre-mesures
commerciales, politiques et
diplomatiques en réponse. C’est ce qui
devrait arriver dans le cas de
l’occupation des territoires
palestiniens.
Dans mon rapport,
j’ai renvoyé à un rapport du Comité
international de la Croix-Rouge qui
exposé une série de contre-mesures
possibles. J’inclurais de réviser des
choses comme les transferts d’armes, la
vente d’armement militaire, cela
pourrait impliquer des restrictions
commerciales et financières, cela
pourrait impliquer d’imposer des visas
aux résidents du pays [Israël] pour
aller en Europe ou en Amérique du Nord,
cela pourrait impliquer de chercher un
avis consultatif de la Cour
internationale de justice pour
déterminer si l’occupation est encore
légale et quelles sont les
responsabilités de la communauté
internationale pour y mettre fin.
Comme je l’ai dit
dans le rapport, Israël est un petit
pays avec une forte dépendance de la
communauté internationale,
particulièrement de l’Europe et de
l’Amérique du Nord pour le commerce et
les relations diplomatiques. Il ne
serait pas difficile si la communauté
internationale s’y attelait de prendre
des mesures qui demanderaient un
changement significatif de la part des
dirigeants en Israël.
Israël prête de
fait attention à l’opinion
internationale. L’exemple le plus récent
est le rôle de la plupart des pays
européens dans le soutien au village
bédouin de Khan al-Ahmar. Benjamin
Netanyahu a tenu un morceau de papier
dans sa main pendant les dix derniers
mois, qui lui permettrait de poursuivre
la démolition du village. Les deux
raisons pour lesquelles il ne l’a pas
encore fait sont la limite tracée par
l’Union européenne et une déclaration de
la procureure générale de la Cour pénale
internationale avertissant que le
transfert forcé de population pendant
une occupation peut représenter un crime
de guerre.
Mondoweiss :
Vous dites si la communauté
internationale « s’y attelle », ils
peuvent provoquer un changement. Alors,
selon vous, que faut-il qu’il arrive
pour qu’ils se réveillent vraiment et
agissent ?
Lynk : Il
est difficile pour moi de réconcilier le
soutien continu à la solution à deux
états et l’affirmation répétée de son
importance, alors même que la communauté
internationale a vu la possibilité d’une
authentique solution à deux états
s’évaporer devant ses yeux sans prendre
des mesures significatives pour la
sauvegarder.
La communauté
internationale dirait « nous avons dit
clairement que nous n’accepterions pas
une annexion », mais il n’y a pas de
différence juridique entre une annexion
et une annexion de fait à un stade
avancé. Si vous placez plus de 600000
colons, plus de 200 colonies à
Jérusalem-Est et en Cisjordanie, avec un
énorme réseau de routes, de sécurité,
d’usines et de contrôle total, cela, de
fait, viole la règle du droit
international sur l’annexion.
Une annexion de
fait est une annexion. La communauté
internationale a probablement perdu sa
chance de mettre des limites. Elle doit
maintenant réfléchir à ce qu’est
l’avenir par rapport à cela.
Je ne sais pas ce
qu’il faudrait, parce qu’il n’y a pas
d’occupation dans le monde qui ait été
menée en face de la communauté
internationale, alors que cette dernière
était bien renseignée de ce que les
intentions évidentes des occupants
étaient l’annexion et aussi bien
informée de la souffrance et de la
dépossession, et pourtant si peu encline
à agir sur les preuves en face d’elle.
Si tout ce qui est arrivé jusqu’à
présent n’a pas incité la communauté
internationale à prendre des mesures
décisives, il est difficile d’imaginer
ce qui le ferait.
Mondoweiss :
Votre rapport discute de nombreuses
questions, depuis les démolitions de
maisons et les campagnes d’arrestation
jusqu’au blocus sur Gaza. De tous les
sujets que vous mettez en lumière, quel
est celui qui se distinguait pour vous
quand vous rédigiez votre rapport ?
Lynk : Je
dois dire que si j’avais à en choisir un
en premier parmi des sujets d’égale
importance ce serait probablement Gaza.
Gaza a une
situation unique dans le monde en ce que
c’est une catastrophe faite par l’homme
et une crise en cours, que le monde le
sait, que les bureaux des Nations Unies
sur le terrain ont été zélés à écrire
des rapports dessus, et pourtant
l’attitude du monde envers le siège
permanent de Gaza par Israël reste
inchangée.
Nous sommes passés
dans la dernière décennie par trois
guerres dévastatrices qui ont provoqué
d’immenses souffrances humaines et de
dommages physiques, Gaza reste en grande
partie coupé du reste du monde, son
économie continue à se flétrir et à se
scléroser, pourtant rien ne se conclut
par un changement. L’eau n’est pas
potable, le système de santé s’effondre,
Gaza a le plus haut taux de chômage du
monde, et parmi les personnes de moins
de 30 ans, il avoisine les 70%. Quatre
habitants de Gaza sur cinq travaillent
en-dessous du salaire minimal déjà
anémique.
Cela devient
déprimant de continuer à répéter les
lamentables statistiques de Gaza. Les
deux secrétaires généraux des Nations
Unies, le précédent et l’actuel, disent
que cela revient à une punition
collective, ce qui est illégal selon les
conventions de Genève. Mais cela
continue.
De toutes les
questions auxquelles vous pouvez penser
et qui doivent être mises en lumière, il
y a malheureusement un grand nombre de
questions parmi lesquelles choisir, mais
Gaza doit être la pire de toutes les
tragédies confondantes devant nous.
Mondoweiss :
La situation dans les TPO, comme vous
l’avez signalé largement, évolue
constamment vers le pire. Beaucoup de
Palestiniens sont lassés du gouvernement
de Trump et de ses plans pour la région.
Quelles sont vos prévisions pour le «
marché du siècle » ? Pensez-vous que
Trump essaiera de le mener à terme ? Et
quels effets pourra-t-il avoir sur les
TPO et la région autour ?
Lynk : Je
n’ai pas un grand espoir que cela
apportera en quoi que ce soit le
soulagement nécessaire ou un chemin vers
l’avant pour les Israéliens et les
Palestiniens. Certainement les
commentaires faits par les principaux
auteurs du plan de paix, dont Friedman,
Greenblatt et Kushner, semblent tous
indiquer qu’ils se sont largement
alignés sur le vision du monde du
gouvernement israélien : que les
colonies vont rester en place, qu’ils
envisagent un petit état palestinien qui
sera une définition vraiment nouvelle de
ce que signifie un état dans la science
politique moderne. Et que l’occupation
permanente actuelle aura juste un
nouveau titre et une nouvelle image.
Je le vois comme un
« solution à un état-et-demi ». Tout
plan de paix initié par la communauté
internationale qui ne s’ancre pas dans
les principes acceptés du droit
international — que les colonies sont
illégales, que l’annexion de
Jérusalem-Est est illégale, qu’un état
palestinien devrait être viable, en un
seul morceau et souverain, comme
n’importe quel pays, qu’il doit y avoir
une solution juste pour la question des
réfugiés palestiniens — si un plan de
paix ne s’ancre pas dans ces principes
largement acceptés qui composent le
consensus international, alors ce n’est
pas un plan de paix qui vaut d’être
proposé ou communiqué.
Ce qui est arrivé
dans les ving-cinq dernières années
depuis Oslo, c’est qu’Israël a réussi à
persuader les Etats-Unis d’agir comme
médiateur et de jouer les intermédiaires
entre les partis sans le cadre du droit
international et d’un consensus
international. Et c’est pourquoi nous
continuons à voir des accords et des
initiatives qui échouent.
Mondoweiss :
Avec la situation sur le terrain
devenant chaque jour pire et un manque
d’action internationale pour mettre fin
à l’occupation, qu’est-ce vous diriez
aux cityens ordinaires du monde qui
souhaitent aussi mettre fin à
l’occupation et aller de l’avant ?
Lynk : Ce
que je vous ai offert, c’est une vision
morose, sombre, lugubre et pessimiste de
la situation. Mais croyez-le ou non, je
reste optimiste, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord,
malgré toute la persécution et la
diffamation que le gouvernement d’Israël
dirige contre les défenseurs israéliens
et palestiniens des droits humains et
malgré l’espace de plus en plus réduit
dans lequel ils doivent accomplir leur
travail courageux, ils continuent de
mener leurs inestimables activités de
mobilisation et de recherche de ce qui
se passe sur le terrain.
Sans vouloir mettre
certains d’entre eux au-dessus des
autres, les B’Tselems et les Gishas
d’Israël, le Al-Haqs ou Addameers de
Palestine, plus Amnesty International et
les Human Rights Watches, gardent les
bougies allumées pour ce qui est de
l’application des règles du droit
humanitaire à ce conflit. Ils sont ceux
qui mobilisent l’opinion publique
internationale.
L’opinion publique
internationale reste largement favorable
à vouloir que les Palestiniens
obtiennent leurs droits. Tant que les
sociétés civiles et l’opinion populaire
soutiennent la réalisation des droits
des Palestiniens, pour qu’Israéliens et
Palestiniens puissent avoir un avenir
juste et partagé, il y a toutes les
raisons d’être optimiste, il y aura un
avenir à envisager.
C’est cette opinion
publique, certainement en Europe, que je
rencontre en Irlande, en
Grande-Bretagne, en Belgique et aux
Pays-Bas, qui sont ceux continuant à
contribuer à alimenter le débat
politique et les questions diplomatiques
dans des pays comme ceux-là. C’est
pourquoi je reste optimiste.
Il y a aussi une
ouverture dans l’opinion publique
américaine. Trois des quatre candidats
majeurs pour l’investiture démocrate, à
un degré ou un autre, disent que nous
devons repenser notre relation à Israël
s’il va continuer cette voie d’une
occupation perpétuelle. Cela me dit que
l’aiguille se déplace aussi aux
Etats-Unis et que l’opinion publique se
reflète dans certains des débats en
cours. Tout cela me rend
fondamentalement optimiste, qu’il y a
des voies pour que la vapeur se
renverse.
Yumna Patel
Yumna Patel est
correspondante de Mondoweiss pour la
Palestine
Trad. CG pour
Agence Media Palestine, BDS France
Montpellier
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